« Pierre André de Suffren » : différence entre les versions

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
R (discuter | contributions)
m →‎Voir aussi : suppr commentaire personnel
AYE R (discuter | contributions)
Annulation des modifications 54495851 de R (d)
Ligne 719 : Ligne 719 :


'''Ouvrage à part''' :
'''Ouvrage à part''' :
* {{ouvrage |langue= |prénom1= Jean-Claude |nom1= Castex |lien auteur1= |titre= Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises |sous-titre= |numéro d'édition= |éditeur= éditions Presses Université de Laval |lien éditeur= |lieu= Canada |jour= |mois= |année= 2004 |volume= |tome= |pages totales= |passage= |isbn= |lire en ligne= |consulté le= }}
* {{ouvrage |langue= |prénom1= Jean-Claude |nom1= Castex |lien auteur1= |titre= Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises |sous-titre= |numéro d'édition= |éditeur= éditions Presses Université de Laval |lien éditeur= |lieu= Canada |jour= |mois= |année= 2004 |volume= |tome= |pages totales= |passage= |isbn= |lire en ligne= |consulté le= |commentaire=Cet ouvrage qui hésite entre le convenable et le médiocre est à manipuler avec précaution, par un public ayant déjà un solide culture historique. Le convenable : des bonnes cartes, un bon inventaire des effectifs et l'utilisation de sources anglaises souvent peu citées en France. Le médiocre : des analyses sur les conséquences des batailles souvent partielles, voire partiales. Des commentaires sur le contexte politique, Versailles, les rois de France, qui hésitent entre le vieux manuel d'histoire moralisateur du {{s-|XIX|e}} et le café du commerce. Le tout encombré d'une iconographie souvent hors-sujet (des casques médiévaux, des trirèmes grecques antiques, des drapeaux russes...). Un ouvrage à réécrire en partie. À l'occasion d'une réédition ?}}


=== Liens externes ===
=== Liens externes ===

Version du 21 juin 2010 à 16:10

Pierre André de Suffren
Pierre André de Suffren

Surnom Jupiter et Amiral Satan
Arme Marine
Commandement Escadres de l'océan Indien
Conflits Guerre de Succession d'Autriche,
Guerre de Sept Ans
Guerre d'indépendance des États-Unis d'Amérique

Pierre André de Suffren, dit le bailli de Suffren, également connu sous le nom de Suffren de Saint-Tropez, né le 17 juillet 1729 au château de Saint-Cannat, près d'Aix-en-Provence et mort le 8 décembre 1788 à Paris, est un vice-amiral français, bailli[1] de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

La maison de Suffren

Statue de Pierre André de Suffren à Saint-Tropez, avec sa plaque commémorative.

La maison de Suffren a pour origine, selon d'Artefeuil et La Chenaye-Aubert, Hugon de Suffren, qui s'établit en Provence au XIVe siècle, et qui était originaire de la république de Lucques, d'où il avait été forcé de fuir lors des guerres entre les Guelfes et les Gibelins. Jean-Baptiste de Suffren fut anobli par lettres patentes du roi François Ier[2].

Son père, Paul de Suffren de Saint-Tropez, marquis de Saint-Cannat (1679 - 1756) est le Premier procureur des Pays de Provence en 1723, et procureur-joint de la noblesse en 1749[3].

Pierre André naît le 17 juillet 1729 au château de Saint-Cannat. Il a quatorze frères et sœurs. Un de ses frères, Pierre-Julien, est capitaine des vaisseaux de l'ordre de Malte. Un autre, l'aîné est marquis et bailli de Saint-Tropez, maréchal de camp et pair de France en 1817. Le troisième, Louis-Jérôme de Suffren, est évêque de Sisteron de 1764 à 1789 puis évêque de Nevers. Il fait creuser un grand canal pour irriguer la région de Sisteron. Il a aussi deux sœurs mariées à des seigneurs locaux, dont Alphonse Louis d'Arnaud, baron de Vitrolles.

Comme beaucoup de cadets de familles nobles provençales, en 1737, Pierre André de Suffren est admis, dès l'âge de 8 ans, comme chevalier de minorité de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem[4], dont il deviendra plus tard bailli. Après une enfance turbulente , mais aussi studieuse, passée au château familial de Saint-Cannat, ou dans un autre fief familial à Richebois, situé à côté de Salon de Provence et à Saint-Tropez, il fait des études chez les Jésuites de Toulon. Son caractère semble s'affirmer très tôt, ce qui pousse sa famille à l'orienter très jeune vers la marine militaire.

Au-delà de ses croisières pour l'ordre de Malte, Suffren va traverser trois guerres navales franco-anglaises, au milieu de ce très long conflit que certains historiens appellent aujourd'hui la "Seconde guerre de Cent Ans" (1689-1815). La troisième – la plus commentée – lui apportera la gloire. Les deux premières – souvent négligés par les biographes – lui permettant de gravir un par un les échelons de la marine française au milieu de ses vicissitudes contre la Royal Navy. Écrire l'histoire du bailli de Suffren, c'est écrire toute une partie de l'histoire de la marine française au XVIIIe siècle. Nous allons essayer de retracer l'intégralité du parcourt de Pierre André Suffren, en le replaçant dans le contexte naval et politique de l'époque.

Le lecteur qui veut se concentrer sur les pages de gloire de Suffren peut laisser de côté la première partie de l'article et commencer sa lecture à la participation de Suffren à la Guerre d'indépendance américaine (point 6 du Sommaire).

Les premiers combats : la guerre de Succession d'Autriche (1740–1748)

Portrait de Louis XV en buste par Quentin de La Tour. Louis XV, contrairement à une légende tenace, ne se désintéresse pas des questions navales, mais il privilégie une politique de paix avec l'Angleterre, pourtant de plus en plus jalouse de la prospérité coloniale de la France...
Paris, Musée du Louvre

La rivalité navale et coloniale franco-anglaise, en sommeil depuis la mort de Louis XIV reprenait forme au tournant des années 1740. Il est vrai que l'empire colonial français, étendu du Canada aux Antilles (Saint Domingue) en passant par la Louisiane, les comptoirs africains et l'essentiel de l'Inde du sud (le Dekkan) jouissait d'une grande prospérité qui exaspérait les Anglais[5]. Les marchands londoniens ne cessaient de se plaindre et les rapports entre les deux capitales se dégradaient, d'autant que l'Angleterre était en guerre avec l'Espagne depuis 1739[6], ce qui mettait Versailles dans l'embarras car les couronnes françaises et espagnoles étaient cousines (un petit-fils de Louis XIV, Philippe V régnait à Madrid depuis 1700). Une flotte espagnole trouvait refuge à Toulon, poursuivie par la Royal Navy. De plus en plus inquiets, Louis XV et son ministre Maurepas décidaient de déployer deux grandes escadres aux Antilles et reprenaient la tactique habituelle du soutien au prétendant Charles Édouard Stuart : aider ce dernier à reconquérir la couronne perdue par son aïeul en 1688. On préparait une armée et une flotte pour débarquer en Angleterre alors que la guerre n'était pas même déclarée[7].

Les enjeux de cette nouvelle guerre navale franco-anglaise sont considérables. Côté anglais on est déterminé à briser l’expansion maritime et coloniale de la France. La Royal Navy dont les effectifs sont très supérieurs[8] à ceux de la marine française doit rapidement surclasser les escadres françaises, assurer le blocus des ports militaires et commerciaux, et pour finir s’emparer des possessions coloniales françaises[9]. Côté français, contrairement à une légende tenace, Louis XV ne se désintéresse pas des affaires maritimes, mais on est conscient à Versailles que l’on a tout à perdre dans des grandes batailles navales d’escadres où les Anglais auraient toujours l’avantage numérique. Maurepas, avec l’accord de son souverain décide donc d'utiliser les vaisseaux à une tâche précise, la conquête d’une île ou d’un port, et la protection des convois[10]. Ce dernier point est très important. Il s’agit de protéger les nombreux navires de commerce français qui croisent entre les « isles » et les ports de l’Atlantique en organisant de grands convois escortés par des frégates ou des vaisseaux de premier rang. C'est dans ce contexte que le jeune Suffren va faire l'apprentissage de ses premiers combats navals, huit mois après avoir fait ses classes à Toulon puis Brest[11].

La bataille du cap Sicié (22 février 1744), ou le baptême du feu à 15 ans

La bataille du cap Sicié (22 février 1744), vue par l'illustrateur espagnol Diego De Mesa. Ce combat, appelé "bataille de Toulon" par les Anglais et les Espagnols, voit le premier engagement naval de Suffren. Il n'a pas encore 15 ans.

L’escadre espagnole de Don Juan de Navarro, destinée à transporter à Gènes un corps expéditionnaire restait réfugiée depuis 1742 à Toulon. C’était une situation humiliante pour le roi d’Espagne, mais aussi de France, dont le grand port de guerre de Méditerranée subissait le blocus anglais depuis deux ans (depuis les îles d’Hyères). Il n’était plus possible de reculer.

Le gouvernement français décide donc de fournir à son allié la protection d’une escadre pour forcer le blocus et lui permettre de regagner Barcelone. Suffren se retrouve embarqué sur le Solide, un 64 canons déjà ancien puisque lancé en 1722. Après trente années de paix il est difficile de réunir les équipages et de retrouver un minimum de discipline. Une forte pagaille règne dans le port, au dire même de l’intendant de marine, M. de Villeblanche. C’est le vénérable Court de La Bruyère, 77 ans, qui se retrouve aux commandes des 16 vaisseaux français alors qu’il n’a plus navigué depuis 1715[12]. L’Historien ne peut que s’interroger sur un tel choix, mais il remarque que du côté de la Royal Navy ce n’est guère mieux. Même si le vice-amiral Thomas Matthew est un peu plus jeune (68 ans), la Navy est aussi en crise. Enferrée depuis 1739 dans cette guerre contre l’Espagne qu’elle ne parvient pas à gagner, le moral et la discipline sont au plus bas[13]. Quand à la marine espagnole, elle manque cruellement de personnel. Madrid a bien tenté de faire venir 2 000 soldats d’Espagne par voie de terre pour renforcer son escadre, mais 1 000 d’entre-eux ont déserté en cours de route...

Quoi qu’il en soit, après plusieurs exercices d’entrainement dans la rade, l’escadre combinée sort de Toulon, les Français occupant l’avant-garde et le centre (où se trouve intégré le Solide), les Espagnols en arrière-garde. Les Français, qui ne sont toujours pas en guerre avec l’Angleterre ont pour consigne de ne pas tirer les premiers alors que Matthews doit prendre ou détruire les navires espagnols sous escorte française. C’est dans cette situation politico-militaire compliquée que les 28 navires franco-espagnols se retrouvent engagés par les 32 vaisseaux de l’escadre anglaise. Le combat se déroule selon la classique manœuvre de la ligne de file. Matthew remonte la ligne alliée et concentre son attaque sur l’arrière garde où se trouvent les Espagnols. Le centre allié n’est que partiellement engagé dans une canonnade assez lointaine. Le jeune Suffren connaît son baptême du feu dans les échanges de tir entre le Solide et le Northumberland. Le combat tourne finalement à l’avantage des franco-espagnols lorsque l’amiral anglais est abandonné par une partie de ses capitaines qui lui désobéissent. Les Espagnols ont perdu un vaisseau, le Poder, mais la Royal Navy qui a trois vaisseaux forts abimés doit se retirer sur Gibraltar et Port-Mahon pour réparer[14].

Ce combat naval aujourd’hui oublié eut à l’époque un immense retentissement et fut clairement interprété comme une défaite anglaise[15] : deux amiraux et onze commandants anglais allaient passer en conseil de guerre, le blocus était levé, la flotte espagnole regagnait ses ports et la flotte française affirmait sa volonté de ne pas s’en laisser compter, grâce à ses vaisseaux neufs et mieux conçus que ceux de la Royal Navy[16]. En Espagne l’évènement fût fêté comme une grande victoire, ce qui n’empêcha pas une violente polémique d’éclater, les Espagnols accusant les Français de leur avoir laissé supporter le plus gros du combat et d’avoir tardé à les secourir[17].

L’escadre française, après avoir escorté les vaisseaux rescapés de don Navarro rentre sans encombre à Toulon. Suffren débarque le 30 juin et passe le mois de juillet en instruction à terre. Ce sera la fin de sa formation théorique. Le 1er août 1744 il embarque à bord du Trident, un 64 canons. Son instruction dans la compagnie des gardes de Toulon a duré en tout moins de quatre mois. Suffren va donc bénéficier d’une formation « à l’anglaise », c'est-à-dire pratique, en mer[18]. Le 15 mars 1744 Louis XV avait enfin déclaré la guerre à l’Angleterre. Le jeune Pierre-André se retrouvait à bonne école pour progresser rapidement dans le conflit franco-anglais qui s’annonçait long et qui n’était pas joué d’avance.

Les premières responsabilités et l'expérience de l'échec (1745)

Suffren découvre la navigation hors de Méditerranée lorsque le Trident passe aux Antilles en l'été 1744. Le navire ne participe à aucun engagement naval. Au retour en 1745 Pierre-André embarque à Brest sur la Palme, une corvette de 12 canons. C’est un univers nouveau que découvre le jeune provençal de 16 ans. Il a jusque-là servi sur deux grandes unités avec des états-majors nombreux où il ne figurait qu’au bout du dernier rang. Il n’a pu occuper que des fonctions en sous-ordre, étroitement surveillé par un officier plus ancien. Tout change sur la Palme, petit navire qui n’a que quelques dizaines d’hommes d’équipage, commandé par un simple enseigne de vaisseau, M. de Breugnon. En l’absence de tout autre officier embarqué, Pierre-André se retrouve investi de lourdes responsabilités. Il doit pour la première fois assurer le quart en chef, exercer les fonctions du second, veiller à la bonne tenue matérielle du bâtiment comme au comportement de l’équipage. Rude tâche sur un navire où presque tous les matelots ne parlent qu’en breton, langue que ne comprend pas Suffren.

La mission de la Palme consiste en patrouilles côtières tout le long des côtes de la Manche pour protéger les pêcheurs et les caboteurs contre les corsaires britanniques. Le 29 décembre 1745 le navire se trouve au large de Calais. La corvette engage le combat contre deux corsaires anglais, mais celui-ci tourne au fiasco. Une large partie de l’équipage refuse d’obéir lorsque l’ordre d’abordage est donné et les deux corsaires anglais réussissent à s’enfuir en s’emparant au passage d’un petit navire corsaire français.

L’enquête qui suit cet échec ne permet pas de désigner les hommes d’équipage qui ont failli et coûte au final son commandement à M. de Breugnon alors que Suffren doit reconnaitre qu’il n’a pas réussi à se faire obéir[19]. « Le jeune enseigne de vaisseau commandant la corvette et son beaucoup trop jeune second ont été incapable de maîtriser une situation difficile et n’ont pu imposer leur volonté à un équipage qu’ils dirigeaient pourtant depuis trois mois et demi » juge Rémi Monaque[20]. Il ne suffit pas seulement d’être courageux, commander et un art qui s’apprend. Suffren va retenir cette rude leçon et va désormais chercher à établir rapidement des relations de confiance avec les équipages. Esprit pratique, Pierre-André va aussi apprendre le breton, comme il apprendra plus tard l’anglais, l’italien...

Le contexte naval : la guerre des convois et ses enjeux

L'Acadie en 1754. En 1745 les Anglais s'emparent de la forteresse de Louisbourg qui défend l'entrée de la Nouvelle France. Suffren participe à la tentative malheureuse de reprise de la place en 1746. Louis XV retrouve cette position en 1748, mais pour les Anglais c'est une menace constante sur leurs colonies d'Amérique du Nord.

Suffren participe à l'escorte des convois côtiers dans la petite escadre de Macnémara[21] (5 vaisseaux et 2 frégates qui escarmouchent plusieurs fois les Anglais en 1745) et à nouveau sur le Trident dans l’expédition désastreuse du duc d’Anville en Acadie en 1746 pour tenter de reprendre la forteresse de Louisbourg[22]. Les qualités de Suffren commencent à être remarquées : le capitaine du Solide, M. d'Estournel rend un rapport élogieux sur la conduite du jeune homme pendant cette expédition.

L’étude attentive de cette nouvelle guerre navale franco-anglaise montre que les choix stratégiques de Maurepas et de Louis XV se révèlent judicieux, en tout cas pour les trois premières années de la guerre. De 1744 à 1747 le commerce naval français fonctionne sous forme de gigantesques convois – dont certains font plusieurs centaines de navires – escortés par des petites ou moyennes escadres dans l’Atlantique et dans une moindre mesure l’océan Indien. Après des débuts difficiles le système fonctionne de façon très satisfaisante. « Contrairement à ce qui a souvent été écrit, les meilleurs officiers de la Marine sont affectés à ces escortes dont ils se sont parfaitement acquittés, et les chambres de commerce des ports leurs adressent des félicitations » note Patrick Villiers[23]. Ces missions obscures, oubliées pendant longtemps des historiens – et dans lesquelles le jeune Suffren poursuit son apprentissage, – assurent tant bien que mal la liberté des mers pour les Français.

Constat que font aussi les Anglais en 1747 et qui les poussent à changer de stratégie. Les Anglais constatent d’abord qu’ils ont commis une lourde erreur en s’engageant dans la guerre continentale contre la France. Outre que l’armée anglaise est régulièrement écrasée aux Pays-Bas autrichiens[24], cet engagement nécessite de mobiliser une importante escadre de la Navy dans la Manche… qui manque ailleurs et profite à la marine française, d’autant que les escadres anglaises brillent par la médiocrité de leurs chefs. En dépit de sa supériorité numérique la Navy est incapable d’exploiter la maîtrise de la mer. Cruelle révélation qui suscite un vigoureux changement de stratégie avec l’arrivée de nouveaux amiraux. Ils décident de serrer la côte française au plus près avec une puissante escadre (le Western Squadron) chargée de guetter l’arrivée ou le départ des convois (souvent prévenus aussi, par un service d’espionnage renforcé)[25]. Cette politique de blocus provoque la reprise des grands affrontements navals sur la façade atlantique. Une première bataille oppose les deux marines au cap Ortegal le 14 mai 1747. Un terrible combat où l’escorte française se sacrifie pour sauver, en partie, le convoi à destination du Canada[26].

La bataille du cap Finisterre, ou le sacrifice des escorteurs (25 octobre 1747)

Protection du commerce. C'est la mission essentielle de la Marine royale sous Louis XV. Les vaisseaux ont ordre de se sacrifier en cas d'attaque de la Royal Navy pour sauver le convoi marchand.
Les vaisseaux le Terrible et le Monarque, après leur capture. Pour Suffren, qui a combattu sur le Monarque c'est la première captivité en Angleterre qui commence.

Suffren n’est pas présent au cap Ortegal, mais se retrouve engagé dans la bataille du cap Finisterre[27], le 25 octobre 1747. Bien renseignés, les Anglais de Hawke guettent le départ du grand convoi français pour les Antilles : 250 navires de commerce, accompagnés d’une mince escorte de 8 vaisseaux sous les ordres du marquis de Létanduère[28]. Hawke dispose de 14 vaisseaux (plus 2 ou 3 frégates) pour se saisir de cette proie de choix apparemment mal défendue. La prise de ce convoi porterait un coup terrible au commerce colonial français, avec la faillite de dizaine d’armateurs et négociants. Côté anglais la priorité est à la saisie du convoi, quitte à laisser de côté l'escorte (qui devrait normalement s'enfuir vu sa grande infériorité…). Côté français, les ordres sont tout aussi clairs : le convoi doit passer coûte que coûte, au besoin en sacrifiant l’escorte. Létanduère engage donc sans hésiter le combat, à presque un contre deux. Pierre-André est embarqué sur le Monarque, un vaisseau de 74 canons tout neuf et qui vient juste de sortir des chantiers de Brest. Il est commandé par le capitaine La Bédoyère sous lequel Pierre-André a déjà servi sur le Trident[29].

La bataille commence vers 11h30 et prend un tour rapidement acharné. Les vaisseaux anglais, plus nombreux, réussissent à envelopper l’escorte française qui doit combattre sur les deux bords. Le Monarque, accablé par le feu de 4 puis 5 vaisseaux anglais, se retrouve presque démâté, donnant fortement de la bande avec une quarantaine de coups reçus au niveau de la ligne de flottaison. Son capitaine est tué ainsi que plus de 130 membres d'équipage (sur 233 hommes hors de combat). Le second du Monaque, M. de Saint-André doit se résoudre à baisser pavillon, après 7h00 de lutte, bientôt suivi par 5 autres vaisseaux, qui succombent les uns après les autres (après avoir démâté ou épuisé leurs munitions). Pierre-André, dont le nom est cité dans le rapport de Saint-André se retrouve donc prisonnier[30]… et spectateur de la suite de la bataille, qui redouble d’intensité sur la fin de l’après-midi. Le Tonnant, partiellement démâté, combat encore à 1 contre 5 sous voiles basses, de même que l’Intrépide qui réussit à se tirer des griffes des vaisseaux anglais. Son capitaine, Vaudreuil[31] traverse l’escadre anglaise et vient se porter au secours de son chef sous les yeux médusés des équipages qui se sont rendus.

La nuit tombe. Les 2 vaisseaux français réussissent à se dégager. Les Anglais, épuisés, encombrés par leurs 6 prises et dont 5 vaisseaux sont à peu près dans le même état que les vaincus ne donnent pas la poursuite. À l’aube, le Tonnant réussit à prendre en remorque l’Intrépide, et rentre à Brest le 9 novembre 1747. Le convoi était passé, l’escorte avait donc rempli sa mission[32]. Quant à Suffren, il gardera toute sa vie un souvenir mémorable de cette bataille, où l’habileté manœuvrière l’a disputé au courage. C'est aussi pour lui une épreuve décisive dans laquelle s'est révélée son courage et sa capacité de combattre dans les ciconstances les plus terribles. Beaucoup plus tard, lors des campagnes en Inde il se plaira à raconter dans le plus grand détail ce fait d’armes, qu’il considérait comme un des plus glorieux qui se fussent livrés sur mer[33].

Dans l'immédiat la guerre est terminée pour le jeune homme qui se retrouve prisonnier en Angleterre avec les autres équipages. Hawke exhibe en triomphe sur la Tamise les 6 vaisseaux capturés. Moment douloureux pour Suffren qui en gardera toute sa vie un virulent sentiment anti-anglais. Le jeune homme ne se laisse cependant pas aveugler par un quelconque esprit de haine puisqu'il en profite pour apprendre les premiers rudiments de l'anglais, langue qu'il maîtrisera plus tard convenablement[34]. Suffren est relâché en 1748, avec la signature du traité de paix d’Aix-la-Chapelle.

La paix ne correspondant pas au tempérament bouillonnant de Suffren, le jeune homme qui a maintenant 19 ans et qui vient d'obtenir son grade d'enseigne de vaisseau sollicite un congé pour entrer dans l'ordre de Malte (ce qui était son engagement de départ, voir plus haut). Il devient chevalier de majorité, navigue ainsi pendant plusieurs années sur les navires de l’Ordre, prenant part à plusieurs courses contre les Barbaresques[35] jusqu’en 1754, date de son retour à Toulon. En 1755 Suffren embarque à Toulon sur le Dauphin-royal (70 canons).

D'une guerre à l'autre (1749-1755)

L'Amérique du Nord en 1750. Les possessions françaises (en bleu) sont absolument immenses, mais ne sont peuplées que de 60 000 colons. Les 13 colonies anglaises (en rouge) comptent déjà près de 2 millions d'habitants qui s'estiment bloqués à l'ouest par les Français…

Pendant que Pierre-André de Suffren faisait ses croisières sur les galères de Saint-Jean de Jérusalem, la France et l’Angleterre reprenaient leur souffle… et recommençaient à accumuler les sujets de tension. La rivalité franco-anglaise amorcée depuis les années 1680 paraissait inépuisable, d’autant que la paix d’Aix-la-Chapelle n’avait réglé aucun problème. Sur ce traité planait même comme un parfum de victoire française puisque l’empire colonial de Louis XV était resté intact et que la marine française avait même réussit l’exploit de maintenir ouvertes les routes maritimes malgré les pertes militaires (voir plus haut)[36].

À Londres on paraît dans un premier temps satisfait d’être sorti de cette guerre interminable et ruineuse[37], mais la détente ne dure guère. La rivalité reprend de plus belle à peine le traité signé. Au Canada les colons français livrent une guérilla quasi permanente aux colons de la Nouvelle-Angleterre qui de leur côté multiplient les pressions pour que Londres envoie des renforts. En Inde, Dupleix, à la tête de la compagnie des Indes françaises reprend sa marche pour tenter de concrétiser son projet de créer un royaume français (dans le Dekkan et le Carnatic) dont il serait le vice-roi… À cela s’ajoute une féroce rivalité commerciale où les Français semblent triompher. Le commerce colonial connaît un boom spectaculaire après le retour de la paix, puisque les exportations du royaume auraient doublé entre 1740 et 1755[38].

La paix semble donc profiter plus à la France qu’à l’Angleterre… Le cabinet britannique est cependant dans un premier temps dominé par des hommes plutôt modérés sur les questions coloniales, comme le chancelier de l’Échiquier, Henry Pelham et par son frère, le duc de Newcastle. Après la mort du premier en mars 1754, le gouvernement anglais ne résiste plus à la vague belliciste. Le lobby colonial, par la voix de son ténor anti-français à la chambre, William Pitt l'emporte, au Parlement et dans l'opinion. À la fin de 1754 la reprise de la guerre est décidée[39].

Côté français, contrairement à une légende tenace on n'est pas resté inactif, même si Louis XV, prince d’éducation et de tempérament pacifique fait preuve de beaucoup de prudence (au point d’avoir été mal compris et taxé de faiblesse ou de désintérêt pour les affaires navales et coloniales). Maurepas tire un bilan lucide de la guerre en 1749, constatant que l’innovation technique ne peut à elle seule combler le déséquilibre numérique devenu trop important avec la Navy. Il propose au roi de porter la flotte à 60 vaisseaux[40]. Un important effort de construction est consenti pour remplacer les vaisseaux qui ont été perdus et on met au rebut ceux devenus obsolètes. Il se fait malheureusement à crédits presque constants, ce qui fait que le nombre de vaisseaux n’augmentent que très lentement d’autant et que l'on rogne sur l'entraînement pour faire des économies. Il faut noter, à la décharge du roi, que la guerre précédente a été fort coûteuse pour la France, et que Louis XV est soumis en permanence à un puissant « lobby continental » qui estime que l’armée de terre et la diplomatie en Europe sont plus importants que l’aventure coloniale[41]. En 1751 les vaisseaux français sont "plus jeunes et beaucoup plus puissants qu’en 1744", mais ils ne sont que 44 contre 116 vaisseaux anglais, eux aussi modernisés (sans les frégates pour les deux marines) soit un écart numérique de 1 à 2,25 en faveur de l’Angleterre[42]… On est donc encore loin du compte, mais la menace de guerre se précisant les crédits progressent ce qui permet de pousser les mises en chantier. En 1753 les effectifs flirtent avec les 60 vaisseaux de ligne. On dispose donc d'à peu près 82 navires au total en y ajoutant les 22 frégates[43].

L’étude attentive du comportement du roi montre qu’il n’a qu’une confiance incertaine dans sa marine et qu’il cherche à tout prix à préserver la paix. Mais à Londres les jeux sont faits et la Royal Navy qui a fait d’importantes réformes est prête à engager les hostilités[44]. Louis XV augmente largement les crédits pour la Marine[45], mais il est bien tard, d'autant que l'Angleterre décide d'attaquer par surprise, en n'hésitant pas à basculer dans le terrorisme naval.

"Il faut déclarer la guerre à la France". William Pitt qui représente les élites marchandes jalouses de la prospérité coloniale française affiche au Parlement une hostilité permanente à la France. (Gravure de L. Berthet, Bruxelles, 1782)

Suffren dans les épreuves de la guerre de Sept Ans (1755-1763)

1754-1755 : vers la guerre navale totale

À Londres on multiplie les déclarations de bonnes intentions pour endormir les Français, mais on prépare sous les ordres du général Braddock une grande invasion du Canada français (par l’Ohio et l’Acadie). À Versailles, tout en maintenant le dialogue on décide de prendre ses précautions : une flotte de 20 bâtiments commandés par Dubois de La Motte doit acheminer 3 000 soldats au Canada[46]. Le Dauphin Royal, sur lequel embarque Suffren fait partie de l’expédition. C’est une flotte vulnérable car 17 vaisseaux sont armés en flûte : on a déposé presque toute l’artillerie pour pouvoir embarquer les troupes. Chaque vaisseau n’a gardé qu’une vingtaine de canons. La guerre, il est vrai n’est pas déclarée. Le Dauphin Royal comme escorteur a cependant conservé toute son artillerie[47]. Le 3 mai 1755 l’escadre quitte Brest. Les Anglais de Boscawen, parfaitement renseignés, guettent l’escadre française devant Terre-Neuve. Le brouillard s’en mêle et le 10 juin l’Alcyde, le Lys et le Dauphin Royal se retrouvent séparés du reste de l’escadre, et face à Boscawen qui fait mine de s’approcher sans intentions belliqueuses. « Sommes-nous en paix ? » demande par porte-voix le commandant de l’Alcide. « La paix, la paix » répond l’Anglais qui ordonne aussitôt de tirer[48]. Cette fourberie permet aux Anglais de se saisir de l’Alcyde et du Lys, mais le Dauphin Royal, navire bon marcheur réussit à s’échapper et à se réfugier dans le port de Louisbourg. Suffren échappe à la captivité, le Dauphin Royal réussissant ensuite à rentrer à Brest.

Cette interception était cependant un quasi-échec car 17 vaisseaux (sur 20) étaient arrivés au Canada. Bien mieux, l’attaque de Braddock sur le Canada était un fiasco complet et le général anglais était tué le 9 juillet à la bataille de la Monongahela face l’armée franco-indienne de Langlade. À Versailles c’est cependant le choc, doublé d’un effondrement boursier à Paris[49]. Louis XV rappelle ses ambassadeurs, (juillet 1755) mais espère encore un accommodement alors que les Anglais engagent la guerre à outrance.

Les amiraux anglais n’avaient pas oublié la qualité des vaisseaux français et la combativité de leurs équipages. Ils décident donc pour éviter des grandes batailles incertaines de s’en prendre à la marine marchande française qui forme le réservoir à matelots de la Royale. La guerre n’étant pas déclarée, c’est une véritable razzia qui s’abat sur les bâtiments français sans protection dans l’Atlantique. De septembre à novembre 1755 Hawke et Boscawen s’emparent de plus de 300 navires, revendus à Londres pour 30 millions de l.t. (livres tournois). 6 000 matelots et officiers français, capturés prennent le chemin des sinistres prisons flottantes du sud de l’Angleterre. En Acadie l’armée anglaise basculait dans le nettoyage ethnique[50]. Les colons français qui refusent de prêter serment au roi d’Angleterre sont chassés de leurs terres, leurs villages brûlés, leurs biens confisqués. 10 000 personnes sont déportées, dispersées dans des conditions épouvantables[51].

1756 : La surprise de Port-Mahon

Le départ de la flotte française pour l'expédition de Port-Mahon le 10 avril 1756. L'arrivée de l'escadre française au large de l'île est une surprise totale pour les Anglais. Suffren participe à la bataille navale devant Port-Mahon sur l'Orphée. Nicolas Ozanne (1728 - 1811)
Port-Mahon est un port important de Minorque, l'une des îles de l'archipel des Baléares que tiennent les Anglais depuis 1707.

La nouvelle guerre franco-anglaise n’était pas encore déclarée, mais déjà totale, en tout cas du côté anglais. Louis XV après un vain ultimatum pour demander la restitution des navires et des équipages déclare officiellement la guerre en mai 1756. Dans les ports français c’est l’effervescence, on arme les escadres de l’Atlantique et de Méditerranée et on est déterminé à tirer vengeance du comportement anglais.

Suffren, qui vient d’être nommé lieutenant de vaisseau en mai 1756 rejoint Toulon et embarque sur l’Orphée. Le navire est requis pour faire partie de l’attaque contre Minorque. Cette île de l'archipel des Baléares était devenue lors de la guerre de Succession d’Espagne une grande base navale anglaise qui permettait à la Royal Navy de surveiller – et au besoin faire le blocus – des côtes de Provence mais aussi d’Espagne, comme lors du précédent conflit. Le Conseil du roi décide de s’en emparer par une attaque surprise. Le secret réussit à être conservé et se double d’une imposante opération d’intoxication, puisqu’une armée de diversion fait mine de préparer une opération de débarquement dans la Manche. La Navy se retrouve à regarder du mauvais côté.

L’escadre de La Galissonnière sort sans encombre de Toulon le 10 avril 1756 et arrive devant Port-Mahon quelques jours plus tard : 12 vaisseaux de ligne, 5 frégates, 150 (ou 176 selon les historiens) navires de transport pour convoyer les 12 000 (ou 15 000 selon les historiens) soldats du maréchal de Richelieu. C’est un plein succès : le débarquement se déroule sans encombre (18 avril) et on commence à assiéger la citadelle Saint-Philippe (23 avril)[52]. La Galissonnière qui couvre l’attaque depuis le large laisse cependant s’enfuir 5 vaisseaux anglais.

Le 19 mai arrive l’escadre de Gibraltar conduite par l’amiral John Byng avec 13 vaisseaux. Elle compte un trois-ponts, et ne compte aucune unité de moins de 64 canons. Cette force est donc nettement supérieure à l’escadre française qui ne possède aucun trois-ponts et dont 2 des 12 vaisseaux sont des unités de 50 canons. La situation va-t-elle se retourner ? Le lendemain la Galissonière décide de faire face et se déploie en ligne de file, mais le vent est favorable aux Anglais. Byng engage résolument le combat vers 13h00, mais la ligne française tient bon. L’Orphée sur lequel se trouve Suffren se trouve engagé à l’avant-garde de l’escadre et participe activement à la canonnade qui cesse vers 16h00. Plusieurs vaisseaux sont abimés des deux côtés mais les pertes humaines sont assez légères[53].

The Shooting of Admiral Byng : "L'exécution de l'amiral Byng", sur le pont du HMS Monarque. Publiée peu de temps après l'exécution. 1757, auteur inconnu.

Le combat va-t-il reprendre les jours suivant ? Mais Byng qui n’a pas de troupes avec lui n’est de toute façon pas en mesure de faire cesser le siège, même s’il bat la flotte française. Le 23 mai, l’escadre anglaise se replie sur Gibraltar, la citadelle et ses 3 000 défenseurs capitule peu après (29 juin). C’est la victoire côté français, et elle aurait pu être encore plus éclatante si La Galissonière avait poursuivi Byng en retraite vers Gibraltar, mais l’amiral français dont la santé décline et la vue est mauvaise préfère rentrer sur Toulon où il arrive le 16 juillet. On ne sait pas grand-chose du comportement de Suffren lors de ce combat, mais il est mentionné par la Galissonière dans un groupe de sept lieutenants de vaisseaux qui semblent posséder « quelques connaissances ou dispositions pour le métier »[54].

À Londres, c’est la consternation, d’autant que les nouvelles du Canada ne sont pas bonnes non plus : les Français s’étaient emparés le 14 août du fort Oswego, principal point d’appui des Anglais sur le lac Ontario[55]. La victoire française à Minorque risquait aussi de pousser l’Espagne à sortir de sa neutralité et à se rapprocher de Versailles. Louis XV en profitait même pour débarquer des troupes en Corse, avec l’accord de la République de Gênes (propriétaire de la Corse) pour y devancer toute tentative anglaise.

Il fallait trouver un responsable, ou plutôt un bouc émissaire à ces défaites : ce fut le malheureux amiral John Byng qui fut traîné en cour martiale, condamné à mort pour « manquement à n'avoir pas fait l'impossible » ("He had failed to do his utmost") pour soulager le siège de Minorque, et fusillé sur le pont d’un vaisseau de guerre[56]. La défaite provoquait aussi la chute du gouvernement anglais et la formation d’un nouveau cabinet mené par William Pitt, représentant du lobby colonial et marchand, nationaliste ardent et passionnément anti-français. La guerre n’en était visiblement qu’à ses débuts[57].

1757-1758 : La Royal Navy en marche vers l’absolutisme naval

La capture du Foudroyant par le HMS Monmouth, le 28 février 1758, vue par le peintre F. Swaine (1725-1782). National Maritime Museum, Londres. Suffren assiste impuissant à la prise de ce grand vaisseau et de son second, l'Orphée, venu secourir l'escadre française réfugiée à Carthagène.

En 1757, Suffren passe sur la Pléiade à Toulon, alors que s’arme une escadre pour Saint-Domingue et le Canada. Mais les rafles anglaises sur les matelots français commencent à faire sentir leur effet[58]. Il faut six mois au chef de l’escadre La Clue pour armer la petite division de 6 vaisseaux et 2 frégates. Il faut ajouter que les équipages provençaux, qui n’ont pas reçu leur solde depuis plus d’un an désertent en masse. Suffren embarque sur le navire amiral, l’Océan, un beau vaisseau neuf de 80 canons. La division part enfin de Toulon en décembre, pour se heurter à Gibraltar aux seize vaisseaux de l’anglais Holburne qui barrent le passage. La Clue n’ose pas tenter de passer en force et se réfugie dans le port de Carthagène le 7 décembre, poursuivi par la Royal Navy qui entame aussitôt le blocus du port malgré la neutralité espagnole. L’escadre doit hiverner en Espagne. Suffren assiste le 28 février 1758 en trépignant de rage et d’impuissance à la saisie de deux vaisseaux venus de Toulon en renfort. Les deux navires livrent un long combat devant le port, sous les yeux de la population de la ville et des équipages de la flotte. La Clue n’a pas bougé pour tenter de secourir les deux vaisseaux.[59] Suffren en est si outré qu’il en conservera toute sa vie un souvenir d’indignation lorsqu’il évoquait l’événement. L’escadre de La Clue rentre finalement sur Toulon en mai 1758, poursuivie par Boscawen.

Vue de Louisbourg assiégée en 1758, par le peintre Pierre Canot (1710-1777) en 1762.

La Marine entrait dans l’ère des défaites, même si l’année 1757 faisait encore illusion avec la victoire des Français à fort Carillon[60] le 8 juillet 1758, et la défense victorieuse de Louisbourg par l’escadre de Dubois de La Motte[61]. En 1758 les liaisons avec les Antilles, le Canada, l’océan Indien étaient presque rompues. Les renforts n'atteignent plus la Nouvelle-France et les Antilles qu'au compte-gouttes. Toulon, en panne de matelots restait inactive alors que Brest était ravagée par une épidémie de typhus qui rendait impossible tout armement dans le port breton[62]. La Royal Navy insultait les côtes françaises avec ses tentatives de débarquement, ses bombardements[63], et s’arrogeait pour finir le droit de contrôler tout navire en mer, y compris neutre pour en saisir sa cargaison si elle était française. Laissée sans secours, la forteresse de Louisbourg capitulait le 26 juillet 1758, ouvrant les portes du Canada aux Anglais et les comptoirs français du Sénégal étaient pris en décembre. Le pire restait pourtant à venir.

1759, l'année des défaites

En 1759 on décide à Versailles de laver toutes ces insultes en frappant un grand coup : envahir l’Angleterre en y débarquant une forte armée. Il faut pour cela que l’escadre de Toulon rejoigne celle de Brest pour protéger l’embarquement de l’armée d’invasion sur une grande flotte de transport[64]. À Toulon on arme comme on peut une escadre de 12 vaisseaux et 3 frégates. Retards et contretemps s’accumulent. La Clue en prend de nouveau le commandement et appareille le 5 août 1759 avec des équipages de fortune et des officiers à court d’entraînement[65]. Suffren embarque à nouveau sur l’Océan (80), le navire amiral, et sert sur la première batterie. L’escadre réussit à passer dans l’Atlantique en longeant les côtes marocaines alors que Boscawen fait relâche à Gibraltar pour réparer plusieurs navires, suite à une attaque ratée sur Toulon. Mais une frégate anglaise repère l’escadre le 17 août et Boscawen lance aussitôt la poursuite avec 14 (ou 15) vaisseaux.

La bataille de Lagos (1759), le 18-19 août 1759. Edward Boscawen poursuit l'escadre française de La Clue qui se disloque après le passage de Gibraltar. Malgré la neutralité portugaise, les vaisseaux français réfugiés à Lagos sont pris ou incendiés. Pour Suffren, c'est la deuxième captivité en Angleterre qui commence.

Côté français, c’est la confusion : l’escadre se disloque au large de Cadix, suite à des signaux défectueux pendant la nuit. 5 vaisseaux et les 3 frégates se réfugient dans le port espagnol, laissant l’escadre de La Clue à 7 vaisseaux, soit à un contre deux. Commence alors une dramatique poursuite. La Clue qui remonte lentement vers le nord voit apparaître les voiles anglaises au matin du 18, mais pense d’abord qu’il s’agit de ses vaisseaux qui se sont égarés au large de Cadix. Il est vrai que Boscawen qui n’en est plus à une ruse près avance sans pavillon. Lorsque La Clue se rend compte du piège, il ordonne de mettre toutes les voiles dehors pour décrocher, mais l’escadre doit attendre le Souverain (74 canons), plus lent que tous les autres. La bataille-poursuite s’engage vers 14 heures lorsque les Anglais qui profitent de leur supériorité écrasante remontent la ligne française sur les deux bords, prenant entre deux feux les 6 derniers vaisseaux. Le Centaure (74 canons) se sacrifie pour tenter de couvrir la fuite de l’escadre et livre un combat acharné, ("a very gallant resistance" diront plus tard les Anglais)[66]. Il doit finalement se rendre, totalement désemparé après avoir essuyé le feu de 5 vaisseaux anglais qui se sont jetés sur lui. Sacrifice inutile car Boscawen, sur le HMS Namur (90 canons) rejoint l’Océan vers 16h00. Le combat est furieux, les deux navires se démâtent mutuellement. Totalement pour le Namur, que doit abandonner Boscawen pour un autre navire, le HMS Newark (80), alors que l’Océan qui a tiré plus de 2 500 boulets dispose encore d’une partie de sa voilure et réussit à se dégager. Les pertes sont lourdes, 100 hommes tués sur place et 70 blessés, dont La Clue, grièvement blessé aux deux jambes[67]. Le combat cesse avec la nuit. En fin de compte, avec un seul vaisseau perdu, les Français ont fort bien résisté à l'écrasante supériorité anglaise.

Deux vaisseaux français, le Souverain (74) et le Guerrier (74) profitent de l’obscurité pour se sauver et abandonnent leur chef[68]. A l’aube, l’escadre française se trouve donc réduite à 4 bâtiments. C'est la consternation. La Clue, toujours soigné dans l'entrepont -et qui va perdre une jambe- se laisse convaincre par son second, le comte de Carné, qu'il n'est plus possible de soutenir un nouveau combat et qu'il vaut mieux chercher refuge dans les eaux neutres du Portugal. L'escadre parvient à se traîner dans la baie d’Almadora près de Lagos. Peine perdue, au mépris de la neutralité du Portugal, Boscawen vient l’y débusquer. Le dernier acte du drame occupe encore la journée du 19 août, près des deux petits fort d’Almadora. L’Océan, et le Redoutable s'échouent sous voiles et mettent leurs embarcations à l'eau. On coupe ensuite les mâtures pour éviter que les coques ne se disloquent trop vite alors que les soutes commencent à être noyées. L'évacuation s'avère difficile. Les canots de l'Océan se brisent sur la plage et seule une chaloupe reste utilisable alors que les Anglais approchent et ouvrent le feu. Pour éviter des pertes supplémentaires, Carné fait amener le pavillon alors qu'il reste encore à bord 160 hommes et que le navire menace de chavirer. Les Anglais évacuent les prisonniers puis incendient le vaisseau.[69]. Le deuxième vaisseau, le Redoutable subit le même sort, une partie de l'équipage parvenant à gagner la terre et l'autre étant capturée.

Les deux derniers vaisseaux, le Téméraire (74) et le Modeste (64) vont mouiller sous les murs des forts, pensant y trouver refuge. La Clue, qui a pu débarquer sur son brancard, envoie un émissaire aux Portugais pour leur demander de protéger les deux navires. Ces derniers tirent mollement quelques coups de canons qui ne gênent en rien les Anglais : les deux vaisseaux sont saisis intacts, sans avoir pu s’incendier[70]. Mais que pouvait-on attendre d’un pays qui avait signé depuis 1702 des accords diplomatiques très favorables avec l’Angleterre ? Les amiraux anglais se sont donc autorisés à évoluer dans les eaux portugaises comme si ils avaient été au large de Plymouth... Suffren, qui était dans le groupe d’hommes capturé sur l’Océan, se retrouve prisonnier une deuxième fois. Il est débarqué à Gibraltar avec ses compagnons d’infortune. Comme tous les officiers il y est très bien traité, mais il doit supporter de nouveau le spectacle humiliant des vaisseaux français capturés sous les cris de victoire anglais. Pierre-André va rester prisonnier plusieurs mois en Angleterre alors que la marine française connait l’une de ses pires périodes.

Le 20 et 21 novembre 1759 l’escadre de Brest (21 vaisseaux et 5 frégates sous les ordres de Conflans) est vaincue, dispersée à la bataille des Cardinaux près de Quiberon, d’ailleurs sur un schéma voisin de Lagos. Un mélange d’incompétence et de désobéissance du côté des officiers français permettant à l’escadre anglaise de Hawke, pourtant à peine plus nombreuse (23 vaisseaux) d’emporter la victoire. Deux vaisseaux français sombrent car on à laissé ouvert les sabords de la batterie basse alors que les deux unités étaient très inclinées ( ! ). Plusieurs vaisseaux abandonnent froidement leur chef et se sauvent avant le combat. Deux vaisseaux sont pris, deux autres, dont le Soleil Royal, le navire amiral sont incendiés à la côte. Les survivants se réfugient dans l’entrée de la Vilaine ou à Rochefort. A l’issue de ces deux batailles, la marine royale a perdu 11 vaisseaux par capture ou destruction et ses unités restantes sont dispersées dans les ports français ou étranger. Elle n’existe plus en tant que force organisée combattante, laissant le champ libre à la Navy dans les eaux françaises[71].

C’en était fini du projet d’invasion de l’Angleterre, alors que la Guadeloupe et la Martinique tombaient aussi (1er mai 1759 et janvier 1762), avec Québec (14 septembre 1759), avant que le Canada ne soit entièrement pris (capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760), puis les Indes avec la chute de Pondichéry (15 janvier 1761). Il n’y avait plus que quelques petites divisions qui réussissaient à tromper le blocus anglais. On peut bien parler d’absolutisme naval : avec une organisation sans faille, une discipline de fer sur ses vaisseaux, et sans aucun scrupule sur les méthodes diplomatico-militaires, la Royal Navy avait atteint la maîtrise des mers. L’Espagne qui avait rejoint la France dans la guerre depuis le 2 janvier 1762 regrettait amèrement son choix : la Royal Navy triomphante s’emparait de La Havane (13 août 1762), faisait la conquête de la Floride, puis de Manille (22 septembre 1762), et capturait les deux galions transpacifiques[72].

En attendant la revanche (1763-1777)

Le retour des prisonniers

Un ponton, vu par l'illustrateur Louis le Breton au milieu du XIXe siècle. Entre 1755 et 1763, 60 000 marins français croupissent dans ces prisons flottantes. Plus de 8 000 y périssent. Suffren échappe cependant aux pontons grâce à sa qualité d'officier.

La paix revient en 1763. Le traité de Paris (10 février 1763) entérine la liquidation politique et militaire de la présence française en Amérique du nord et en Inde. On s’estime plus qu’heureux à Versailles d’avoir pu récupérer la Guadeloupe et la Martinique aux Antilles, plusieurs comptoirs sur la côte africaine, et cinq comptoirs sans fortifications sur les côtes indiennes, l’objectif étant de conserver ce qui a le plus d’intérêt économique[73].

Suffren rentre d’Angleterre en 1761, libéré sur parole, lors d’un échange d’officier. Il était revenu de sa première captivité avec un vif sentiment anti-anglais. Deux ans de captivité supplémentaire n’ont rien arrangé, mais cette fois il n’est plus seul, toutes les façades maritimes françaises réclament vengeance contre l’Angleterre. Les méthodes de ratissage de la Royal Navy, en haute mer et au plus près des côtes ont fortement contribué à sa victoire. Elles ont aussi rempli les prisons anglaises de milliers de marins capturés. Pour faire des économies, l’Angleterre a enfermé les captifs dans d’anciens vaisseaux déclassés dont les sabords ont été grillagés : les pontons. Les conditions de détention y sont absolument épouvantables. Sur les 60 000 marins enfermés, 8 500 sont morts, (dont 5 800 de 1756 à 1758), au point que même l’opinion publique anglaise s’en est émue. Les survivants, qui rentrent après la paix « en garderont une haine extraordinaire vis-à-vis des Anglais, haine qui perdurera pendant les guerres d’Amérique, de la Révolution et de l’Empire »[74]. Une haine qui irrigue tous les ports français, mais pas seulement. L'opinion publique intérieure marquée par cette guerre ruineuse et humiliante connaît un fort sursaut patriotique et réclame elle aussi revanche. La question ne laisse pas indifférent non plus les milieux philosophiques : « Philosophes de tous les pays, amis des hommes, pardonnez à un écrivain français d’exciter sa patrie à élever une marine formidable » s’écriait l’abbé Raynal.[75]

En attendant une hypothétique revanche, Suffren doit respecter sa parole : ne plus se battre jusqu’à la fin du conflit. Nous sommes en 1761 et la guerre est encore loin d’être achevée. Il lui est bien-sûr impossible de cesser de naviguer alors qu’il a littéralement la navigation dans le sang, mais il faut bien tenir parole. Après avoir rédigé un Mémoire sur les moyens d’attaquer Gibraltar[76], il retourne à Malte pour s’engager de nouveau sur les navires de l’Ordre. Il y reprend ses croisières en Méditerranée, pour protéger les navires marchands et faire la chasse aux Barbaresques. Pierre-André de Suffren devient Chevalier-Profès avant de reprendre du service, la paix revenue, dans une marine royale en pleine reconstruction.

Suffren entre l'Ordre de Malte et la nouvelle marine

Le Bretagne, fier trois-ponts (100 canons à son lancement puis 110 en 1781) issu du "don des vaisseaux" des années 1760, incarne avec les 16 autres unités construites la volonté de revanche des Français après les défaites de la Guerre de Sept Ans. (maquette exposée au musée naval de Brest)

À Versailles, le principal ministre de Louis XV, le duc de Choiseul, partage aussi l’idée d’une revanche nécessaire contre l’Angleterre et engage avec détermination la reconstruction de la Marine. Choiseul fixe en 1763 l’objectif très ambitieux de porter la flotte à 80 vaisseaux et 45 frégates[77], chiffre irréaliste compte tenu de l’état des finances royales après cette guerre ruineuse. Le très populaire ministre, surfe donc sur le sentiment patriotique pour faire payer par les provinces, les grandes villes et les corps constitués (Fermiers généraux, chambres de commerce) la mise en chantier de nouveaux navires. C’est le « don des vaisseaux », qui apporte à la flotte 17 vaisseaux de ligne et 1 frégate[78]. Choiseul réforme aussi la direction des ports et des arsenaux (1765) et dans une moindre mesure la formation des officiers qui reste insuffisante en temps de paix. En 1772 on arme une escadre d’évolution destinée à l’entrainement.

Un seul personnage reste très prudent : le roi. Louis XV, profondément marqué par les épreuves de la guerre déclare en 1763 à Tercier, l’un de ses intimes : « Raccommodons-nous avec ce que nous avons pour ne pas être engloutis par nos vrais ennemis. Pour cela, il ne faut pas recommencer une nouvelle guerre »[79]. Louis XV est plus préoccupé par l’agitation intérieure des Parlements (tribunaux) qui minent son autorité depuis des années, que par la revanche sur l’Angleterre. En 1770 Louis XV renvoie Choiseul qui est sur le point de déclencher la guerre, et les crédits pour la Marine restent très au-dessous des besoins. La revanche attendra un nouveau roi.

Navire de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ou « Ordre de Malte ». Libéré sur parole en 1761 après deux ans de captivité en Angleterre, Suffren reprend aussitôt du service sur les navires à voiles latines de l'Ordre.

Suffren obtient en 1764 son premier commandement : un chébec[80] d’une vingtaine de canons, le Caméléon pour protéger le commerce en Méditerranée contre les Barbaresques. Il participe ensuite sur un autre chébec, le Singe à l’expédition du comte Louis Charles du Chaffault de Besné[81] qui bombarde Salé en 1765 en représailles contre les corsaires musulmans et tente de débarquer à Larache. Suffren s'y distingue en détruisant le 25 juin un navire dans le port de Larache. Cette terre du Maroc qu'il vient par là de découvrir, le fascine et il veut y retourner. Suffren qui commande la frégate l’Union obtient d'accompagner en 1767 Pierre Hodenau, seigneur de Breugnon, Chef d’escadre des armées navales du Roi, ambassadeur de France auprès du sultan du Maroc, lors des négociations pour la signature du traité de paix et d’amitié franco-marocain signé en 1767. Suffren trace des plans des côtes du Maroc et surtout de l'Algérie en vue d’une future invasion[82]. Il rédige aussi un Mémoire sur le Maroc.

Au retour de cette campagne, Suffren qui semble se chercher, retourne à Malte faire de nouveau la chasse aux barbaresques. Il embarque sur une galère de la Religion, la Saint-Antoine[76]. Ses qualités de marin et de commandant, désormais remarquées lui valent d'être élevé au grade de commandeur de l'Ordre de Malte. Avec l'escadre de Malte dont il fait partie et une division française commandée par le comte de Broves il participe à une opération conjointe sur les côtes de Tunisie (pilonnage des ports et installations militaires de Tunis et de Bizerte).

En 1772, à 43 ans il est enfin capitaine de vaisseau et reçoit le commandement de la frégate la Mignonne au Levant en 1772-1773 et 1774-1775. Il fait une croisière à Saïda, aux Échelles du Levant, à Smyrne, dans les îles grecques toujours pour protéger le commerce. Puis il commande une nouvelle frégate, l’Almacène en escadre d'évolution (1776) et navigue des côtes du Maroc à Ouessant[76], alors que la guerre est sur le point de reprendre entre la France et l’Angleterre.

Suffren dans la guerre d'Amérique : l'ascension vers les hautes responsabilités (1778-1780)

Louis XVI (1754-1793) en 1776, vu par le peintre Duplessis. Le jeune souverain suit attentivement les affaires navales. Les crédits pour la marine de guerre décuplent pendant son règne.

En 1774, à la mort de Louis XV la France aligne 62 vaisseaux et 37 frégates. C’est un net redressement, mais on est encore très au-dessous des objectifs affichés en 1763. Cependant, le nouveau souverain, Louis XVI se montre beaucoup plus réceptif à l’idée de revanche sur l’Angleterre que son prédécesseur. Le contexte est donc nettement plus favorable, d’autant que le jeune souverain est aussi amateur de géographie et suit attentivement les questions navales. Les crédits se mettent à abonder, d’autant que la tension remonte lentement entre la France et l’Angleterre. Le 4 juillet 1776, les treize colonies anglaises d’Amérique, en révolte contre les impôts et la présence militaire anglaise permanente proclament leur indépendance. Les « Insurgents » qui manquent de tout, se tournent vers l’ancien ennemi de la guerre précédente : la France, qui leur prête d’abord une oreille prudente, puis attentive, et s’engage progressivement dans le conflit. L’occasion d’affaiblir l’Angleterre est trop belle et le gouvernement français ne peut pas la laisser pas passer. Louis XVI reçoit fort aimablement l'envoyé du Congrès américain, Benjamin Franklin, venu solliciter l'aide de la France, laisse des corsaires américains opérer depuis les ports français, autorise des volontaires français (La Fayette et de nombreux autres jeunes nobles) à aller se battre outre-Atlantique, livre secrètement des armes, et finit par reconnaître les États-Unis en février 1778 après la défaite d’une armée anglaise à Saratoga. C’est la rupture : le 17 juin 1778, la nouvelle guerre franco-anglaise s’engage avec l’attaque de la frégate anglaise l’Aréthuse contre la frégate française La Belle Poule, qui résiste vaillamment.

La déclaration de guerre déclenche un torrent d’euphorie guerrière qui parcourt tout le pays : "L'enthousiasme des foules était à son comble, témoin de la force inouïe du patriotisme et du désir unanime de gloire des Français" note J.-C. Petitfils[83] . On a le sentiment que la marine française est enfin capable de se mesurer à la Royal Navy et d'effacer la honte du précédent conflit. La mobilisation navale va dépasser tout ce que la France a connu jusque-là en matière de guerre outre-mer. À Brest, Toulon, Rochefort, les arsenaux vont bruisser presque jour et nuit de l’armement des escadres.

Versailles à la recherche d'une stratégie

Un vaisseaux de 64 canons du même type que le Fantasque dont Suffren reçoit le commandement en 1777 et avec lequel il combat pendant les deux premières années de la Guerre d'Indépendance Américaine. (Musée national de la Marine, Paris)

L’Angleterre qui doit fixer des forces navales et terrestres considérables en Amérique du Nord a perdu l’initiative du conflit et n’est plus en mesure de rééditer la rafle de 1755 qui lui avait grandement facilité la victoire. Côté français on hésite cependant sur la stratégie à suivre car il reste un écart numérique non négligeable en faveur de la Royal Navy, et le ministre de la marine, Antoine de Sartine n’est pas absolument certain de la qualité de l’entrainement des officiers. Louis XVI et son ministre des affaires étrangères, Vergennes, restent de leur côté persuadés qu’il faudra solliciter l’alliance espagnole pour établir une balance des forces plus favorable, mais à Madrid il n’est absolument pas question d’apporter le moindre soutien aux « Insurgents ». Certes, on a rien oublié des humiliations de la guerre de Sept Ans, mais on craint encore plus un effet de contamination révolutionnaire dans les colonies espagnoles.

Le roi finit par approuver la stratégie proposée par le ministre de la marine qui propose d’utiliser séparément les escadres de Brest et de Toulon. La puissante escadre de Brest (30 vaisseaux et 16 frégates), confiée à l'amiral Louis Guillouet d'Orvilliers, reçoit pour mission de combattre dans la Manche en vue de préparer une éventuelle invasion de l’Angleterre, et surtout de convaincre les Espagnols (qui doutent des capacités navales de la France) d’entrer en guerre. L’escadre de Toulon, plus modeste (12 vaisseaux et 5 frégates) doit franchir l’Atlantique pour aller prêter main forte aux « Insurgents » et si possible obtenir un succès décisif qui pousserait l’Angleterre vers la table des négociations. Mission tout à fait considérable, mais jouable à condition de préserver l’effet de surprise sur les escadres anglaises divisées entre New-York et Halifax[84]. Suffren, qui depuis 1777 commande le Fantasque, un 64 canons, se trouve intégré à l'escadre et va pouvoir participer à cette première année de guerre en Amérique.

Suffren dans l'océan Atlantique (Côtes américaines et Antilles)

Sous les ordres de d'Estaing

Charles Henri d'Estaing (1729-1794) assure le commandement de l'escadre envoyée en Amérique du Nord et aux Antilles en 1778-79. Il apprécie Suffren et reconnait ses talents de marin et de chef. L'inverse n'est cependant pas vrai, même si les deux hommes se retrouveront "frères" dans la même loge maçonnique après la guerre...[85].

C’est un curieux personnage qui reçoit le commandement de l'escadre. Charles Henri d'Estaing (1729-1794) est en 1778 un vice-amiral qui a connu une carrière fulgurante depuis la guerre de Sept Ans. Il avait combattu lors de ce conflit sous les ordres de Lally-Tollendal avant de s’improviser marin et de mener une active guerre de course dans l’Océan indien où il avait saccagé de nombreux comptoirs anglais. Ces victoires remarquées -dans cette guerre où la France essuyait de dures défaites- lui avaient valu de très rapides promotions dans l’armée de terre puis la marine. Victoires et promotions qui masquaient mal ses graves défauts. Le personnage, fier de sa réussite et grisé de ses succès passés était péremptoire, cassant, maladroit, démagogue... Il s’était très vite attiré par ses critiques et remarques désobligeantes l’inimitié du corps des officiers, dont beaucoup étaient plus âgés que lui[86]. Mais c’était aussi un excellent courtisan qui avait su entrer dans l’amitié de feu Monseigneur le Dauphin, père du futur Louis XVI. C’est de là que venait sa nomination au commandement de l’escadre : le jeune roi l’avait choisi car il était sur la liste des personnes à promouvoir que lui avait laissé son père...

D’Estaing et Suffren se rencontrent à Toulon en 1778 lorsque le bailli, qui commande le Fantasque vient se placer sous ses ordres. Une rencontre déterminante pour Suffren, car d’Estaing qui apprécie et reconnait rapidement les talents de son subordonné ne va plus cesser de rendre des rapports élogieux à son égard, alors même que Suffren restera toujours très critique vis-à-vis de son chef[87].

L’escadre dont dispose d’Estaing n’est pas de première main. La moyenne d’âge de ces 12 vaisseaux est de 21 ans. Le plus récent, le César a été mis sur cale 11 ans plus tôt. L’un des deux vaisseaux de 80 canons, le Tonnant est un vétéran de 38 ans d’âge qui a traversé deux guerres dont une bataille acharnée à laquelle le jeune Suffren avait participé, le combat du cap Finistère en 1747 (voir plus haut). Quant au Languedoc, le vaisseau amiral mis en chantier 16 ans plus tôt lors du « don des vaisseaux » il n’a encore jamais navigué... Les 5 frégates qui complètent l’escadre constituent une force d’éclairage très convenable, même si, comme toujours, il faudra aligner la marche de l’escadre sur le navire le plus lent[88]. Le Fantasque embarque au total 627 hommes, en comptant les troupes de marine, les officier, sous-officiers, les mousses... L’essentiel des matelots viennent des côtes provençales et languedociennes, ce qui n’est pas pour déplaire à Suffren.

L'escadre appareille pour l’Amérique le 13 avril 1778 (alors que la guerre n’est même pas encore officiellement déclarée)[89]. D’Estaing dispose d’ordres qui lui laissent presque carte blanche. Versailles lui recommande d’attaquer les ennemis « là où il pourrait leur nuire d’avantage et où il le jugerait le plus utile aux intérêts de Sa Majesté et à la gloire de ses armes ». On lui recommande encore de ne pas quitter les côtes américaines avant d’avoir « engagé une action avantageuse aux Américains, glorieuse pour les armes du roi, propre à manifester immédiatement la protection que Sa Majesté accorde à ses alliés »[90]. L’escadre embarque aussi Silas Deanes, député du Congrès américain et le comte Conrad Alexandre Gérard, ministre plénipotentiaire du roi auprès du Congrès.

La traversée est interminable. A cause des alternances de calme et de vents contraires, l’escadre met 33 jours pour atteindre Gibraltar (16 mai) puis encore 51 jours pour traverser l’Atlantique. D’Estaing, qui n’écoute personne a trouvé le moyen de prendre la plus mauvaise route[91] puis de perdre encore beaucoup de temps à organiser des exercices de manœuvre dans l’Atlantique. Il arrive à l’embouchure de la Delaware le 7 juillet après plus de 80 jours de traversée... L’effet de surprise est perdu, même si pour se consoler on détruit deux frégates. Howe s’est retiré le 28 juin avec ses 9 vaisseaux pour regrouper ses forces avec celles de Byron, soit 20 vaisseaux. D’Estaing, après avoir débarqué les deux émissaires franco-américains à Chester (près de Philadelphie) se présente devant New-York. Mais la ville est défendue par les 12 000 hommes du général Henry Clinton et les pilotes américains font remarquer que le fond manque pour laisser accéder les plus gros vaisseaux à la baie intérieure de New-York. D’Estaing, prudent, refuse de forcer les passes de la ville et concocte un nouveau plan avec G. Washington (auquel collabore La Fayette).

Echec à Newport (1778)

Entrée de l'escadre française dans la baie de Newport le 8 août 1778. Suffren s'illustre lors de cette attaque en forçant 5 frégates anglaises à s'échouer et à s'incendier (Lavis de Pierre Ozanne, 1778).

Le 12 juillet la flotte prend la direction de l’importante base anglaise de Newport dans le Rhode Island. Mais la coordination avec les troupes américaines du major général Sullivan se passe mal, et le siège, face aux 6 000 anglais qui défendent la ville est un échec. Cette bataille (8-10 août) fournit pourtant à Suffren l’occasion de s’illustrer de la plus brillante façon. Avec son navire, le Fantasque et trois frégates, il réussit à pénétrer dans la rade de Newport et s’embosse si près des Anglais qu’il provoque la panique dans leurs rangs : ils échouent leurs 5 frégates et leurs 2 corvettes et y mettent le feu (ainsi qu’à plusieurs magasins de matériels). « Bravo Suffren » lui aurait crié d’Estaing à son retour. C’était le seul motif de réjouissance de cette opération qui pour le reste échouait totalement.

La Royal Navy fait son apparition le 9 août, en forte supériorité numérique, mais la météo qui s’en mêle empêche les deux flottes d’en venir aux mains : une violente tempête qui dure quarante-huit heures (11-12 août) oblige d’Estaing, à faire route vers Boston -l’un des rares grands ports aux mains des « Insurgents »- pour se ravitailler et réparer. On est pas passé loin d'un catastrophe : plusieurs vaisseaux souffrent de graves avaries dont le Languedoc que monte d'Estaing. Ce dernier a été démâté et privé de gouvernail par la tempête puis attaqué par un navire isolé de la Navy dans l'après-midi du 13 août[92].

Ce port est pourtant un haut-lieu de l'agitation indépendantiste. La gravure nous montre une escadre anglaise débarquant des troupes avant le conflit, lesquelles étaient détestées de la population.
Le port de Boston en 1768, par l'illustrateur Paul Revere. La population réserve un accueil mitigé à l'escadre française venue réparer ses avaries après l'échec devant Newport.

Une nouvelle déconvenue attend les Français : l’accueil plutôt glacial de la population bostonienne. Si la cause américaine était populaire en France, l’inverse n’était pas tout à fait vrai pour ce qui est de l’aide française... Les Américains se méfient de ces nouveaux venus, réputés pour être des coureurs de jupons légers et frivoles. La population, profondément protestante se méfie aussi de ces Français « papistes » (catholiques) autrefois leurs ennemis dans les précédentes guerres. Les rixes entres entre Bostoniens et marins français sont fréquentes[93]. Une véritable crise de confiance semble même saisir les deux alliés après le retrait devant Newport que les Américains considèrent comme « dérogatoire à l’honneur de la France, contraire aux intentions du roi et aux intérêts de la nation américaine » [94]. Il faut tout le sens diplomatique de George Washington, bien secondé par La Fayette, pour appaiser ces tensions, alors que côté Français on se plaint du manque d’esprit de coopération des nouveaux alliés, qui parlent fort, exigent beaucoup et n’ont que peu de moyens matériels. Les eaux de la côte américaine sont aussi inconnues des marins français qui dépendent des pilotes américains, à la fiabilité pas toujours certaine. On se rend compte aussi que le port de Boston n’est absolument pas équipé pour entretenir des grands bâtiments de combat et il faut tout improviser.

Les semaines passent et il faut bien se rendre à l’évidence : l’escadre française est au point mort. D’Estaing n’a aucun plan de rechange et semble frappé d’inertie. Ses subordonnés tentent alors de lui en souffler d’autres, à commencer par Suffren qui propose une attaque sur Terre-Neuve, puis c’est La Fayette qui pousse à une attaque sur la base anglaise d’Halifax en Nouvelle-Écosse[95]. D’Estaing refuse les deux projets alors que la Royal Navy qui croise au large, ne cesse de renforcer ses effectifs[96]. Les chances pour l’escadre française d’entreprendre quoi que se soit de victorieux en Amérique du Nord s’amenuisent de jour en jour. En novembre, d’Estaing sort enfin de sa torpeur et appareille (le 4) pour la Martinique en profitant d'un méchant coup de vent qui disperse l'escadre anglaise qui tournait devant Boston. Le 9 décembre d'Estaing arrive enfin à la Martinique.

Suffren et le maigre bilan de la campagne 1778

Le 15 décembre 1778 les 12 vaisseaux de d'Estaing (à gauche) surprennent au mouillage à Sainte-Lucie les 7 vaisseaux de Barrington (à droite). Malgré les conseils de Suffren, d'Estaing préfère débarquer ses troupes plutôt qu'engager la bataille navale...

Les Antilles étaient la seule source de victoire pour la France, mais sans d’Estaing, puisqu’entre temps, (en septembre) le marquis de Bouillé, gouverneur général des Iles du Vent avait attaqué victorieusement avec 3 frégates, une corvette et deux régiments l'île de la Dominique, perdue en 1763. C’était presque une leçon d’efficacité militaire administrée à d’Estaing qui disposait de moyens bien supérieurs.

Cette victoire est rapidement contrebalancée par l’amiral Barrington, commandant de la division navale des Antilles qui profite des renforts apportés de New-York pour attaquer Saint-Lucie le 13 décembre. Le gouverneur de l’île, M. de Micoud qui n’a que de faibles forces à opposer aux 5 000 « tuniques rouges » qui ont débarqué, se replie vers l’intérieur de l’île. Sainte-Lucie est voisine de la Martinique. Il faut réagir immédiatement. D’Estaing appareille aussitôt en embarquant 3 000 hommes de troupe et se présente dès le 15 décembre devant l’île. Il découvre l’escadre anglaise embossée à l’entrée de la baie du grand Cul-de-sac : 7 vaisseaux ou frégates et une poignée de petites unités. Les Français disposent de 12 vaisseaux. C’est une occasion unique d’attaquer et d’anéantir la division anglaise, même si celle-ci peut compter sur le soutien d’une forte batterie côtière. Peine perdue, on se contente de deux lointaines canonnades malgré les supplications de Suffren. L’ancien corsaire, qui garde une mentalité d’homme de l’armée de terre, préfère débarquer son contingent un peu plus loin avec des pièces d’artillerie de marine et tenter un assaut en règle, le 18 décembre. C’est un sanglant échec qui coûte la vie à 800 hommes, dont 40 officiers tués ou blessés. Suffren, extrêmement inquiet fait remarquer que les vaisseaux français désarmés par le débarquement d’une partie de leur artillerie et de leurs équipages sont maintenant extrêmement vulnérables si vient à se présenter l’escadre de Byron dont on sait qu’elle croise dans le secteur[97]. Le bailli conseille à son chef de ré-embarquer et d’attaquer les 7 vaisseaux anglais au mouillage avant l’arrivée de Byron, contre qui on pourra se retourner après[98]. D’Estaing rembarque donc, mais pas pour attaquer. Le 24 décembre il lève l’encre et regagne piteusement Fort-Royal (aujourd’hui Fort-de-France), contraignant la garnison de Sainte-Lucie à la reddition. Cet « échec inexcusable[99] » livre aux Anglais un excellent mouillage aux portes de la Martinique que la Royal Navy saura utiliser à son avantage[100].

Compte tenu des objectifs affichés au début de l’année pour cette campagne navale (voir plus haut) on n’était pas très loin du fiasco. D’Estaing s’était révélé un chef hésitant, pusillanime et incapable de tirer parti des circonstances[101]. Dans sa correspondance, Suffren laisse éclater sa colère et son dépit : « Notre campagne a été un enchaînement de vicissitudes, de bonheur, de malheur et de sottises. Depuis 35 ans que je sers, j’en ai beaucoup vu, mais jamais en aussi grande quantité. On ne pourrait imaginer les sottes manœuvres qui ont été faites ; les conseils sots et perfides qui ont été donnés. Enfin, on m’a su mauvais gré d’avoir été d’avis d’attaquer avec 12 gros vaisseaux 7 petits, parce qu’ils étaient défendus par quelques batteries à terre. Je suis on ne peu plus dégoûté de tout ceci, et j’ai bien regret de n’avoir été à Malte »[102]. « Jamais campagne n’a été aussi ennuyeuse ; nous avons eu la douleur d’avoir les plus belles occasions et de n’avoir profité d’aucune et nous avons la certitude de n’être capables de rien » juge encore sans appel l’impétueux Bailli[103].

Notons que de l’autre côté de l’Atlantique l’escadre de Brest conduite par l'amiral Louis Guillouet d'Orvilliers avait rencontré plus de succès en défaisant le 27 juillet 1778 la Royal Navy au large d’Ouessant. Cette belle victoire (non exploitée militairement) rassurait l’Espagne qui s’acheminait vers la guerre contre l’Angleterre. Le reste de l’Europe pouvait constater que si la marine de Louis XVI n’avait pas (encore) pu vaincre, les mers n’étaient cependant plus sous total contrôle anglais comme en 1763[104].

L'affaire de la Grenade, ou la victoire sans lendemain (1779)

La bataille de la Grenade, le 6 juillet 1779, vue par le peintre Jean-François Hue, (Musée national de la Marine, date inconnue). L'occasion manquée de détruire la flotte anglaise, malgré les conseils de Suffren à d'Estaing. A gauche, les vaisseaux français en ligne de file. A droite, les vaisseaux anglais désemparés par le tir croisé des Français.

L’arrivée de deux flottilles de renforts permet cependant à d’Estaing de reprendre l’offensive et de s’emparer en février 1779 des îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy, au nord de la Guadeloupe. Puis c’est de nouveau l’inaction jusqu’en juillet avec l’arrivée d’un très important convoi de 45 navires marchands escortés de 5 vaisseaux de guerre. D’Estaing estime alors avoir suffisamment de forces pour s'attaquer à l'île de la Grenade. Attaque qui dure deux jours, du 2 au 4 juillet et qui est conduite en personne à terre par d’Estaing, l’épée au poing. C’est un plein succès : les 1 200 hommes débarqués balayent la garnison anglaise qui capitule en laissant 700 prisonniers, 3 drapeaux, 102 canons, 16 mortiers et le gouverneur, lord Macartney[105].

Mais le 6 juillet, c’est la stupeur, avec l’arrivée des 21 vaisseaux du commodore Byron, qui attaquent en se faufilant entre les 25 vaisseaux de l’escadre française au mouillage et l’île. On est proche du désastre, mais l’escadre, bien commandé par les brillants seconds de d’Estaing (dont Suffren, mais aussi La Motte-Picquet et De Grasse) réagit immédiatement, de concert avec les troupes à terre qui tirent sur les Anglais pris en tenaille. L’escadre anglaise essuie 21 000 coups de canons et se retrouve sévèrement malmenée. Suffren, toujours sur le Fantasque se retrouve à la tête de l’avant-garde est engage le combat en premier, au passage de la ligne anglaise. Il en éprouve une grande fierté : « J’eus le bonheur d’être chef de file ; j’essuyais par ma position le feu des vingt premières bordées, serrant le vent le plus que je pouvais. Cette passe dura une heure un quart. Après que la ligne anglaise m’eut dépassé, je pris mon poste dans la ligne de bataille. Quoique maltraité par la perte de monde, par les avaries, je l’ai été bien moins que le poste honorable que j’ai occupé pouvait le faire craindre. C’est au feu vif et bien dirigé que j’ai fait qu’est dû cet avantage »[106].

La ligne de combat anglaise se disloque. Quatre vaisseaux anglais sont totalement désemparés[107]. C’est la victoire, et elle peut-être totale si d’Estaing engage la poursuite de l’escadre ennemie mal en point. Peine perdue. Le vice-amiral ne réagit pas, malgré les conseils répétés de Suffren et La Motte-Picquet. Byron qui déplore aussi plus de 1 000 tués et blessés réussit à se retirer péniblement vers l’île de Saint-Christophe en prenant en remorque ses quatre vaisseaux hors de combat que d’Estaing n’a pas daigné faire saisir. Les Français ont eu 176 tués et près de 1 000 blessés. « Le général (d’Estaing) s’est conduit, par terre et par mer, avec beaucoup de valeur. La victoire ne peut lui être disputée ; mais s’il avait été aussi marin que brave, nous n’aurions pas laissé échapper 4 vaisseaux anglais démâtés » juge Suffren dans sa correspondance[108]. Avec le recul, l’Historien est bien plus sévère. Cette bataille fut « la défaite la plus désastreuse de la Royal Navy depuis sa défaite de Béveziers en 1690 » selon l’amiral et tacticien américain Alfred Mahan qui écrit à la fin du XIXe siècle[109]. Il est vrai que c’était la première fois que la Royal Navy était aussi lourdement battue dans les eaux des Caraïbes. Mais que vaut une victoire non exploitée ? D’Estaing s’est contenté de la conquête de la Grenade, un authentique succès tactique, mais sans portée stratégique dans cette guerre où l’essentiel se joue ailleurs. En laissant filer la Navy, il a laissé « s’échapper une victoire décisive qui lui aurait permis de prendre la Jamaïque » estime de son côté J.-C. Petitfils[110]. Et porter un coup terrible au moral des forces anglaises jusqu’en Amérique du Nord, car la bataille eu un retentissement considérable dans les opinions publiques.

Echec à Savannah (1779)

La réputation de Suffren est maintenant bien établie. D’Estaing lui confie une division de 2 vaisseaux et 3 frégates pour forcer à la capitulation les petites îles anglaises de Cariacou et de l’Union dans l’archipel des Grenadines. Mission dont s’acquitte rapidement Suffren avant de rejoindre l’escadre de son chef qui cherche à engager de nouveau le combat avec Byron (22 juillet). Mais l’Anglais, dont l’escadre a beaucoup souffert, préfère rester à l’encre à l’abri dans l’île de Saint-Christophe.

L'Attaque de Savannah, le 9 octobre 1779 (Attack on Savannah), vue par le peintre américain A. I. Keller (1866-1924). Un lourd échec pour les Français, malgré le succès du débarquement préparé par Suffren. Plan d'époque du siège de la ville sur le site de la librairie de l'Université de Géorgie. (En Anglais)

D’Estaing fait relâcher sa flotte à Saint-Domingue. On s’achemine encore une fois vers de longs mois d’inactivité lorsqu’arrivent de mauvaises nouvelles des 13 colonies en révolte. La situation militaire s’est soudainement dégradée avec l’invasion par l’armée anglaise de la Géorgie, l’Etat les plus au sud des « Etats-Unis ». Le Congrès appelle au secours la flotte française. De son côté, d’Estaing vient de recevoir l’ordre du roi de rentrer à Toulon, mais d’Estaing s’estime dispensé d’y répondre car son succès à la Grenade est antérieur à la décision du roi...[111]

Avec 20 vaisseaux et 3 000 hommes prélevés sur les garnisons de la Martinique et Saint-Domingue, d’Estaing de porte donc devant Savannah pour aider les troupes du général Lincoln. Mais l’affaire tourne mal. Les ouragans (2 septembre), l’impéritie des pilotes américains incapables de guider les lourds vaisseaux de ligne, les avaries (5 gouvernails brisés ou endommagés), le manque d’eau et les maladies désorganisent l’escadre et brisent le moral des Français avant même que ne commence le siège de Savannah. Le talent de Suffren est une fois de plus sollicité. D’Estaing lui donne l’ordre, avec 3 vaisseaux et 3 frégates de bloquer l’embouchure de la rivière pour empêcher la fuite des vaisseaux anglais qui s’y trouvent à l’encre[112]. Mission accomplie le 9 septembre lorsque le bailli oblige 4 navires anglais à se réfugier sous les murs de Savannah et détruit les fortifications de l’île de Tybee. On constate que la campagne avançant, Suffren se voit confier des forces de plus en plus importantes. Il mène aussi une importante opération de reconnaissance des côtes pour suppléer les carrences des pilotes américains, ce qui permet le débarquement des Français le 12 septembre[113]. Au large l'escadre capture 2 navires anglais, le HMS Experiment (50 canons) et la frégate Ariel. Ce seront les seul succès de cette campagne. On perd ensuite du temps, ce qui permet à la garnison anglaise de recevoir des renforts et de se fortifier. Le 9 octobre, d’Estaing qui croit rééditer son exploit de la Grenade, tente un assaut en règle contre la ville de Savannah, bâtie sur une grande terrasse dominant le fleuve. Mais il se heurte à la résistance féroce du général anglais Prévost et il est blessé aux deux jambes. Les Français doivent se retirer sans gloire en rembarquant leurs troupes, leurs tentes, leur artillerie, après avoir perdu 63 officiers et 579 soldats tués ou blessés[114].

C'est une fois de plus l'échec, mais avec des conséquences inattendues et positives pour les Américains : les Anglais ne menacent plus Charleston et la Caroline du Sud. Beaucoup plus au Nord, les Britanniques inquiets du retour de d'Estaing ont évacué le Rhode Island pour concentrer leurs forces à New York. Newport, sur lequel les Français se sont cassés les dents l'année précédente (voir plus haut) se retrouve maintenant libre. Ce bon port va par la suite jouer un rôle décisif en permettant d'accueillir les troupes de Rochambeau.

Le bilan toujours aussi maigre d'une deuxième année de guerre...

« Je l'ai eu ! ». D'Estaing montrant comment on coupe la tête aux Anglais. Grace à son courage qui fait oublier ses échecs, d'Estaing est un homme populaire comme le laisse apparaître cette curieuse caricature américaine et l'accueil enthousiaste à son retour d'Amérique. (Bibliothèque du Congrès, vers 1780, auteur inconnu)

Le retour vers l'Europe est particulièrement difficile. Le 28 octobre une terrible tempête disloque l’escadre, (le Fantasque étant même frappé par la foudre). Trois navires, le Zélé, le Marseillais et le Sagittaire avec une prise anglaise rallient Toulon. Le gros des vaisseaux, dont le Fantasque gagne Brest autour du César comme chef d’escadre. Il était temps de rentrer : le Fantasque est dans un triste état. Il faut pomper jour et nuit et les trois quarts des matelots souffrent du scorbut. Le Languedoc emporté par les vents s’est retrouvé seul à quelque 500 milles dans le sud-est de Savannah. Le vaisseau amiral rentre le dernier sur Brest, en solitaire, le 7 décembre... Ce devrait être un triste retour, d’Estaing s'étant révélé « un médiocre marin, lent, indécis, voire pusillanime, contrastant avec la singulière audace du corsaire et de l’aventurier d’autrefois »[115]. Mais d'Estaing est accueilli en héros sur ses béquilles, longuement reçu par le roi, couvert d'éloges, fait l'objet de poèmes, de chansons et même d'un opéra[116]. « Sa victoire à la Grenade avait fait oublier ses sottises » juge au final J.-C. Petitfils[117]. M. Acerra et J. Meyer sont un peu moins sévères : "Le vice-amiral d'Estaing n'a pas su tirer le meilleur parti d'une campagne de deux ans pourtant vigoureuse. Il s'est emparé de quelques îles aux Antilles, mais n'a pas pu réellement aider les Insurgents. Au moins, a-t-il attiré hors des eaux européennes une partie de la Royal Navy, aidant ainsi à la préparation du grand plan d'invasion de l'Angleterre"[118].

Dans la Manche, la flotte française n’avait pourtant rien enregistré non plus de décisif. L’Espagne était entrée en guerre en juin 1779, en rêvant de reconquérir Gibraltar, Minorque, et de débarquer en Angleterre... Mais la flotte espagnole très lente avec ses lourds navires avait tardé à rejoindre la flotte française qui tournait en rond dans le golfe de Gascogne. Les 66 vaisseaux de la flotte combinée franco-espagnole étaient entrée dans la Manche fin juillet pour combattre les 35 vaisseaux de la Royal Navy. Mais les amiraux anglais avaient fui une bataille qui s’annonçait trop déséquilibrée, et les franco-espagnols, bousculés par une tempête, avaient tenu la mer pendant des semaines pour rien, jusqu’à ce que se déclare une grave épidémie dans l’escadre française. Il avait fallu rentrer en septembre sans résultats, alors qu’une armée d’invasion de 40 000 hommes avait été massée -elle aussi pour rien- en Normandie[119]. L’Angleterre s’était pourtant sentie vulnérable : la venue dans la Manche de l’imposante flotte franco-espagnole avait provoqué un début de panique à Londres où la bourse s’était effondrée. Faut de mieux on se contentait de mettre en valeur deux engagements navals acharnés mais secondaires entre frégates et qui s’étaient traduits par la capture ou la destruction des navires anglais[120].

Sur les théâtres d’opérations plus lointains la France avait bien repris le Sénégal (février 1779), mais la Royal Navy avait raflé une partie des possessions d’outre-mer mal défendues : l’île de Gorée, Saint-Pierre-et-Miquelon, Pondichéry et les autres comptoirs des Indes. La Motte-Picquet réussissait l'exploit de tenir en échec avec 3 vaisseaux une forte escadre anglaise pour protéger un grand convois au large de Fort-Royal de la Martinique (18 décembre). Mais au final, l’année 1779 se terminait sur un bilan aussi mince que celui de 1778. L’opinion publique commençait à murmurer devant tant de gâchis. Ne fallait-il pas changer de stratégie, ou au moins de généraux ?

L'année 1780, ou le début de la reconnaissance royale

Carte de Gibraltar. Suffren participe brièvement au siège du "Rocher" en 1780 et retient de sa collaboration avec la marine ibérique que les vaisseaux espagnols sont beaucoup trop lents pour inquiéter sérieusement la Royal Navy et qu'il faut que la marine française adopte le doublage en cuivre des coques. (Plan français de 1750).

De bons capitaines se sont malgré tout illustrés pendant ces deux premières années de guerre : Vaudreuil, Guichen, De Grasse, La Motte-Picquet et bien sûr Suffren. Mais dans les bureaux de Versailles, on semble peiner à faire des choix, même si Louis XVI suit très attentivement la guerre navale[121]. Guichen part pour les Antilles accompagné de De Grasse et la Motte-Picquet pour protéger les îles françaises et escorter les convois commerciaux. Un autre bon capitaine (peu souvent cité), Ternay prend le commandement de l'escadre qui doit apporter en Amérique les 6 000 soldats du corps expéditionnaire du général Rochambeau chargé de guerroyer aux côtés de G. Washington. Et pour la grande flotte franco-espagnole devant se rassembler à Cadix à l’été 1780 en vue d’attaquer Gibraltar (ou dans les Antilles), c’est encore d’Estaing qui se retrouve à la barre[122]... Et toujours rien d'important pour Suffren.

Pourtant les choses évoluent peu à peu. Le dossier Suffren est maintenant sur le bureau du roi, ne serait-ce que pour récompenser le marin de ses services dans l’escadre de d'Estaing. Ce dernier, s'il s'est révélé être un chef incertain et hésitant, sait malgré tout reconnaitre le talent des autres, puisqu'il certifie au ministre que "ce capitaine sera peut-être le meilleur chef d'escadre que Sa Majesté puisse avoir à son service". Le ministre de la marine, Antoine de Sartine propose à Louis XVI d’élever Suffren au rang de chef d’escadre. Mais au rigide tableau d’avancement de la marine, Suffren est encore le quarantième sur la liste... Le jeune souverain, qui craint les protestations des autres officiers (tous nobles) et qui reste intellectuellement prisonnier de la société aristocratique et de ses corporatismes, refuse. « Ne se peut pas », écrit à regret Louis XVI sur la proposition de Sartine. Sa Majesté, lui écrit malgré tout le ministre « vous regarde comme un des officiers les plus propres à commander bientôt ses escadres et son intention est d’accélérer votre avancement le plus qu’il lui sera possible. En attendant, et pour vous marquer sa satisfaction de tout ce que vous venez de faire, elle vous accorde une pension de 1 500 livres et le commandement de 74 canons »[123].

En avril, Suffren se retrouve donc aux commandes du Zélé, affecté à des missions d’escorte dans l’Atlantique, en compagnie du Marseillais. En août il doit rejoindre l’escadre franco-espagnole qui se rassemble à Cadix sous les ordres de Don Luis de Cordova. Le 31 juillet cette force quitte le port espagnol pour manœuvrer dans l’Atlantique. Suffren a tout le loisir d’observer la faible efficacité de la flotte espagnole, avec ses lourds vaisseaux en cèdre de La Havane, lents à la manœuvre et à l’artillerie de médiocre qualité. Depuis plus d’un an déjà, les convois de ravitaillement pour Gibraltar et Minorque, escortés par la Royal Navy glissent entre les doigts des Espagnols qui cherchent à faire le blocus de ces deux points d'appuis essentiel à l'Angleterre[124].

Si les vaisseaux français sont supérieurs à ceux des Espagnols, Suffren constate cependant que leur vitesse est insuffisante, lorsque le 9 août il intercepte un gros convoi anglais qui rentre de la Jamaïque avec 64 bâtiments de transports escortés par 1 vaisseau de guerre et 3 frégates. Suffren lance la poursuite et saisit le convoi avec ses 2 vaisseaux. La prise est superbe, puisque outre les 3 000 marins et soldats capturés, on identifie aussi dans le convoi 5 gros navires armés de la Compagnie des Indes Orientales. La perte de ce convoi de 20 millions de livres sterling[125] que se partagent les Français et les Espagnols provoque une forte chute de la bourse de Londres, mais Suffren, en capitaine attentif porte ses commentaires ailleurs car l'escorte a réussi à se sauver avec 2 navires de transport.

En 1780 le ministre de la Marine, Antoine de Sartine (1729-1801) propose de nommer Suffren chef d'escadre, mais Louis XVI refuse dans un premier temps car il y a encore trente-neuf capitaines devant Suffren au tableau d'avancement. (Tableau de Joseph Boze, 1744-1826)
Suffren en grand uniforme d'officier général de la Marine, par le peintre Pompeo Batoni (1708-1787) dans les années 1780 (date inconnue).

Les 5 navires anglais qui se sont échappés ont dû leur salut à une innovation apparue dans les chantiers navals anglais en 1775 : le doublage de la coque avec des plaques de cuivre. Cette innovation, qui a pour but au départ de lutter contre les incrustations d’algues et de coquillages permet aussi d’augmenter la vitesse des navires, et tous les vaisseaux de guerre anglais qui sortent des chantiers navals en sont maintenant dotés. Côté français on est parfaitement au courant de cette évolution dont on avait pu éprouver l'efficacité lors des courses poursuites avec la Navy dans la Manche, l'année précédente. Mais la marine royale reste très en retard sur cette innovation, il est vrai très couteuse. Suffren, dans son rapport demande immédiatement que les chantiers navals français adoptent cette innovation. « L’évasion du vaisseau (anglais) et de ses 2 frégates m’engage à vous adresser un mémoire sur la nécessité de doubler en cuivre, et sur les moyens d’accélérer une opération qui procurera à l’Etat les plus grands avantages et illustrera votre ministère. Ne croyez pas, Monseigneur, que je cherche à me faire valoir, en vous adressant des mémoires ; je ne suis déterminé que par l’amour du bien de la chose et de notre gloire : un militaire doit se distinguer par des faits, point par des écritures. (...) Je ne saurais finir sans vous réitérer combien l’objet de doubler en cuivre est important »[126]. Message reçu par le ministère qui ordonne de passer au doublage en cuivre, malgré la lenteur de sa mise en œuvre par les chantiers navals français (A la fin de la guerre d’Amérique une partie seulement de la flotte sera équipée).

Cette troisième année de guerre se terminait encore une fois sans résultat décisif. Aux Antilles, Guichen avait lourdement tenu en échec Rodney lors de trois combats navals successifs (17 avril, 15 et 18 mai 1780), mais sans faire évoluer sensiblement la situation militaire. Ternay avait rempli sa mission et débarqué le corps expéditionnaire de Rochambeau, mais des renforts anglais étaient arrivés en même temps et la petite armée française avait dû se retrancher dans Newport avec l'escadre, sans pouvoir rien tenter[127]. Quand à d'Estaing, bousculé dans le golfe de Gascogne par des vents contraires, il était rentré en décembre à Brest sans avoir pu rien faire contre la Royal Navy... L'opinion commençait à gronder contre cette guerre interminable et ruineuse. Malaise qui s'était exprimé aussi au plus haut niveau de l'Etat. Suite à un Mémoire du ministre des finances, Necker qui dénonçait une mauvaise utilisation des crédits militaires, Louis XVI avait du renvoyer le ministre de la marine, Sartine (octobre 1780). Le nouveau titulaire de la charge, Charles Eugène Gabriel de La Croix de Castries "comprend qu'il faut davantage miser sur de nouveaux chefs que sur une nouvelle répartition des vaisseaux"[128]. L'heure de Suffren semble être arrivée.

Portrait de l'"amiral Satan"

Autre buste de Suffren à l'Hôtel des Invalides (Paris), en bronze, copié sur celui en marbre de Houdon.

Suffren va prendre le commandement de sa première escadre. Il a 51 ans. Sa réputation de marin combattif n’est maintenant plus à faire. Il est intuitif et rapide, n’hésite pas à prendre tous les risques et à pousser l’ardeur guerrière jusqu’à la frénésie. Doté d’une énergie peu commune, souvent cynique et tonitruant, il est désormais bien connu pour ses prises de positions contre les « amiraux d’eau douce » qui combattent majestueusement en ligne de file (la tactique habituelle des toutes les marines depuis le milieu du XVIIe siècle). Il préfère (comme à Newport, Savannah) les coups de force rapides et brutaux en un point concentré de l’escadre, afin de désorganiser les forces de l’adversaire. Les Anglais, qui commencent à le craindre vont le surnommer l’ « amiral Satan »[129]...

Au physique c’est « une brute géante, un vrai tonneau de graisse, au cuir tanné par les embruns et le vent du large[130] », bien rendu par le célèbre buste de Houdon (voir ci-contre et au-dessus). Outre son caractère très difficile, l’homme est aussi réputé pour sa gloutonnerie, sa saleté et ses manières débraillées... Comme tous les chevaliers de l’ordre de Malte, il a prononcé des vœux de chasteté... qu’il ne respecte pas. A terre, il entretient une liaison avec sa cousine Marie-Thérèse de Perrot, comtesse de Saillans d’Allès (avec laquelle il entretient une importante correspondance). En mer, il trompe cette dernière avec de jeunes mousses, les « mignons de Suffren ». On est presque à la limite de l’homosexualité militante, car le bailli organise des unions masculines entre matelots, appariant le novice au vétéran. « Tout pour le bord, Messieurs, et rien pour le bordel ! Moins de risque de vérole ; pas d’enfants, plus de mélancolie[131]"...

L'examen attentif de la carrière de Suffren montre cependant un homme qui n'a véritablement que deux passions : la mer et le combat. À ce stade de sa vie, vers 50 ans Suffren a passé autant de temps au service de l'Ordre de Malte que du Roi de France. Lorsque la paix revient, il repasse sur les navires de l'Ordre qui depuis des siècles, sans discontinuer, font la chasse aux corsaires musulmans et assurent la protection des navires marchands en Méditerranée. Chaque guerre ou menace de guerre le ramène vers la Royale, où les perspectives de faire campagne au loin et de pouvoir commander de grands vaisseaux sont bien supérieures à celles de l’Ordre de Malte. Entré très jeune dans la marine (13 ans, voir plus haut) il doit une bonne partie de sa formation maritime aux navires de l'Ordre. Sa formation est donc essentiellement pratique, ce qui là encore, le différencie fortement des officiers du Grand Corps, dont la formation est beaucoup plus théorique et qui passent plus de temps à terre qu'en mer. Suffren peste régulièrement contre ces hommes au fort esprit de corps aristocratique et qui mélangent le manque de pratique navale avec le conformisme et souvent l'indiscipline. Cette différence de formation, outre les différences de caractère et de comportement de Suffren, place ce dernier à part dans le corps des officiers et expliquera aussi par la suite bien des malentendus[132].

L’Historien remarque aussi que Suffren, esprit pratique est très attentif à l’évolution technique de la flotte (doublage en cuivre, paratonnerre, voir plus haut), à la santé des équipages (suite à sa participation à l’expédition désastreuse de 1746 pour reprendre Louisbourg), et qu’il abreuve régulièrement le ministère de rapports écrits sur tous ces sujets ou encore en faisant des propositions stratégiques sur le Maroc ou Gibraltar (voir plus haut). Ces rapports, écrits d’une plume alerte ont été d’une grande importance, car ils lui ont aussi permis de se faire (re)connaitre au ministère alors qu’il n’a somme toute guère d’appuis parmi les officiers bien que sa conduite au combat ait été remarquée très tôt. Un seul officier supérieur l’a véritablement appuyé au ministère : d’Estaing, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes lorsque l’on connait les critiques de Suffren sur d’Estaing. Mais d’Estaing entretenait lui aussi de très mauvais rapports avec ses officiers[133]...

Suffren dans l'Océan Indien : l'heure de la gloire (1781-1783)

Un conflit maritime aux dimensions devenues colossales

Vaisseau de 74 canons - 1780 (par Jacques Fichant). Ces superbes navires forment l'ossature de la marine française et anglaise. Suffren prend la commandement de son premier "74 canons" en 1780, à 51 ans. La couleur de la coque nous indique que ce vaisseau a reçu le doublage de cuivre qui s'impose progressivement à partir de 1775, et qui rend les bâtiments plus rapides.

Suffren reçoit l’ordre d’aller porter secours aux... Hollandais. Les Historiens n’ont peut-être pas assez insisté sur le caractère démesuré que prend la guerre d’Indépendance américaine, et surtout du poids de ce conflit sur les épaules de la France. L’Espagne était entrée en guerre en 1779, mais avec ses propres objectifs, qui n’étaient en rien l’indépendance des Etats-Unis, qu’elle redoutait pour ses propres colonies (voir plus haut). A Madrid, la vision de ce conflit était très terre-à-terre : s'assurer la reconquête de Gibraltar et de Minorque perdus lors de la Guerre de Succession d’Espagne, mais aussi de la Floride (perdue en 1763) et la Jamaïque (perdue en 1655), sans parler du rêve, jamais totalement disparu depuis l’échec de l’Invincible Armada (1588 !) d’envahir l’Angleterre...

Dans les palais madrilènes et sur les vaisseaux espagnols ont parlait haut et fort, comme au temps du Siècle d’Or, mais sans avoir les moyens d'entreprendre quoi que se soit de sérieux sans l’aide de la France. Vu de Versailles, l’Espagne était un allié auquel on tenait beaucoup pour faire pièce à Londres, mais on ne s’illusionnait guère sur la réalité de la puissance espagnole. La flotte ibérique n’était pas capable de battre seule la Royal Navy, mais les vaisseaux espagnols étaient assez nombreux pour former un point de fixation important dans l’Atlantique[134]. Stratégie en apparence payante, car à l’ouverture des hostilités il avait bien fallu que la Royal Navy détache plusieurs escadres pour protéger ses bases aux portes de l’Espagne, et la flotte combinée franco-espagnole avait semé un début de panique à Londres (voir plus haut). Mais l’alliance avait son revers : il fallait supporter les demandes (et récriminations) incessantes de Madrid, avec le risque de voir l’Espagne se retirer du conflit si elle n’était pas soutenue. Résultat : à partir de 1780 il fallait en permanence détacher une importante escadre française pour soutenir la flotte espagnole dans ses entreprises. L’allié devenait une lourde charge militaire en compagnie de qui on allait faire le siège de Gibraltar, attaquer la Floride, Minorque. En plus d’aider les Insurgents américains, ont travaillait donc aussi pour le roi d’Espagne[135], et bientôt pour la Hollande.

Bataille de Dogger Bank, le 5 août 1781, entre la Royal Navy et la flotte hollandaise. L'entrée en guerre de la Hollande oblige l'Angleterre à ouvrir une nouvelle zone d'opération en Europe, mais la France doir dépêcher des renforts pour protéger les colonies hollandaises. C'est à cette occasion que Suffren reçoit sa première mission en temps que chef d'escadre, même s'il n'en a pas encore le titre officiel.

La diplomatie française s’activait autant que les escadres pour isoler l’Angleterre. Il est vrai que Londres facilitait la tâche de Versailles, car la Royal Navy, fidèle à ses vieilles habitudes, s’était de nouveau arrogée le droit de contrôler tous les navires neutres afin d’en vérifier la cargaison et de saisir celle-ci si elle semblait être à destination de la France. Ce comportement exaspérait de plus en plus de pays en Europe, au point qu’en 1780, plusieurs Etats (Russie, Prusse, Portugal, Autriche, Royaume des Deux-Siciles, Espagne) avaient proclamé une « Ligue de la neutralité armée » demandant la liberté des mers. Ce texte, qui avait été poussé discrètement par la France, apparaissait comme une dénonciation des pratiques anglaises et fut interprété comme un camouflet diplomatique pour L’Angleterre. La Hollande envisageant d’y adhérer, Londres lui déclara froidement la guerre, en décembre 1780[136].

L’Angleterre se retrouvait donc totalement isolée en Europe, et la France avec un nouvel allié. La Hollande, avec ses solides assises financières et maritimes devenait un partenaire de choix. La flotte hollandaise (32 vaisseaux et 17 frégates) était qualitativement largement supérieure à la flotte espagnole, et la Navy se retrouvait dans la Manche, avec une zone d’opération de plus à assumer[137]. Cependant, si la Hollande pouvait faire la guerre seule en Europe, il n’en était rien dans les lointains espaces maritimes, où les colonies hollandaises se transformaient en proie de choix pour la marine anglaise. Dès les premiers mois de 1781, l’île de Saint-Eustache, dans les Antilles tombait entre les mains de la Royal Navy et subissait un pillage en règle[138].

Il fallait donc soutenir l’allié hollandais. Un de plus, après l’Espagne. L’effort naval de la France devenait proprement colossal. Les chantiers navals et les arsenaux tournaient à plein régime, et tout particulièrement celui de Brest, pilier essentiel de cette guerre. Louis XVI accordait des crédits presque illimités à sa marine. Pour la première fois de son histoire, le budget de la marine allait dépasser celui de l’armée de terre[139]. Côté anglais, la mobilisation navale était tout aussi gigantesque, d’autant qu’il fallait aussi mener un conflit terrestre de grande ampleur. Il y avait 50 000 « tuniques rouges » à entretenir dans les immenses espaces de l’Amérique du Nord[140] et pour lesquels le Royal Navy immobilisait des escadres importantes en plus des autres théâtres d’opération naval. Fait révélateur, la Navy n’était plus en mesure d’« insulter » les côtes françaises comme lors du conflit précédent. Il était évident que l’Angleterre combattait à la limite de ses forces. Cependant, si la position de Londres était maintenant très isolée, l’Angleterre combattait pour ses intérêts seuls et n’avait pas d'allié faible ou défaillant à soutenir.

Les choix de Versailles pour la campagne de l'année 1781 et la première grande mission de Suffren

Le nouveau ministre de la Marine, Charles Eugène Gabriel de La Croix de Castries (1727-1801) vient à Brest inspecter la flotte et assister au départ des escadres pour l'Amérique et pour les Indes en mars 1781. Suffren y gagne un vaisseau de plus pour sa division. (Tableau de Joseph Boze, 1744-1826)

À Versailles, Louis XVI et son ministre de la marine ont tout de même fixé des priorités pour cette nouvelle campagne. De Grasse (accompagné de La Motte-Picquet) doit partir avec une grande escadre dans les Antilles où se porte toujours l’essentiel de l’effort de guerre français, sachant que pour faire des économies on a décidé de ne pas renforcer les 6 000 hommes de Rochambeau retranchés depuis des mois à Newport. Guichen, avec une escadre conséquente (12 vaisseaux) doit aller prêter main forte à la flotte espagnole dans l’Atlantique et Suffren avec une petite division doit porter des renforts à la colonie néerlandaise du Cap en Afrique du Sud, désormais menacée par la Royal Navy.

Le ministre de la marine, le marquis de Castries, conscient de l’importance de ces armements décide de se rendre en à Brest, décision exceptionnelle et fortement symbolique de son engagement personnel dans le suivi des opérations. Il arrive le 13 mars et rencontre le comte d’Hector, commandant de la base de Brest ainsi que le comte de Grasse et tous les officiers des escadres en partance. Il déjeune à bord du Ville de Paris, le navire amiral de De Grasse et assiste à plusieurs exercices dans la rade [141]. La nouvelle de l'armement de l'escadre anglaise à destination du Cap venant d'arriver, de Castries décide alors de renforcer l’escadre de Suffren avec un navire[142].

Suffren se retrouve donc à la tête d’une division de 5 vaisseaux, 1 corvette et 8 transports embarquant un millier de soldats[143]. L’analyse de cette petite flotte montre clairement que le théâtre d’opération indien est secondaire, mais aussi qu’à Brest on a atteint les limites du possible en matière de mobilisation navale. Avec deux « 74 canons » et trois « 64 canons » la puissance de feu n’est pas très élevée, même si tous les vaisseaux sont doublés de cuivre, sauf un, l’Annibal, alors-même que ce « 74 » est récent (1779). Le Vengeur (64 canons), déjà ancien (1757) a certes été modernisé avec un doublage de cuivre, mais la coque fait de l’eau et sa mâture est en mauvais état. Suffren bataille auprès des bureaux brestois pour obtenir plus de matériel en supplément, mais sans succès. Le bailli se plaint aussi vivement de l’insuffisance dotation de sa division en bâtiments légers, d’autant que la corvette la Fortune est en mauvais état et marche mal[144].

La composition des équipages pose aussi de redoutables problèmes. En ce début de quatrième année de guerre, la France arrive maintenant au bout de son capital maritime humain, d’autant que c’est bien-sûr la grande escadre de De Grasse qui a la priorité. On manque clairement d’hommes pour équiper la division de Suffren. Certains matelots qui ont fait les trois campagnes précédentes sont épuisés ou malades, comme sur le Sphinx, l’Artésien et l’Annibal. On complète comme on peut les équipages en embarquant plus de mousses et de novices et on utilise des troupes de marine à des tâches de matelots[145]. Sur le Héros, Suffren a obtenu d’embarquer nombre d’officiers et de sous-officiers qu’il connait bien, presque tous originaires du sud et dont beaucoup ont fait les précédentes campagnes avec lui. L’ambiance sur le vaisseau amiral sera « résolument provençale » résume Rémi Monaque[146].

La mission première de Suffren est d’aller préserver la colonie hollandaise d’une capture anglaise. L’action ultérieure doit le porter ensuite dans l’Océan indien. Elle est n’est pas clairement définie par Versailles, et ne doit pas être autre chose qu’une opération de diversion sous les ordres du gouverneur de l’île de France. Mais Suffren, dans un courrier à Madame d’Alès écrit peu avant le départ, affirme déjà haut et fort qu’il entend bien profiter de cette campagne pour s’illustrer, surtout s’il peut récupérer les vaisseaux qui stationnent dans l’île[147]. Les évènements vont précipiter cette soif de se faire remarquer.

La mêlée de Porto Praya (16 avril 1781)

Carte de l'archipel du Cap-Vert. Ce petit archipel portugais était une escale importante vers le Sud de l'Afrique et l'Océan Indien depuis le XVe siècle. L'escadre de Suffren y rencontre par hasard à Porto Praya, sur l'île de Santiago, l'escadre anglaise qui a la même destination que lui et qui est là pour le même motif : se ravitailler. On peut aussi visionner cette carte de l'archipel du Cap-Vert de 1746.

Le 22 mars 1781 la rade de Brest s’anime d’un spectacle magnifique : le départ des escadres combinées de De Grasse et Suffren qui lèvent l'encre accompagnées d’un immense convoi de 130 voiles. Le ministre est resté pour assister au départ de cette quatrième campagne navale[148]. Le 29 mars, la division de Suffren se sépare des 20 vaisseaux et frégates de De Grasse pour bifurquer vers l’Atlantique sud. Ses six navires et ses huit transports de troupes sont accompagnés de cinq navires marchands à destination du Sénégal.

Le 9 avril le convoi à destination du Sénégal se détache vers l’Afrique et le 11 Suffren décide de faire relâche au Cap-Vert car l’Artésien, vaisseau destiné au départ à la campagne d’Amérique craint de bientôt manquer d'eau. Le 16 avril au matin, l’escadre arrive en vue de la baie de La Praya (la plage, en portugais) où l’Artésien, en tête, signale une flotte au mouillage. Ce sont les navires du commodore George Johnstone, qui se ravitaille aussi sur la route du Cap[149].

Une flotte surprise au mouillage sur une côte ou dans une baie ouverte est toujours extrêmement vulnérable, d’autant qu’une partie des équipages est souvent à terre[150]. C’est une occasion qu’il ne faut pas laisser passer, mais beaucoup de vaisseaux français sont encore loin derrière. Suffren ordonne de resserrer la ligne et de forcer les voiles pour hâter la concentration de l’escadre. Le temps passe, le Vengeur et le Sphinx tardent à arriver. On risque de dériver sous le vent, d’être obligé de louvoyer pour entrer dans la baie et de perdre l’effet de surprise. On commence à percevoir clairement l’importance de l’escadre anglaise. Il est 11h00, Suffren n’hésite plus et ordonne de passer à l’attaque avec les trois navires dont il dispose. Côté anglais les voiles françaises sont repérées depuis 9h30 mais on est absolument pas préparé à recevoir une attaque. 1 500 hommes sont à terre pour faire le ravitaillement ou se reposer. Beaucoup de navires, à l’ancre, ne présentent que leur avant ou leur arrière faiblement armés et peuvent être pris en enfilade par le tir français[151]. Johnstone doit monter sur le navire le plus proche pour organiser la défense.

Le poupe du Héros, vaisseau de 74 canons que monte Suffren et avec lequel il vient se faufiler au centre de l'escadre anglaise à Porto-Praya, comme on peut aussi le visualiser sur ce plan de la bataille publié par le site pirates-corsaires.com
Bataille de Porto Praya, le 16 avril 1781, par le peintre Rossel (1739-1803). L'attaque de Suffren bouscule l'escadre anglaise de George Johnstone qui n'est plus en état de poursuivre sa route. On peut aussi examiner le tableau de Pierre-Julien Gilbert beaucoup plus tardif.
L'Artésien est un 64 canons qui a été ajouté au dernier moment à la division de Suffren pour la renforcer. Son commandant est tué à La Praya alors que le vaisseau est peu engagé dans la bataille. Maquette du musée de la Marine.

Suffren s’engage dans l’étroit passage laissé entre les navires anglais en tirant sur les deux bords. Il ouvre le feu à 40 m sur le HMS Isis[152] (50 canons) puis s’en prend au HMS Montmouth (50 canons) dont il fait sauter le couronnement. Il cherche le cœur du dispositif ennemi et se faufile jusqu’au fond de la baie. Suffren cargue ses voiles et jette l’encre au milieu des Anglais qui n’ont pas encore pu tirer un coup de canon (Un feu abondant de mousqueterie, provenant des soldats anglais commence cependant à cribler de plomb les vaisseaux). Dans la flotte de transport anglaise c'est la confusion : si plusieurs navires ont ouvert le feu sur les Français au bout d'un quart d'heure, deux ou trois ont amené leur pavillon et jettent à la mer les précieux paquets de la Compagnie des Indes. D'autres cherchent à gagner le large.

L’Annibal, qui suit juste derrière double alors son chef sur tribord[153], en s’engageant entre le Héros et le HMS Montmouth. Manœuvre particulièrement audacieuse car il n’y a qu’un espace d’une trentaine de mètres entre le Héros et le navire anglais. Moment impressionnant où les équipages français et anglais peuvent se dévisager à quelques mètres, ce qui interrompt un instant le feu de mousqueterie, tout le monde poussant des hourras... L’Annibal jette l’encre à son tour devant son chef, mais son capitaine, Trémignon a fait une bévue énorme : ne croyant pas à un affrontement dans les eaux neutres du Portugal il n’a pas ordonné son branle-bas de combat[154]! Suffren sur le Héros se retrouve donc seul à tirer au milieu des bateaux anglais « aussi vite qu'il était possible de charger et de décharger » alors que l'Annibal reste seul pendant un quart d'heure à supporter le feu de tous les vaisseaux anglais, "tirant à peine un seul coup de canon" notera plus tard Johnstone dans son rapport[155].

Ainsi, passé l’effet de surprise, la résistance anglaise se durcit et les deux navires français sont maintenant bien seuls au milieu d’une canonnade acharnée. Le Vengeur arrive, traverse le dispositif ennemi et passe sur l’arrière du Héros mais ressort sans avoir mouillé. Il tire d’assez loin sur les vaisseaux anglais avant de dériver vers le Sud de la baie, un peu en dehors du combat. Il s'en prend ensuite aux navires de transport qui cherchent à s’enfuir. L’Artésien, en 4ème position finit par arriver aussi et s’engage au milieu des navires anglais. Il tente d’aborder un vaisseau de la Compagnie des Indes, mais son capitaine est tué au moment où il donne l’ordre de mouiller. L’ordre n’est pas exécuté car le second est au commandement de la première batterie. Pendant qu’il monte sur la dunette, l’Artésien aborde un autre navire de transport, l’Infernal et dérive avec lui vers le large. Exit l’Artésien. Le Sphinx arrive en dernier, mais le vent tourne et le pousse hors de la baie. Il tire quelques bordées alors que l’action touche à sa fin.

Au centre, la situation de Suffren sur le Héros et de son fidèle second, l’Annibal devient maintenant très périlleuse. Au feu croisé des vaisseaux et navires anglais vient s’ajouter le feu de la forteresse portugaise qui réagit au viol de sa neutralité par les Français. Le commandant de l’Annibal, M. Trémignon est tué (la cuisse coupée par un boulet). Son second prend immédiatement le commandement, mais le vaisseau perd son mât d’artimon et son grand mât. Il est midi. L'attaque surprise est en train de se transformer en piège. Il faut rompre le combat, à moins de risquer le pire. Suffren fait couper son câble, bientôt suivi par l’Annibal, mais en sortant de la baie le navire perd son troisième mât, abattu par une dernière bordée anglaise. L’Annibal n’est plus qu’un ponton flottant qui doit être pris en remorque par le Sphinx. Dans la confusion du combat, une douzaine de bâtiments britanniques ont déradé, mais on doit renoncer à les saisir car il faut absolument se dégager[156].

L’affrontement a duré une heure trente à peu près. Suffren reforme sa ligne de bataille au large de La Praya et effectue les premières réparations d’urgence. Les charpentiers de marine s’activent pour réparer les nombreux cordages du Héros qui ont été sectionnés et redonner un début de mâture et de voiles à l’Annibal. Suffren donne l’ordre au convoi français de passer sous le vent et de reprendre vers le sud. Les Français ont saisi deux navires de transport anglais : celui abordé par l’Artésien et un autre qui a dérivé vers eux, mais il faut s’en dessaisir[157].

A terre, Johnstone tient un conseil de guerre avec ses capitaines et décide d’appareiller. On peut croire que la bataille va reprendre car vers 15h00 l’escadre anglaise sort de la baie et se rapproche presque à portée de canon. Mais face à la fermeté affichée par l’escadre française le commodore anglais ne tente rien et profite de la nuit pour s’esquiver et se remettre à l’abri dans la baie. Les dégâts infligés à l’escadre et aux navires de transport anglais sont considérables. Johnstone n’est plus en état de tenir la mer, ou alors il lui faut laisser de nombreux navires à La Praya. Il rentre péniblement vers l’île portugaise en louvoyant par vent de face et va devoir y rester 16 jours de plus pour réparer. L’horizon est dégagé pour Suffren qui reprend sa route en faisant remorquer l’Annibal alternativement par le Héros et par le Sphinx.

Cette bataille acharnée, confuse, indécise et « extravagante »[158] se termine donc par une victoire française par abandon de l’adversaire. L’Historien constate que Suffren a combattu avec à peine la moitié de ses forces. Seul les deux « 74 canons » ont été engagés à fond, mais avec une efficacité réduite de moitié vu l’erreur de commandant de l’Annibal, qui a bien failli causer la perte du navire. En fin de compte, seul le Héros a combattu à la hauteur de sa puissance de feu et de sa position dans le dispositif adverse. Les pertes sont d’ailleurs importantes : 107 morts et 242 blessés, concentrés pour plus de moitié sur l’Annibal[159] dont 2 commandants, celui de l’Annibal qui a payé son erreur de sa vie, et de l’Artésien, tué au début de l'engagement (c'est d'ailleurs le seul mort de ce navire.) Les Anglais n’affichent que 6 tués et 34 blessés. Que penser du comportement des capitaines du Vengeur et du Sphinx ? Jean Meyer et Martine Acerra parlent de « signaux mal compris par les commandants des autres vaisseaux »[160]. J.-C. Petitfils parle lui de « désobéissance des deux capitaines (...) qui refusent de se battre »[161]. L'Historien note cependant que lorsqu'ils sont arrivés sur le champ de bataille le vent avait tourné et chassait les navires hors de la baie. Aucun des deux ne sera en tout cas sanctionné au lendemain de cette bataille, alors que l’engagement de leurs vaisseaux de 64 canons aurait peut-être permis la destruction de l’escadre anglaise. L’incompétence, la pusillanimité et/ou l’indiscipline d’une partie des capitaines va aussi devenir une marque de fabrique de cette campagne que nous retrouveront dans d’autres engagements.

Le bailli, que l’on trouve si souvent soucieux de sa renommée dans sa correspondance personnelle, se montre parfaitement réaliste sur cette occasion manquée. Il laisse transparaître sa rage -et son égo- de ne pas avoir réussi à détruire l'escadre anglaise lorsqu’il fait son rapport au ministre de Castries. «  A vous, Monseigneur, j’avoue que j’ai été les attaquer de propos délibéré, espérant qu’à la faveur de la surprise et du désordre du mouillage, les détruirais, que je mènerais à M. d’Orves (le commandant de l'escadre de l’Ile-de-France) les secours sur lesquels il ne comptait pas et enfin la supériorité décidée dans l’Inde, dont l’avantage inappréciable pouvait faire la paix (...). J’ai manqué l’occasion précieuse de faire de grands choses avec de petits moyens, j’en suis inconsolable »[162].

Suffren s’inquiète aussi des réactions de Versailles lorsque sera connu le viol de la neutralité portugaise et s’en explique au ministre des affaires étrangères, le comte de Vergennes. Il s’appuie sur le précédent de Lagos, en 1759 (où il a été fait prisonnier, voir plus haut) lorsque la Royal Navy avait poursuivi l’escadre française de la Clue et pris ou incendié 4 vaisseaux sur les plages portugaises[163]. Précaution inutile car à Versailles on a parfaitement compris la portée de cette bataille, puisqu’elle sauve le Cap de l'invasion anglaise. Le Cap pris, la Royal Navy se serait retrouvée en position de couper la route de l’Océan indien ce qui aurait été catastrophique pour les franco-néerlandais. De Castries écrit immédiatement à Suffren (le 1er juillet) pour l’informer de la grande satisfaction du roi sur sa conduite, alors que l’affrontement n’est encore connu que par des dépêches anglaises.

Le Cap sauvé de l'invasion anglaise et le bilan de 1781

Le Cap et la Montagne de la Table en 1772 par le peintre William Hodges (1744-1797). La colonie néerlandaise, sauvée de l'invasion par l'arrivée de Suffren occupe une place essentielle sur la route des Indes orientales. On peut aussi visionner ce tableau de 1683 , plus ancien mais qui illustre l'importance stratégique de cette escale avec les vaisseaux de la Compagnie des Indes.
L'île hollandaise de Saint-Eustache est prise par les Anglais en février 1781, puis délivrée par la Marine française la même année. Ce sauvetage, avec celui du Cap par Suffren assure une grande popularité pour Louis XVI à Amsterdam. (Gravure allemande, 1781)

Le 20 juin, après 64 jours de navigation depuis la Praya (et 92 depuis Brest) la montagne de la Table qui domine la ville du Cap est en vue. La division jette l’ancre dans la rade plus abritée de False Bay à quelques lieues au sud. Il était temps. Les équipages sont épuisés. On débarque près de 600 malades, dont 500 scorbutiques.

Les Hollandais ont été prévenus depuis le 27 mars par une corvette (dépêchée en urgence depuis Brest par de Castrie) de l’entrée en guerre de leur pays et de l’arrivée prochaine d’une flotte française de secours. Ce qui n’empêche pas Suffren de constater que rien n’a été fait par le gouverneur pour mettre la colonie en défense et accueillir les renforts (Celle-ci n’est protégée que par 400 hommes et les fortifications sont en mauvais état). L’état d’esprit de la population, nettement anglophile est loin d’être favorable aux Français. Comme le note un militaire français, « ils (les habitants du Cap) regardent les Anglais comme des êtres supérieurs. Ils calculent que sous la domination anglaise, ils jouiraient de beaucoup plus de privilèges, que leur commerce gêné par les entraves que leur impose la compagnie de Hollande, serait plus actif et plus étendu, qu’enfin en temps de guerre, ils seraient protégés plus efficacement qu’ils ne le sont actuellement par la compagnie hollandaise qui semble les avoir oubliés »[164]. Tout est dit. Les Français ne sont pas reçus en sauveurs, et il va falloir toute la discipline exemplaire des troupes qui débarquent pour détendre peu à peu l’atmosphère. Celles-ci arrivent progressivement, entre le 30 juin et le 2 août, la division ayant doublé les navires de transport dans l’Atlantique sud pour arriver la première au Cap. Les relations entre Suffren et le gouverneur hollandais restent difficiles. Ce dernier traine des pieds pour assurer le ravitaillement, l’hébergement des Français et fournir du bois pour réparer les vaisseaux français ce dont se plaint vivement le bailli[165].

Fin juillet arrive l’escadre de Johnstone. L’Anglais va-t-il tenter un débarquement de force ? On reste quelques jours à s’observer. Suffren refuse une nouvelle bataille navale vu l’état de ses navires et le Commodore n’insiste pas. Il finit par se retirer, après avoir saisi comme lot de consolation 4 navires hollandais de la Compagnie des Indes qui s’étaient réfugiés dans une baie beaucoup plus au nord du Cap. La colonie hollandaise est définitivement sauvée. Cet exploit vaut à Suffren d’être nommé chef d’escadre par Louis XVI (la nouvelle ne lui parviendra que tardivement en 1782 compte-tenu des distances).

L’état sanitaire des équipages s’améliore progressivement alors que les charpentiers de marine font des miracles pour réparer l’Annibal. Les vaisseaux français étaient partis de Brest avec en double un jeu de toile et de cordages comme il était d’habitude pour pouvoir réparer après une bataille (ou un coup de vent). Cependant, malgré les demandes pressantes du bailli, on ne lui avait pas accordé le supplément en bois de mâture. Comment réparer un navire démâté dans ses conditions ? Suffren s’en plaint dès le 10 août depuis le Cap, et ne cessera lors de la suite de la campagne de réclamer du bois de remplacement qui ne viendra pas. « On m’a refusé à Brest les suppléments de rechange nécessaire pour une campagne dans l’Inde. Une épargne de 10 000 livres en coûtera ici plus de 100, sans compter les retardements. Si vous voulez tirer parti des 11 vaisseaux qui sont dans l’Inde, envoyez-nous des munitions navales de tous genres, des bois de matûre, des mâts de hune surtout, c’est ce qu’il y a de plus essentiel, des hommes et de l’argent, des officiers »[166]. Ces pénuries obligent donc Suffren à s’adonner à un génial et permanent bricolage sur ces navires, pour les maintenir en état de naviguer et de combattre. Pour réparer ce 74 canons indispensable à la division on remonte les mâts du Trois-Amis, un navire de transport du convoi. Un procédé que l’on retrouvera tout au long de cette campagne et sur lequel nous reviendrons[167].

Le 15 août arrive une frégate de l’île-de-France, porteuse d’une dépêche du gouverneur lui demandant de le rejoindre immédiatement dans l’Océan indien[168]. Le 26 août, après deux mois et demi d’escale, la division lève enfin l’encre en laissant 500 soldats au Cap. La très longue durée de l’escale en dit long sur les difficultés à se ravitailler et réparer qu'il a fallu résoudre.

L’année 1781 semblait (enfin) sourire aux Français. A Amsterdam, on ne fait pas la fine bouche comme au Cap. Lorsqu'on apprend en plus de cette victoire que La Motte-Picquet a capturé le convoi anglais gorgé du butin du pillage de l'île de Saint-Eustache[169], on boit à la santé du roi de France[170]. Aux succès de La Motte-Picquet et Suffren venait s’ajouter la victoire décisive tant attendue en Amérique du Nord. L’escadre de François Joseph Paul de Grasse, dans une magistrale opération combinée mer-terre avec les troupes de Rochambeau et de G. Washington avait encerclé et contraint à la capitulation l'armée de Cornwallis à Yorktown (19 octobre), après une belle victoire navale dans la baie de la Chesapeake. En mai, une escadre franco-espagnole s’était aussi emparée de Pensacola, prélude à la conquête de la Floride et une autre, en août avait débarqué une forte armée sous les ordres du duc de Crillon pour s’emparer de Minorque[171]. 1781 apparait donc comme une année admirable pour la flotte française, capable d’emporter la décision sur plusieurs théâtres d’opération. Les diplomates pouvaient commencer à négocier le traité de paix, mais en attendant, la guerre se poursuivait et on pouvait espérer d’autres succès en Inde en se lançant à la reconquête des postes français enlevés par les Anglais au début du conflit.

L'escale à Port-Louis, ou le défi des intrigues et de la logistique

Carte de l'« Isle de France » (aujourd'hui l'île Maurice, au large de Madagascar). Suffren y séjourne 6 semaines pour réparer ses vaisseaux et pour se heurter aux intrigues des officiers de la division de d'Orves qui revendiquent le commandement de plusieurs de ses navires. (Carte de 1771)

Suffren arrive à l'île-de-France le 25 octobre 1781 (actuellement l'île Maurice)[172]. La traversée s'est passée sans encombre et on a même la surprise d'y trouver deux navires du convoi qui manquaient à l'appel depuis La Praya. Si Suffren noue rapidement de bonnes relations avec le gouverneur de l'île, François de Souillac, il n'en va pas de même avec le commandant de l'escadre, Thomas d'Orves, qui a brillé par son inaction depuis le début du conflit. Cet officier très âgé est le jouet de ses commandants qui ont fait pression sur lui pour prendre le moins de risque possible contre la Navy et qui maintenant émettent des prétentions sur plusieurs vaisseaux de Suffren au nom de leur ancienneté. L'affaire est délicate pour le bailli, car sa division est maintenant fondue dans celle de d'Orves, qui exerce le commandement supérieur[173].

À la Praya, deux commandants ont été tués, celui de l'Artésien et celui de l'Annibal. Suffren n'émet pas d'objection pour que M. Pas de Beaulieu qui avait reçu le commandement de l'Artésien en soit dépossédé. Ce jeune officier n'a pas démérité, mais il peut recevoir en compensation le commandement d'une frégate plus en rapport avec son âge et son grade. Mais Suffren tient beaucoup à M. Morard de Galles (le second du commandant tué) et qui s'était illustré pour sortir l’Annibal démâté de la baie (voir plus haut). D'Orves qui dans un premier temps partage cet avis, se révèle trop faible pour résister aux pressions du groupe d'officier mené par le capitaine de vaisseau de Tromelin, principal bénéficiaire de l'opération (et qui obtient donc le commandement de l'Annibal).

Cette affaire exaspère Suffren qui en informe immédiatement le ministre. « Une cabale s'est élevée parmi les capitaines en service dans l'Inde pour réclamer l'Annibal au nom de l'ancienneté » s'insurge le bailli qui trace au passage un portrait peu amène de ces officiers intrigants, plus préoccupés de leurs plaisirs et de leurs affaires que du service du roi[174]. « Presque tout le monde ici a femme, ou maîtresse, ou habitude ; le sexe y est charmant ; on y mène une vie douce ; ce sont les délices de Capoue ou l'île de Calypso où il n'y a point de Mentor. Beaucoup y ont fait des fortunes, et cela les rend très hauts et indociles » note encore Suffren dans un courrier à un de ses amis[175]. Le ministre donnera entièrement raison à Suffren et désapprouvera d'Orves[176], mais en attendant le retour du courrier il faut bien se plier au choix du vieux chef et supporter la victoire de Tromelin. Cette affaire aura des suites considérables sur la suite de la campagne. Désormais, l'hostilité règne entre le petit groupe d'officiers de l'île-de-France et le bailli qui juge sévèrement leur égoïsme et leur affairisme.

En attendant de reprendre les opérations, les équipages prennent un peu de repos, Le mois de novembre est occupé à soigner les scorbutiques et on complète les équipages. On n'hésite pas à embarquer une poignée d’esclaves noirs et on constate, fait intéressant, un afflux de volontaires dans l'escadre, enthousiasmés par la victoire de Suffren à La Praya[177]. L’évènement est suffisamment rare pour être signalé. Cette anecdote nous indique que la réputation du bailli est maintenant bien établie, au point d’attirer des hommes alors que les conditions de vie très éprouvantes à bord des vaisseaux de guerre font généralement fuir les matelots et que les désertions sont légions à chaque escale (dans la Marine française, comme dans la Royal Navy).

Bonnes et mauvaises nouvelles alternent. L’escadre reçoit le 19 novembre un important apport de vivres avec l’arrivée d’une cargaison de bœuf et de riz en provenance de Madagascar. Le 21 arrive la frégate la Bellone. Elle escortait un important convoi de 13 navires marchands partis de Lorient avec des vivres et des précieux gréements, mais celui-ci a été intercepté par un vaisseau anglais au large du Cap. Le convoi a été dispersé et deux transports ont été pris. C’est un coup dur pour les Français, même si la frégate est porteuse de 1,5 million de livres en piastres, destinée aux négociations à mener en Inde[178]. Port-Louis est cependant un port assez bien équipé, aménagé depuis longtemps par l'ancienne Compagnie des Indes. Pendant 6 semaines, les vaisseaux réparent leurs avaries, grâce à un travail intensif de remâtage et de carènes à flot. Au final, avec les compléments d’équipage, l’état de l’escadre s’est fortement amélioré puisque Suffren signale à son ami Blouin que les vaisseaux sont en bon état et qu’à l’exception du cordage dont elle manque « elle est réellement mieux armée qu’en partant de Brest »[179].

L'Orient est le troisième "74 canons" dont dispose l'escadre après le fusion de la division de Suffren avec celle de d'Orves. Avec 11 vaisseaux 3 frégates et 4 petites unités c'est la plus puissante escadre que la France ait jamais eu en Océan indien. Gravure de Pierre Ozanne (1737-1813)

L’escadre est maintenant composée de 11 vaisseaux : 3 unités de 74 canons, 7 unités de 64 canons et une de 56 canons. Elle est aussi accompagnée de 3 frégates de 38, 36 et 32 canons et 4 petites unités de 24, 12, 10 et 6 (ou 4) canons[180]. C’est une force à la puissance de feu non négligeable, mais qui est loin d’être homogène. L’Orient, seul 74 canons qui entre dans la nouvelle ligne de bataille est déjà un vieux vaisseau (1759). Plusieurs 64 canons ne sont pas de véritables bâtiments de guerre mais d’anciens navires de la Compagnie des Indes rachetés par le roi. L’escadre ne compte que deux frégates modernes et doublées de cuivre. C’est peu pour assurer les missions d’éclairage et de liaisons.

De Castries, qui souhaite depuis sa prise de fonction renforcer le théâtre d’opération de l’Inde a fait parvenir des instructions qui laissent une grande initiative à leurs destinataires tout en les incitant fortement à l’action. Le ministre précise qu’il faut attaquer les Anglais partout ou c’est possible, s’en prendre à leur commerce et leurs comptoirs pour les « ruiner ». La missive se termine par un coup de fouet qui sonne aussi comme un désaveu de la façon dont la guerre a été conduite jusque-là : « Sa Majesté daigne en même temps assurer le comte d’Orves qu’elle ne le rendra point responsable des évènements malheureux qui pourraient arriver, mais qu’il le serait s’il n’employait pas toutes les ressources de son esprit et de son courage pour rendre la campagne également utile et glorieuse à ses armes »[181]. Du pain béni pour un officier qui cherche à s’illustrer comme Suffren, même si ce n’est pour l’instant pas lui qui commande.

Le 7 décembre 1781, la plus grande escadre que la France ait jamais disposée dans l’Océan indien appareille pour l’Inde. Elle est accompagnée de 10 navires de commerce dont un (le Toscan) aménagé en hôpital. On a embarqué à peu près 3 000 hommes de troupe du Régiment d'Austrasie, de celui de l’île-de-France et de la 3e légion de volontaires étrangers de la marine avec un détachement d’artillerie, sous les ordres du comte Duchemin. L’île-de-France est « exsangue de tout approvisionnement », et il ne reste plus aucune rechange de mâture[182]. Mais le sort en est jeté. Port-Louis est à plus de deux mois de navigation de l’Inde. Pour être efficace et réactif rapidement, il faudra trouver de nouvelles bases sur place. On ne reverra plus l’île-de-France avant la fin de la guerre.

L'Inde, ses enjeux et la prise de commandement de Suffren

Haidar Alî (vers 1720-1782) mène depuis des années la lutte contre les Anglais dans le sud de l'Indeet sollicite l'alliance des Français. Celle-ci ne se manifeste qu'en 1782, à l'arrivée de l'escadre de Suffren (Gravure du milieu du XIXe siècle). On peut aussi visionner ce portrait du nabab sur cette gravure anglaise de 1770.
Les comptoirs européens en Inde. À l'arrivée de Suffren en février 1782, tous les postes Français sont tombés entre les mains des Anglais qui menacent aussi les positions hollandaises avec la prise de Trinquemalay et Negapatam. (Les autres comptoirs, neutres ne sont pas concernés par la guerre)

La situation en Inde est complexe. Depuis qu'ils ont évincé les Français du pays en 1763, les Anglais ont étendu leur emprise vers l’intérieur sous la direction de Warren Hasting, devenu gouverneur général de l’Inde en 1773[183]. Mais cette domination se heurte à la vive résistance de nombreux princes indiens. Le plus puissant se trouve être Hyder Ali Khan (le plus souvent appelé Haidar Alî), ancien ministre du nabab du Mysore et qui s’est proclamé nabab à son tour. Ce « potentat cruel et ténébreux »[184] hait les Anglais contre lesquels il mène une guerre interminable. Il alterne succès et revers et sollicite l’aide des Français. Il dispose de 100 000 hommes et d’une bonne artillerie, mais les Français on l’a vu, sont restés inactifs dans la région depuis le début des hostilités. Inactifs au point de n’avoir fait aucun effort pour défendre leurs comptoirs, alors que Warren Hasting craignait une attaque. Mais l’escadre de d’Orves s’était retirée sur l’Ile-de-France après un bref combat naval le 10 août 1778 devant Pondichery[185]. La ville, laissée sans secours avait capitulé après deux mois de siège, les quatre autres comptoirs étant saisis sans mal par les Anglais. Il n’y a donc depuis 1778 plus aucune base sur laquelle peut s’appuyer l’escadre française, à moins de compter sur les ports hollandais de l’île de Ceylan (actuellement le Sri Lanka), ce qui est possible, à condition d’agir vite avant que ces positions ne tombent elles aussi et en débarquant les troupes pour coordonner leur l’action avec celles de d’Hyder Ali. Va-t-on en avoir le temps ?

La traversée se passe sans encombre. Pour aller plus vite on a choisi une nouvelle route qui vient d’être reconnue par le vicomte Grenier. Elle permet de contourner les cyclones et évite aux navires une lente remontée vers l’Inde en louvoyant contre la mousson du nord-est[186]. Le 20 janvier, après deux jours de poursuite on fait une prise intéressante : le HMS Annibal un petit vaisseau récent de 50 canons doublé de cuivre. L’Anglais, dont l’équipage est miné par le scorbut se rend après quelques coup de canons symboliques. L’interrogatoire de l’équipage permet d’apprendre que c’est ce navire qui a dispersé le convoi de ravitaillement attendu à l’Ile-de-France, mais aussi -plus inquiétant- que Johnstone a fait passer vers Bombay 3 navires de sa division[187]. Comme il y a déjà un vaisseau français nommé l’Annibal, on renomme ce dernier le Petit Annibal ou l'Annibal anglais. Le commandement est confié au second de Suffren et le vaisseau, après avoir reçu un équipage français, est intégré à l’escadre[188].

Peu de temps avant l’appareillage de l’Ile-de-France, Suffren avait écrit à son ami Blouin que « si la santé de M. d’Orves se dérangeait, et qu’on me laissât cette mission, il faut si l’on veut que les choses aillent bien, qu’on me donne de grands pouvoirs. Je désire bien plus de succès que je n’en espère »[189]. Ce vœu un brin cynique va être exhaussé au-delà de toute espérance. Le journal de bord du Héros note à partir du 26 janvier 1782 que le vieux chef commence à présenter des signes de défaillance. Le 3 février, D’Orves qui sent sa fin proche et qui garde encore un peu de lucidité décide de confier le commandement de l’escadre au bailli. Symboliquement, « l’étincelant Suffren »[190] fait passer son vaisseau, le Héros en tête de la ligne de file.

Cette prise de commandement intervient à un moment opportun. La côte de Coromandel avec la grande base anglaise de Madras (actuellement Chennai) est maintenant presque en vue. Suffren décide donc le 4 février de tenir un conseil de guerre pour consulter les commandants sur la stratégie à suivre. Le bailli, qui d’habitude n’écoute guère que son propre jugement estime plus prudent de respecter les usages au moment de prendre une décision importante. C’est peut-être aussi une occasion de rompre la glace avec le clan Tromelin. Mais le conseil tourne court lorsque les vigies signalent des voiles à l’horizon. Chacun regagne son vaisseau. Il ne s’agit en fait que d’un navire chargé de riz pour Madras. C’est la première d’une série de prises que l’escadre va faire sur l’intense trafic qui entre et sort de Madras. Un autre navire capturé le 7 février informe Suffren que les Anglais se sont emparés de deux places hollandaises : le port de Negapatam sur la côte sud-est de l’Inde et Trinquemalay sur la côte orientale de Ceylan[191]. Deux bases naguère amies maintenant perdues, ce qui complique encore la situation de l’escadre alors que l’on sort de deux mois de traversée de l’océan Indien.

Le 9 février M. d’Orves décède à bord de son vaisseau. Il faut faire vite, aussi Suffren ne perd pas son temps en oraison funèbre. Le même jour, trois Indiens trouvés à bord d’une prise acceptent de porter des lettres de Suffren à Haidar Ali dont on a appris la présence au sud de Madras. Suffren dédouble aussi les porteurs du courrier en envoyant une de ses corvettes vers Pondichéry avec un émissaire de son état-major. Le 12 février le bailli remanie aussi le commandement de plusieurs vaisseaux, manière d’affirmer son autorité sur l’escadre[192]. Le 14 février on est en vue de Madras où les vaisseaux anglais sont signalés au mouillage. On se dirige donc vers une nouvelle bataille.

La bataille de Sadras, ou la victoire avec une demi-escadre (17 février 1782)

Le contre-amiral Edward Hughes (1720-1794) est un bon marin qui connait parfaitement les eaux indiennes et qui va donner du fil à retordre à Suffren.

La flotte anglaise de l’Inde est commandée par le contre-amiral Edward Hughes –« la petite mère Hugues »-, comme le surnomment familièrement les matelots. De physionomie il ressemble un peu à Suffren, avec qui il partage l’embonpoint. « Bouffi et couperosé »[193], mais élégamment vêtu et d’une politesse exquise contrairement au style débraillé et truculent du bailli. Plus âgé que Suffren de 9 ans, il est comme lui rentré dans la marine vers 15 ans et a fait une belle carrière pendant la Guerre de Succession d’Autriche puis de l'Oreille de Jenkins et de Sept Ans, avant de servir aux Indes[194]. C’est un bon marin qui connait parfaitement les eaux indiennes et dispose d’une escadre bien armée. Les historiens anglais estiment que son excellente aptitude au commandement tient plus d’une longue pratique qu’à un quelconque génie. Quoi qu’il en soit, ce marin tenace, professionnel et flegmatique va s’avérer un adversaire d’autant plus coriace qu’il est parfaitement obéi de ses capitaines.

Le 14 février, en fin d’après-midi l’escadre française arrive en vue de Madras. Les 9 vaisseaux de Hugues sont reconnus au mouillage. Suffren avec ses 12 vaisseaux dispose d’une nette supériorité, mais le bailli qui n’a pas oublié la déconvenue de la Praya, se montre très prudent. Il est déjà tard. En attaquant maintenant on prend le risque d’un combat nocturne dans des eaux que l’on ne connait pas alors qu’il y a aussi -comme à la Praya- les canons de la forteresse à affronter... Suffren préfère reporter l’attaque au lendemain. Nombre d’observateurs ont critiqué cette décision qui fait perdre aux Français le bénéfice de la surprise, mais Suffren garde cependant l’avantage du nombre.

Au matin du 15 on forme la ligne d’attaque mais on constate aussi que les Anglais ont modifié leur position et se sont embossés sous la protection des forts. Nouvelle hésitation du bailli qui ordonne de mouiller et convoque ses commandants pour tenir un conseil de guerre. À l’exception du capitaine de la Fine, la frégate partie reconnaitre le port, tous estiment que l’escadre anglaise est inattaquable sous la protection des forts. Le vent est certes favorable mais il pousserait aussi à la côte les navires en difficulté. Cette prudence déconcerte l’observateur, compte-tenu du tempérament naturellement fougueux du bailli. Le choix de consulter ses hommes peut cependant être porté au crédit de Suffren, d’autant que d’une certaine façon elle place l’escadre anglaise dans l’embarras. Hughes peut-il rester inerte et laisser à Suffren la maîtrise des eaux devant la grande base de Madras ? C’est bien-sûr inimaginable, ne serait-ce que pour l’orgueil du vice-amiral anglais. Son escadre va donc devoir sortir pour se battre en infériorité numérique loin de la protection de l’artillerie terrestre[195].

Ordre est donc donné côté français d’appareiller pour se rendre à Porto Novo, petit port contrôlé par Haidar Ali à une centaine de milles au sud de Madras. On sort de plus de deux mois de navigation : il faut débarquer les troupes, ravitailler l’escadre et soigner les malades[196]. C’est alors qu’on distingue l’escadre anglaise qui sort de Madras, mais il est de nouveau trop tard pour combattre. Pendant la nuit, suite à des ordres mal compris le convoi s’éloigne de l’escadre française. Au petit jour, c’est la stupeur : Hughes s’est positionné par hasard entre Suffren et le convoi. La flute Bons-Amis attaquée par la frégate Sea-Horse réussit à se dégager. 5 anciennes prises sans valeurs sont reprises, mais une autre, le Lauriston qui transporte 369 hommes du régiment de Lauzun, de l’artillerie de campagne et des munitions est saisi[197]. C’est un coup dur pour les Français, même si Suffren qui arrive sur les lieux lance immédiatement la poursuite. Elle se prolonge pendant la nuit en suivant les feux anglais.

Le 17 février vers 15h30 la bataille s’engage enfin, au large du petit port de Sadras. Suffren qui dispose de la supériorité numérique choisit de concentrer son attaque sur l’arrière-garde anglaise. Il reprend une tactique déjà ancienne qui consiste à déborder l’arrière de la ligne ennemie pour la prendre entre deux feux avec les vaisseaux en surnombre. L’originalité de la manœuvre tient au fait que Suffren ne compte remonter qu’une partie de la ligne anglaise sur 6 vaisseaux seulement par l’arrière en laissant les 3 premiers non inquiétés. Comme l’escadre française compte 12 vaisseaux, les 6 autres navires en doublant la ligne anglaise doivent donc prendre entre deux feux -et détruire- les 6 vaisseaux anglais doublés des deux côtés[198].

Suffren remporte une nette victoire à Sadras, mais ne peut anéantir l'escadre de Hughes car 5 vaisseaux n'exécutent pas ses ordres. (Détail d'un tableau de Auguste-Louis de Rossel de Cercy, 1779).

Mais le combat ne se passe pas comme prévu. Suffren, qui a réussi à prendre le vent de Hughes commence à remonter la ligne anglaise. Il double le HMS Exeter (64 canons) qu’il canonne copieusement puis le HMS Monarca (74), le HMS Isis (54), le HMS Hero (74) et enfin arrive au niveau du HMS Superb (79), navire amiral de Hugues contre lequel il fixe son attaque en diminuant sa voilure (Il n’engage donc que 5 vaisseaux au lieu de 6). Les 4 vaisseaux qui suivent le Héros de Suffren, soit l’Orient (74), le Sphinx (64), le Vengeur (64) et le Petit Hannibal (50) imitent leur chef et attaquent les vaisseaux anglais qui viennent d’être doublés[199].

La bataille semble donc bien engagée lorsque vers 16h15 le bailli donne l’ordre aux autres vaisseaux français de commencer la manœuvre de doublage de la ligne anglaise par l’arrière. Mais Tromelin qui commande ces unités restées en retrait ne bouge pas malgré la répétition des signaux. 3 vaisseaux français qui ont vu les ordres (ou compris la manœuvre) se détachent alors pour tenter de doubler la ligne anglaise, mais Tromelin leur intime l’ordre de rester dans son groupe. L’Ajax (64) se plie à l’injonction, mais le Flamand (54) et le Brillant (64) désobéissent et entament la manœuvre. L’engagement de ces deux navires met rapidement les derniers vaisseaux anglais, les HMS Exeter et Monarca (déjà sérieusement touchés par les bordées de tous les navires qui suivaient Suffren) dans une situation intenable. Heureusement pour lui, le Brillant reçoit un boulet qui lui détruit son mât d’artimon. De ce fait il pivote dans le vent et présente sa poupe à l’Exeter qui réussit à lui placer une bordée en enfilade et à faire de nombreuses victimes. Le Flamand prend la place du Brillant et poursuit la canonnade sur l’Exeter. Le vaisseau anglais, complètement désemparé n’est plus qu’une épave sanglante qui lance des signaux de détresse puis amène son pavillon, mais les Français ne le voient pas et poursuivent le combat[200].

Pour Hughes la situation devient très difficile. Les vaisseaux anglais, sous le vent des Français sont inclinés et reçoivent de nombreux boulets sous la ligne de flottaison. Le navire amiral est à deux doigts de couler car ses pompes ne suffisent pas à franchir les voies d’eau alors que les calfats s’activent pour « temponner » les trous[201]. Hughes donne l’ordre à 3 des 4 vaisseaux de son avant-garde inemployée de virer pour se porter au secours de l’arrière garde en difficulté [les HMS Eagle (64), Burford (64) et Montmouth (64)]. Mais comme Hughes le reconnaitra plus tard[202], la tactique de Suffren rend cette manœuvre très difficile car les Anglais étant sous un faible vent, les 3 vaisseaux ont du mal à se retourner pour longer la ligne vers l’arrière. Ils réussissent cependant à sauver l’Exceter et à le prendre en remorque alors que la nuit tombe et que le contre-amiral décide de rompre le combat.

La journée se termine donc par une victoire française, hélas incomplète car Hughes, sévèrement étrillé a tout de même réussi à sauver son escadre. Les Anglais ont perdu 137 hommes et ont eu 430 blessés, les Français déplorant 30 morts sur l’ensemble de l’escadre, dont 4 sur le Héros[203]. C’est une victoire paradoxale, car arrivé en nette supériorité numérique le matin, Suffren a combattu en nette infériorité l’après-midi, compte-tenu de la défection de 5 vaisseaux. On peut comprendre le commentaire du bailli au ministre des affaires étrangères : « la nuit et d’autres circonstances, m’ont enlevé une victoire qui aurait décidé du sort de l’Inde. Les Anglais ont profité de la nuit pour cacher leur fuite »[204]. Les « autres circonstances » font penser immédiatement au comportement de Tromelin et des commandants qui sont restés hors de la bataille. Il apparait évident qu’il y un problème de discipline ou de commandement dans l’escadre.

Les suites de Sadras, ou le début d'un grave crise de commandement

Le sud de l'Inde et l'île de Ceylan (carte anglaise de 1794). Toutes les batailles que livre Suffren en 1782 et 1783 se déroulent sur ces côtes. On peut aussi trouver la totalité des localités et ports concernés sur cette carte plus lisible publiée par histoire-genealogie.com

Le lendemain du combat, ont tient conseil à bord du Héros. Avec 5 vaisseaux qui n’ont pas suivi leur chef, l’explication promet d’être orageuse, surtout pour Tromelin, vu les ordres reçus quelques jours plus tôt et dont voici l’essentiel : « si nous sommes assez heureux pour être au vent, comme ils ne sont que 8 ou 9 au plus, mon dessein est de les doubler par la queue, supposé que votre division soit de l’arrière, vous verrez par votre position quel nombre de vaisseaux débordera la ligne ennemie, et vous leur ferez signal de doubler. Si nous sommes sous le vent et que vos vaisseaux puissent en forçant de voiles doubler les ennemis, soit qu’ils ne soient pas attaqués du tout ou qu’ils le fussent que de loin ou faiblement, vous pourriez les faire revirer pour doubler au vent ; enfin dans tous les cas je vous prie de commander à votre division les manœuvres pour assurer le succès de l’action. »[205]. Des ordres très clairs, qui envisagent plusieurs cas de figures tout en laissant à l’officier une grande liberté d’action pour atteindre l’objectif (comme Suffen aime en avoir pour lui-même). Des ordres ouverts qui peuvent permettre à un officier talentueux de se faire remarquer, mais qui de toute façon, comme le précise la dernière phrase sont une quasi obligation d’engager le combat. Tromelin n’a absolument pas profité de la liberté de manœuvre que lui avait implicitement laissé Suffren et en fin de compte lui a totalement désobéi. Un tel comportement dans la Royal Navy vaudrait à l’officier mis en cause le conseil de guerre. Hors Suffren ne prend aucune sanction et passe même totalement l’éponge, ce qui laisse encore aujourd’hui pantois beaucoup d’historiens.

Tromelin se défend en faisant valoir que comme le temps étant brumeux et Suffren très éloigné il n’a pas vu les signaux de son chef. Rémi Monaque fait remarquer que Suffren a sans doute commis une erreur en prenant la tête de la ligne. Avec 12 vaisseaux à commander le bailli aurait dû rester au centre de la position française pour piloter au plus près la délicate manœuvre de doublement par l’arrière[206]. Suffren a peut-être commis une deuxième erreur en ordonnant de « se former sur une ligne quelconque », c'est-à-dire une ligne dans laquelle les vaisseaux se rangent par ordre de vitesse derrière lui. Ordre qui a entrainé une confusion peu compatible avec la précision nécessaire à la manœuvre projetée et a laissé en arrière les vaisseaux les plus lents autour de Tromelin, qui par ailleurs n’avait pas reçu la liste nominative des navires à commander. Explications qui semblent toutes bien minces compte-tenu des ordres précédemment cités.

Une frégate française de 32 canons en 1779. Au lendemain de Sadras, le commandant de la frégate la Pourvoyeuse donne sa démission car il ne supporte plus les reproches de Suffren. Ce premier départ est symptomatique de la crise de commandement qui mine l'escadre.

Suffren, en contradiction avec son tempérament adopte curieusement une attitude bonasse avec ses capitaines qui l’ont abandonné. Il rassure en public le commandant de l’Ajax qui avait commencé la manœuvre de doublement par l’arrière avant de rentrer dans le rang sous l’injonction de Tromelin, et qui de honte n’ose plus l’approcher. Ce comportement garde une part de mystère. On a même l’impression que Tromelin a barre sur Suffren. Tromelin détient-il des informations sur son chef et qui ne nous sont pas parvenues ? Rémi Monaque estime que c’est possible[207]. Suffren craint-il cet officier de haute noblesse, intrigant redoutable qui construit peu à peu un véritable dossier d’accusation contre son chef ? C’est possible aussi. Roger Glanchant note que « d’une certaine façon, et c’est presque comique, Suffren avait peur de Tromelin et de ses amis »[208].

Dans son compte-rendu au ministre, Suffen fait le constat que depuis l’île-de-France il n’a pas obtenu l’adhésion de ses capitaines à son commandement. Il s’accorde encore un peu de temps pour réussir et fait quasiment porter le chapeau à d’Orves, décédé depuis quelques jours ! « J’ai pris le parti de ne me plaindre de personne. Comme nous nous reverrons avec l’escadre anglaise, il serait peut-être dangereux de dégoûter ces messieurs qui, accoutumés à l’excessive bonté de M. d’Orves, ne s’accoutument point à être commandés. Encore faut-il se servir d’eux car dans les subalternes on ne trouverait pas à les remplacer »[209].

Un ultime incident nous montre cependant que si les tensions à l’intérieur de l’escadre proviennent bien de l’indiscipline d’un groupe d’officiers, le caractère difficile de Suffren est aussi en cause. C’est ainsi que l’on a raté l’occasion de récupérer le transport le Lauriston, que la frégate la Pourvoyeuse (38) était en position de reprendre au début de la bataille. Son capitaine ne l’a pas fait car il avait reçu l’ordre de se préparer à doubler la ligne anglaise et a eu peur de déplaire à Suffren. C’est bien-sûr ce qui se produit, mais pour la raison inverse, Suffren lui reprochant vivement son inaction. Incident caractéristique de la mauvaise communication entre Suffren et ses officiers. Pour Suffren, un officier brillant au caractère trempé (comme lui-même) peut considérer qu’un ordre est caduc si l’occasion de porter un coup à l’adversaire se présente. Mais la crainte d’encourir les reproches et les railleries de l’irascible bailli paralyse les subordonnés, sans les garantir de nouvelles algarades ressenties comme profondément injustes. Le capitaine de la Pourvoyeuse, bon marin qui a jusque-là fidèlement servi Suffren offre sa démission pour raison de santé. Démission acceptée pour l’officier qui regagne l’île-de-France[210]. C’est la première d’une série dans ce qui apparait comme le début d'une véritable crise interne du commandement et qui se manifestera désormais à chaque bataille.

Le débarquement à Porto-Novo et le cours repos de l'escadre (23 février-24 mars 1782)

Vue des magasins de la Compagnie des Indes à Pondichéry, de l'amirauté et de la maison du gouverneur. Cette image n'est déjà plus qu'un souvenir à l'arrivée de Suffren. La ville, totalement dévastée par les Anglais en 1761 n'est plus que ruines, comme on peut l'entrevoir sur cette gravure de 1769. Suffren choisit plutôt de débarquer à Porto-Novo. (Lorient, Musée de la Compagnie des Indes, vers 1750)

Au lendemain de Sadras l’escadre anglaise a disparu. Hughes s’est échappé pour gagner Trinquemalay sur l’île de Ceylan afin de panser ses plaies. Suffren reste donc maître des eaux indiennes sur la côte de Coromandel. Il est temps de songer à ravitailler l’escadre, débarquer les troupes, les blessés et les malades. Le 19 mars l’escadre mouille devant Pondichéry. Mais l'ancien comptoir de la Compagnie des Indes n’est plus à même de recevoir une grande escadre. Totalement dévastée par les Anglais lors du siège de 1761, puis de nouveau prise en 1778, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les Anglais ont même fini par l’évacuer en février 1781, laissant Haidar Alî occuper la place[211].

On fait donc route au sud vers Porto-Novo, un port lui aussi dévasté par la guerre mais où il est plus facile de faire de l’eau (voir cartes plus haut). Le 23 février on débarque les blessés et les scorbutiques et ont met en place un hôpital improvisé. Des représentants d’Haidar Alî sont sur place et ont reçu l’ordre d’apporter aux Français toute l’aide nécessaire. Suffren envoie deux de ses officiers rencontrer le Nabab qui leur fait un excellent accueil. Haidar Alî insiste sur le débarquement rapide des troupes françaises et confie aux deux hommes 100 000 roupies et de l’approvisionnement[212]. Le 9 mars les troupes et tous les effets appartenant à l’armée sont mis à terre, mais il faut attendre encore plusieurs jours pour que l’on puisse récupérer les navires du convoi, dispersés la veille de Sadras. Cinq navires rallient Porto-Novo seuls, alors que d’autres se sont réfugiés à Galle (Sri Lanka) sur la côte sud de l’île de Ceylan. Ces bâtiments vont y rester encore plusieurs semaines et ne seront rejoint que plus tard par l'escadre. C’est donc une toute petite troupe de sans doute moins de 2 000 hommes qui a débarqué à Porto-Novo sous les ordres de Duchemin[213] .

On apprend aussi que le Toscan, navire hôpital du convoi s’est fait prendre (c’est le deuxième après la prise du Lauriston). Ces pertes sont en partie compensées par la capture (ou la destruction) d’une quinzaine de navires marchands anglais et d’une corvette de 18 canons, le Chasseur par les frégates parties à la recherche du convoi. L’escadre de Suffren inaugure avec ces prises qui permettent de vivre sur le dos de l’adversaire une pratique que l’on va retrouver pendant toute la campagne.

Pendant que l'escadre répare ses avaries et que les équipages se "rafraîchissent" on apprend que Hughes a reçu du renfort : deux vaisseaux, les HMS Sultan et Magnanime de respectivement 74 et 64 canons. L’avantage numérique de Suffren commence donc à se réduire, ce qui n’entame en rien la détermination du bailli à se maintenir sur le théâtre d’opération comme il l’écrit au ministre de la marine[214] et à celui des affaires étrangères. On se dirige donc de nouveau vers une bataille car « n’ayant ni port ni arsenaux, ni magasins, ni argent, je ne puis me soutenir à la côte que par une grande supériorité et je n’ai qu’un moyen de l’acquérir [détruire la flotte britannique] »[215]. Tout est dit. Le 24 mars, l'escadre lève l'ancre pour partir à la recherche des vaisseaux de Hughes.

La "pagaille de Provédien" (12-13 avril 1782)

La bataille de Provédien se déroule sur la côte est de l'île de Ceylan, entre la baie de Trinquemalay et le port de Batticaloa. L’îlot de Provédien n'est signalé que sur les cartes anciennes.

En quittant Porto-Novo Suffren se dirige vers la grande île de Ceylan. Le bailli qui a retrouvé bon moral a semble-t-il deux objectifs : reconquérir la grande base hollandaise de Trinquemalay (sachant que l’essentiel de l’île reste encore aux mains des Néerlandais) et détruire l’escadre anglaise de Hughes, qui ne manquera pas de venir se battre pour défendre cette position clé[216].

De son côté, Hughes après avoir réparé ses avaries à Trinquemalay est retourné à Madras. Apprenant le départ des Français de Porto-Novo il fait immédiatement le calcul que Suffren veut s’en prendre à la précieuse base de Ceylan. Il appareille aussitôt et le 9 avril les deux adversaires sont en vue l’un de l’autre, mais des deux côtés on se montre extrêmement prudent. Suffren met ses 12 vaisseaux en ligne et Hughes fait de même avec ses 11 unités. A l’issue de trois jours de manœuvres et de contre-manœuvre Suffren réussit à se placer au matin du 12 avril au vent de son adversaire, et donc en mesure de lui imposer le combat. La rencontre a lieu sur la côte orientale de Ceylan, au large de l’îlot de Provédien (au sud de la baie de Trinquemalay). Le lieu est dangereux car il y a de nombreux haut-fonds et récifs, même si Hughes est sans doute un peu avantagé car il connait la côte mieux que les Français[217].

Vers 14h00 les deux escadres se retrouvent alignées dans un axe sud-nord, le long de la côte sur vent de tribord. La manœuvre est extrêmement classique. Suffren semble s’être rallié à l’habituel engagement en ligne de file, peut-être pour mieux être compris de ses capitaines et aussi être mieux vu puisqu’il s’est positionné au centre de l’escadre (toujours sur le Héros). Le bailli cherche malgré tout à profiter du seul navire en surnombre qui lui reste pour tenter de doubler sur l’arrière le dernier vaisseau de la ligne anglaise (comme à Sadras) et le prendre entre deux feux.

Suffren donne l’ordre d’attaquer Hughes en se rapprochant « à portée de fusil » mais la manœuvre ne se déroule pas comme prévu. Les deux vaisseaux de tête, le Vengeur (64 canons) et l’Artésien (64), bon voiliers prennent de l’avance et ont tendance à s’éloigner vers la droite. Seuls les 5 vaisseaux suivants, le Petit Annibal (50), le Sphinx (64), le Héros (74), l’Orient (74) et le Brillant (64) entament la canonnade de près. L’arrière garde, avec le Sévère (64), l’Ajax (64), l’Annibal (74) et le Flamand (50) prend du retard et reste sur la droite (comme l’avant-garde) en canonnant de loin les vaisseaux anglais. Quand au Bizarre (64) chargé de la manœuvre de doublement de la ligne anglaise sur l’arrière, il se montre totalement incapable de l’exécuter, malgré les ordres répétés du navire amiral. Ce vaisseau est cependant connu comme le plus lent de l’escadre et c’est sans aucun doute une faute de Suffren de l’avoir choisi pour mener une telle attaque[218].

En fin de compte on se retrouve avec un schéma de bataille voisin de celui de Sadras, avec 5 vaisseaux fortement engagés et 7 autres (les 2 de l’avant-garde et les 5 derniers) qui ne participent pas, ou mollement, de loin. Au centre, où se trouve Suffren le combat est particulièrement violent. Le Héros et le HMS Superb se canonnent furieusement ce qui donne à l’affrontement des airs de « bataille d’amiraux »[219]. Un incendie se déclare sur le Suberb. Suffren ordonne à l’Orient de poursuivre l’attaque sur le navire amiral anglais alors qu’il concentre son attaque sur le HMS Montmouth qui précède. Le navire anglais démâte sous les coups et quitte la ligne en tournant sur lui-même. Suffren qui constate par ailleurs que le fond se réduit ordonne à l’escadre de virer « lof pour lof » sur le vaisseau anglais désemparé[220]. Le Bailli qui retrouve sa fougue veut profiter de l’occasion pour rompre la ligne ennemie. Mais le Héros sévèrement touché sur son gréement perd à son tour une partie de sa mature alors que le Suberb qui a réussi à éteindre ses incendies s’interpose entre lui et le Montmouth. La bataille devient confuse, les deux lignes se disloquent. L’Orient se jette sur l’Exeter pour aider le Héros, mais un incendie se déclare sur sa grande voile et le Brillant qui suit doit intervenir pour le dégager alors que les 5 vaisseaux français de l’arrière-garde restés jusque-là en retrait finissent par s’approcher (vers 15h45) ...

Suffren dont le navire n’est plus manœuvrable passe vers 17h00 sur l’Ajax dont le capitaine, totalement dépassé par les évènements a laissé son vaisseau se faire masquer par l’Annibal devant les Anglais sans pouvoir tirer un coup de canon. Suffren prend le commandement du vaisseau, pour constater que l’Ajax qui est un navire peu manœuvrant n’est guère à même de pouvoir poursuivre Hughes qui a ordonné la retraite. Les eaux sont dangereuses. Plusieurs vaisseaux dont l’Ajax touchent l’un des nombreux et dangereux bancs de sable[221]. Suffren donne l’ordre d’abandonner la poursuite. La bataille a duré plus de 5 heures. Hughes qui connait mieux le secteur réussit à mettre à l’abri ses vaisseaux entre le banc de sable, l’îlot de Provédien et la côte de Ceylan. Les Français sont à une portée et demie de canon dans une confusion qui reste extrême. Un officier que Suffren envoie le soir porter un ordre se trompe à son retour dans l’obscurité et aborde le vaisseau de Hughes qu’il a confondu avec celui de Suffren. Le frégate la Fine aborde un vaisseau anglais de 50 canons mais les deux unités n’engagent pas le combat. « Il y a peu d’exemple d’une pareille mêlée » note Suffren dans son rapport[222]. Un orage tropical éclate. Les deux escadres, les voiles en lambeaux passent une nuit sinistre, ballotées sur leurs ancres au milieu des récifs.

Les deux chefs restent face à face pendant une semaine. Les charpentiers de marine s’activent pour réparer les matures. Suffren est rapidement prêt à reprendre le combat et canonne plusieurs fois Hughes pour le faire sortir de son abri. Peine perdue, l’Anglais préfère se tenir à l’abri, même si c’est pour se sentir humilié par les bordées de son adversaire alors que le moral de ses équipages est au plus bas[223]. Le 19 avril l’escadre française appareille, se forme en ligne de bataille et défile -ultime provocation- devant l’escadre britannique embossée. Suffren renonce à l’attaquer et s’éloigne vers le sud pour gagner Batticaloa, petit port hollandais tout proche[224]. C’est donc malgré tout une victoire française puisque le bailli reste encore une fois maître des eaux sur la côte de Ceylan et de Coromandel. Les pertes sont loin d’être négligeables : 139 morts et 364 blessés, et autant côté anglais (137 morts et 437 blessés) signe que le combat n’a pas seulement été confus mais acharné. Cette bataille marque les esprits au point que la « pagaille de Provédien » va demeurer pendant longtemps une expression célèbre dans la marine française pour caractériser ce genre de mêlée[225].

L'après Provédien, ou la suite de la crise de commandement en forme de mêche lente

Suffren se retrouve très isolé après Provédien. Il est très mécontent de la tenue au combat de ses capitaines alors que ceux-ci demandent à rentrer sur l'île-de-France. Mais Suffren est déterminé à poursuivre la campagne. (Sculpture du XIXe s.)

Cette bataille laisse Suffren profondément déçu et amer. Comme à Sadras, le Bailli est persuadé d’avoir raté l’occasion d’anéantir l’escadre anglaise à causes des fautes de ses commandants. « Si tous les vaisseaux eussent approché comme le Héros, le Sphinx, l’Orient et le Brillant, je crois que nous aurions eu une victoire complète. Si mon vaisseau n’eut pas été désemparé au point qu’il l’a été, qu’il eut pu se mouvoir, je suis assuré qu’en coupant la ligne anglaise, elle aurait été anéantie. Après le démâtage du Monmouth, il y avait un quart de lieue entre l’amiral et le vaisseau qui était de l’avant à lui. Je les ai laissés (les Anglais) embossés à terre, et outre bien des raisons de ne pas les attaquer, il y en a une que vous devinerez et que je ne puis dire »[226]. Les derniers mots du bailli font penser comme au lendemain de Sadras à la mise en cause de plusieurs de ses subordonnés. On n’est dans le non dit, mais Suffren est plus précis avec le ministre dans son compte-rendu rédigé quatre jours après le combat : « je ne puis entrer dans aucun détail mais, si dans cette escadre on ne change point cinq à six capitaines, on ne fera jamais rien et peut-être perdra-t-on toutes les occasions »[227].

Ces « cinq ou six capitaines » contre lesquels rumine le commandeur sont ceux du Vengeur et de l’Artésien, M.M. Forbin et Maurville, qui sont restés loin devant l’escadre, de l’Ajax, avec M. Bouvet « qui radote et n’est plus bon à rien », du Bizarre de M. La Landelle qui n’a pas réussit sa manœuvre de dépassement de l’arrière anglaise et du Sévère de M. Cillard. Même le capitaine de l’Orient, La Pallière qui a combattu au centre et a secouru le Héros se retrouve étrillé : « [il] va encore bien au feu, mais il est fort tombé » alors que curieusement Tromelin sur l’Annibal reçoit un demi satisfecit « [il a] fait bien mieux que le 17 février [à Sadras] mais je doute qu’il se soit approché aussi près qu’il était possible »[228]. Faut-il prendre toutes ces accusations pour argent comptant ? L’examen des pertes par navire montre que l’on peut donner raison à Suffren pour le Vengeur, resté loin à l’avant-garde et qui sort quasi intact avec seulement 2 blessés, ainsi que pour l’Ajax (4 morts, 11 blessés), resté hors du combat jusqu’à ce que Suffren en prenne le commandement. Mais pour les autres, on constate des niveaux de perte non négligeables comme sur l’Artésien (12 morts, 20 blessés) le Sévère (12 morts, 20 blessés aussi) et le Bizarre (12 morts et 28 blessés) ce qui montre que ces navires ont fini par rejoindre eux aussi la mêlée. Les accusations contre le capitaine de l’Orient semblent bien injustes aussi car c’est lui qui enregistre les plus lourdes pertes (25 morts, 73 blessés), loin devant l’Annibal de Tromelin (16 morts, 29 blessés) qui lui-même coiffe légèrement le navire du commandeur (12 morts, 38 blessés)[229]. Donc, hormis 2 vaisseaux, on peut considérer que tous les navires ont été engagés, il n’y a eu aucun acte de désobéissance caractérisée autour de Tromelin comme à Sadras.

Ce qui exaspère sans aucun doute Suffen, c’est la lenteur à exécuter ses ordres qui a prédominé au début de la bataille sur l’arrière-garde, et l’impression, -comme il le dit à la fin de son appréciation sur Tromelin- que même lorsqu’ils ont rejoint la mêlée tous ne l’ont pas fait à fond, tous n’ont pas pris tous les risques, comme lui. Mais tous les capitaines ne sont pas Suffren... Au final, seul les commandants du Vengeur'' et de l’Ajax sont sanctionnables, mais là encore le bailli n’en fait rien alors que la crise gagne en gravité comme le montre l’incident qui se produit quelques jours plus tard lorsque l’escadre mouille à Batticaloa.

Le capitaine du Brillant, M. de Saint-Félix vient trouver Suffren en tant que porte-parole des autres officiers. « M. de Saint-Félix, qui avait fait plusieurs campagnes dans l’Inde (...), m’écrivit une lettre plus longue que celle-ci, pour me prouver que je ne regagnerais point la côte de Ceylan, et que (...) le seul parti à prendre était d’aller à l’île-de-France. Quand je fus mouillé, il vint me haranguer, m’assura que tous les capitaines pensaient comme lui, et me proposa de les assembler. Je lui fis bien assurer qu’ils étaient tous de son avis, pour lors je dis qu’on n’assemblait des conseils que pour savoir l’avis des gens ; que le sachant je n’en avais que faire »[230]. Saint-Félix est un bon capitaine qui s’est comporté avec beaucoup de courage et de talent lors des deux batailles, conduite qui lui a valu les éloges de Suffren. C’est sans doute pour cela que les autres capitaines l’on choisi pour cette mission délicate qui sonne comme un vote de défiance. Cette démarche illustre l’isolement de Suffren qui fait face à sa manière, en envoyant tout le monde promener. Est-ce une erreur du bailli ? Peut-être, car ainsi il perd l’occasion d’expliquer ses choix militaires et politiques et s’aliène l’un des rares commandants qu’il tenait en haute estime. Mais inversement on peut aussi s’interroger sur cet étrange -et inouï- syndicat des officiers qui estiment que la guerre n’est pas gagnable et qu’il est temps de rentrer, ce qui fournit au passage la clé de leur comportement au combat[231]...

La crise de commandement, -probablement déjà amorcée lors des tortueuses tractations de l’île-de-France sur le remplacement des officiers tués à La Praya, et amplifiée par les batailles de Sadras et de Provédien- se poursuit donc en sourdine, sous forme de mèche lente, derrière les regards gênés ou inquisiteurs et les sourires de façade. Le plus extraordinaire est que Suffren faisant l’inventaire de ses forces après Provédien dispose de tous les arguments pour donner raison à ses officiers ! Car l’escadre est exsangue, comme l’avoue lui-même le bailli dans ses rapports et ses lettres. Voilà 5 mois que l’on a quitté l’île-de-France, donc 4 complets passés en mer (si on soustrait les 29 jours d’escale à Porto-Novo), et que l’on a livré deux batailles à moins d’un mois d’intervalle. La poudre et les boulets s’épuisent, la flotte manque de cordage pour les gréements, de bois de mâture, et les équipages fondent tout doucement, au fil des affrontements des maladies et des désertions[232]. S’obstiner c’est courir le risque du désastre. Et pourtant Suffren s’obstine. Il regarde au-delà des questions militaires et considère que l’enjeu dépasse de loin les problèmes matériels immédiats de l’escadre, comme il l’exprime au ministre des affaires étrangère : « Je vois bien des difficultés à tenir la côte et je crois que si je la quitte, Ceylan sera prise et que le nabab [Haidar Alî] fera la paix [avec l’Angleterre]. Plaignez-moi Monsieur le comte, d’être dans une pareille position, mais soyez bien sûr que je ferai tout ce qui sera possible. Un effort pour l’Inde peut tout décider »[233]. En clair, si on rentre on perd tout de toute façon alors que si on s’obstine, un ultime « effort » c'est-à-dire une troisième bataille peut encore tout faire basculer en faveur des intérêts du roi de France.

Un beau succès diplomatico-logistique : la coopération franco-hollandaise

Les possessions et les échanges commerciaux de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Grâce à la collaboration établie entre le gouverneur de Ceylan et Suffren, l'escadre française bénéficie d'un important soutien logistique tout en défendant les possessions hollandaises.

Traditionnellement, les vaisseaux de l’Océan indien ont pour base de repli et d’hivernage Port-Louis, sur l’île-de-France[234], ce qui explique aussi la demande des commandants de renter, tout comme celle du gouverneur de l’île, François de Souillac qui invite Suffren à en faire de même. Avec le choix de rester sur le théâtre d’opération alors qu’on ne peut attendre qu’un soutien très aléatoire voire inexistant de Port-Louis, on entre donc dans le hors norme logistique. Il va falloir trouver sur place tout ce qui manque à l’escadre. Haidar Alî, on l’a vu à Porto-Novo, a fourni aux Français de l’argent et de la nourriture. Les Anglais avec les nombreux navires que saisissent les Français font involontairement de même. C’est un bon début, mais sans doute insuffisant tant que l’on ne dispose pas d’un grand port et de l’aide des Néerlandais qui tiennent encore l’essentiel de Ceylan. Ce grand port ne peut être que celui de Trinquemalay, dont les Anglais se sont emparés en 1781. En attendant de le leur reprendre, Suffren fait relâche le 30 avril dans le petit port de Batticaloa, au sud-est de l’île. Les ressources locales sont faibles, mais on peut s’y ravitailler en eau et en bois. Les équipages se « rafraichissent » à terre et profitent des eaux très poissonneuses pour améliorer l’ordinaire. On complète les réparations faites après la bataille et on en profite pour faire rallier les bâtiments de transport qui s’étaient réfugiés à Galle (Sri Lanka) lorsque le convoi avait été dispersé avant Sadras. On puise dans leurs cargaisons et dans leur personnel au bénéfice de l’escadre[235].

Suffren, qui semble veiller à tout avec un coup d’avance a commencé à solliciter le gouverneur hollandais de Ceylan dès le lendemain de Sadras, dans un premier courrier envoyé le 12 mars 1782 depuis Porto-Novo. La collaboration franco-hollandaise avait commencé avec le sauvetage du Cap après la Praya. Elle avait été très délicate, les Néerlandais ne se sentant aucune affinité avec les Français, lesquels avaient presque sauvé le comptoir du Cap à son corps défendant (voir plus haut). Suffren va-t-il être mieux accueilli à Ceylan ? Le gouverneur de l’île, Iman Willem Falk[236] est heureusement un homme d’envergure qui comprend immédiatement tout l’intérêt qu’il peut retirer d’une bonne collaboration avec l’escadre française. L’empire colonial hollandais est considérable dans l’Océan indien. Outre Ceylan, il remonte jusqu’à la côte occidentale de l’Inde avec Cochin puis s’étend à l’actuelle Indonésie avec Batavia pour capitale et file jusqu’au sud de la Chine et du Japon. Il est très riche, mais on est plus au XVIIe siècle où les navires armés de la « VOC » (Compagnie des Indes Néerlandaises) pourchassaient les Portugais et les Anglais pour établir ses comptoirs et garantir le monopole de son commerce. La puissance militaire navale des Néerlandais s’est progressivement effacée au XVIIIe siècle, et l’empire est maintenant une proie facile pour les Anglais, comme nous l’avons déjà vu pour l’île de Saint-Eustache et le Cap. C’est donc un partenariat « gagnant-gagnant » pour reprendre un terme actuel qui s’engage entre Suffren et Falk : le bailli en menant la guerre navale contre la Royal Navy défend les intérêts de Louis XVI et de la Hollande, qui en échange met les ressources de son empire à la disposition de l’escadre française.

Ceylan et ses principaux ports. Dans un premier temps l'escadre de Suffren mouille à Batticaloa et Galle alors que Suffren voudrait reconquérir Trinquemalay. (Carte en Allemand de la fin du XIXe siècle)

Depuis Colombo où il réside, Falk va échanger une correspondance régulière avec Suffren qui va durer jusqu’en septembre 1784, avec d’autant plus de facilité qu’il est parfaitement francophone[237]. Il ne semble pas que les deux hommes se soient rencontrés mais tous les sujets sont traités avec franchise, signe de la confiance mutuelle qu’ils ont su développer. Les effets sont immédiats des deux côtés. Grâce aux renseignements fournis par les Néerlandais ont apprend que l’escadre anglaise s’est réfugiée à Trinquemalay où elle répare ses avaries et où elle perd beaucoup de monde autant par maladie que par les suites du combat. Les premiers navires hollandais arrivent, porteur de blé et de boulets. Le ravitaillement en nourriture pose une foule de problème car les Français sont des gros consommateurs de pain et de biscuit, donc de blé, céréale difficile à trouver dans cette région alors que les Néerlandais se sont mis depuis longtemps au riz. Les Français achètent des moulins à main à terre pour fabriquer de la farine. Le gouverneur fait aussi convoyer des troupeaux de bœufs et de chèvres pour fournir l'escadre en viande fraiche, ce qui ne va pas sans mal non plus sur une île où le régime est végétarien. Pour ce qui est de trouver du vin c’est mission impossible, mais Falk peut fournir de l’arak, alcool de riz local auquel s’adaptent rapidement les Français...

Suffren a capturé peu avant Provédien un navire anglais porteur d’un diplomate anglais chargé de négocier avec un roi indigène de l’intérieur de l’île une alliance contre les Hollandais. Il fait passer immédiatement l’information avec les papiers saisis à Falk, et de manière générale pendant tout le reste du conflit il transmettra à ce dernier tous les renseignements dont il dispose sur les mouvements de la Navy et sur ceux de son escadre. Falk qui dispose de nombreux agents dans tous les ports fera de même ce qui aidera grandement Suffren pour attaquer Trinquemalay.

Le financement de l’escadre française pose aussi de redoutables problèmes. Falk va y déployer tous ses talents, au prix de toute sortes d’acrobaties financières, sachant qu’il ne s’agit pas de payer les soldes des matelots -qui sont toujours les derniers sur les feuilles d’émargement[238]- mais les nombreuses fournitures que consomme l’escadre. Suffren ose aussi demander à Falk s’il « a du monde à lui prêter » pour compléter ses équipages[239]. Refus poli de Falk qui n’a déjà pas assez de matelots pour ses propres navires. On ne peut pas tout avoir, mais on trouvera plus tard des troupes d’origine asiatique soldées par les Néerlandais et mises à la disposition du bailli.

À la fin de l’escale à Batticaloa on peut dire que le bailli s’appuie donc sur trois jambes pour soutenir son escadre : l’aide du nabab Haidar Alî, les nombreuses prises anglaises et la coopération franco-hollandaise qui semble jouer un rôle essentiel. La complexité du bricolage diplomatique et logistique avec lequel Suffren jongle en permanence (et avec maestria) rend quasi impossible pour l’Historien toute tentative de calcul pour savoir ce qu’a bien pu « coûter » cette campagne aux Indes, dont on peut vraiment dire qu’elle est hors-normes.

Le premier succès français à terre et les projets de Suffren (3 juin-3 juillet 1782)

Le port de Negapatam vers 1775, sur la côte de Coromandel. Suffren a pour projet de reprendre ce comptoir hollandais enlevé par les Anglais en 1781. Mais auparavant il doit se débarrasser des nombreux prisonniers anglais qui encombrent l'escadre.

L’escale à Batticaloa s’achève le 3 juin. Elle a duré 33 jours et a fait « grand bien à nos équipages » si l’on se fie au témoignage d’un officier de l’Artésien[240]. C’est donc une escadre requinquée qui quitte Ceylan pour gagner la côte indienne en vue des prochains combats. Le 5 juin, l’escadre mouille à Trinquebar (ou Tranquebar), petit port neutre danois où elle reçoit encore du ravitaillement avec trois navires hollandais et quatre danois chargés « d’effets nautiques, de vivres et d’argent »[241]. Suffren est reçu fort aimablement par le gouverneur danois, M. Abbastée. Les neutres pencheraient-ils pour la France ? On ne peut l’exclure. Recevoir et ravitailler les Français relève d’un vrai choix politique, compte tenu du comportement prédateur de la Royal Navy qui saisit les navires neutres suspects de trafiquer avec l'ennemi. On peut penser aussi que les prétentions anglaises au contrôle total des mers ont fini par inquiéter tout le monde jusque dans l’Océan indien.

On profite aussi de l’escale pour reprendre contact avec Haidar Alî. La coopération avec le nabab a porté ses premiers fruits puisque le 3 avril, peu de temps avant la bataille de Provédien la petite troupe du général Duchemin débarquée lors de l’escale de Porto-Novo a pris le port de Gondelour (appelé aussi Cuddalore). La faible garnison anglaise s’est rendue sans combattre aux Français, il est vrai fortement renforcés par de nombreuses soldats de Haidar Alî. Le nabab, fait savoir à l’envoyé de Suffren qu’il laisse un corps de 3 000 hommes à sa disposition et qu’il désire fortement le rencontrer. Haider Alî envoie en cadeau un grand nombre de bœufs pour ravitailler l’escadre, mais fait aussi savoir qu’il trouve le général Duchemin beaucoup trop passif depuis la prise de Gondelour[242] mais il est vrai que ce dernier est malade depuis peu.

Le 20 juin Suffren quitte Trinquebar pour Gondelour où il arrive le jour même. Suffren a pour intention d’attaquer Negapatam, le port hollandais occupé par les Anglais depuis 1781. Mais on apprend aussi que Hughes, qui se doute certainement des projets du bailli a quitté Trinquemalay pour venir mouiller à Negatapam. Il en faut plus pour faire renoncer Suffren à son projet. Il décide d’attaquer Hughes tout en embarquant des troupes pour compléter ses équipages et attaquer la place, soit 700 hommes de Duchemin et 800 cipayes fournis par le nabab. Notons que le système de ravitaillement patiemment tricoté par Suffren tourne à plein, puisque outre le ravitaillement fournis par les Hollandais, les Danois et le nabab cité plus haut, les frégates qui balayent l’espace autour de l’escadre ont raflé 4 navires anglais porteurs de poudre, de boulets, d’artillerie de siège, de riz, de blé, de légumes[243].

Ces belles et nombreuses prises dans les eaux indiennes posent cependant un redoutable problème : que faire des prisonniers ? Ils y en a sur tous les navires et on ne peut les laisser à terre faute de monde pour les garder, sachant que les malades qui ont été débarqués désertent des hôpitaux. Suffren fait des propositions d’échange aux Anglais qui refusent. Il semble que du côté de Hughes on fasse le calcul tortueux que ces prisonniers sont un poids mort qui consomment les ressources de l’escadre française, sans parler des risques qu’ils font courir à la sécurité des vaisseaux. Calcul étonnant alors que tous les renseignements indiquent que côté anglais on manque aussi d’hommes. Suffren décide donc de confier les prisonniers à la garde d’Haidar Alî, décision qui aujourd’hui encore fait hurler les historiens anglais, compte-tenu de la cruauté du prince indien. Mais Suffren assume, malgré les cris et les supplications des prisonniers[244]. La faute en revient aux Anglais eux-mêmes et c’est aussi une décision politique destinée à « gagner la confiance du nabab »[245] et qui peut par ailleurs fournir à ce dernier des moyens de pression pour négocier face au gouverneur de Madras.

Négapatam, encore une sanglante et indécise bataille (6 juillet 1782)

La bataille de Négapatam, le 6 juillet 1782. Engagée sur la classique tactique de la ligne de file, elle tourne à la confusion sur les deux avant-gardes. Tableau (1786) de Dominique Serres (1719-1793). On peut examiner les détails de cette oeuvre grâce au zoom que propose le site du National Maritime Museum de Londres.
Vue centrale de la bataille de Négapatam, peut-être une représentation du HMS Sultan pris en enfilade par le tir du Sévère. (Gravure de T. Dubois, sans date). Sur cette bataille complexe on peut aussi consulter le plan proposé par le site net4war.com

Le 3 juillet l’escadre quitte Gondelour et se met à la recherche des vaisseaux de Hughes qui sont rapidement repérés. On entame les manœuvres d’approche mais le 5 vers 15h00 un mauvais coup de vent local démâte partiellement l’Ajax. Suffren détache la frégate la Bellone pour lui porter assistance et ordonne au navire de prendre place à l’arrière de la ligne. Le vent tourne au profit des Anglais, mais Hughes n’en profite pas et file vers le large. Suffren ordonne vers 17 h 45 de mettre en panne puis de mouiller pour attendre l’Ajax [246] alors que Hughes revient vers la côte à la tombée de la nuit.

Le 6 au matin une nouvelle déconvenue attend Suffren : l’Ajax n’a pas achevé ses réparations, situation d’autant plus exaspérante que son capitaine, Bouvet a refusé l’aide des charpentiers du Héros. C’est donc à 11 vaisseaux qu’il va falloir combattre. Les deux escadres sont nominalement du même ordre mais Hughes dispose d’une puissance de feu supérieure avec 5 vaisseaux à 74 canons contre 3 seulement pour Suffren. Les deux chefs se mettent en formation selon la tactique habituelle de la ligne de file et entament les manœuvres d’approche. Hughes qui a l’avantage du vent se laisse porter pour engager le combat. Mais il n’est pas dans le tempérament de Suffren d’attendre passivement l’attaque de l’ennemi. A 7h35 il ordonne à l’escadre de virer de bord par vent devant avec l’espoir de passer à proximité de l’arrière-garde anglaise et d’y concentrer ses efforts. Mais le Brillant qui conduit la ligne rate sa manœuvre et dérive sous le vent. Cette erreur fait donc manquer le retournement offensif voulu par Suffren. Faute de mieux, le Brillant reçoit l’ordre de s’intercaler entre le Sévère et le Héros alors que les Anglais se rapprochent[247].

A 10h50 le combat s’engage entre les deux avant-gardes alors que les navires sur l’arrière restent encore loin des combats. Puis, comme à Provédien la bataille devient confuse. Une saute brutale de vent bouscule plusieurs vaisseaux des deux escadres qui virent de bord involontairement. Les deux avant-gardes se disloquent, les navires des deux partis courant un peu dans toutes les directions. Le Flamand (60) qui était en tête de la ligne se retrouve aux prises avec les deux vaisseaux anglais de l’avant et réussit à endommager gravement le HMS Exeter (64) qui quitte la bataille sans demander l’autorisation de Hughes. Il élonge tout le reste de la ligne française à contre-bord et reçoit sans riposter les bordées des vaisseaux français. Le Flamand réussit même à toucher au gouvernail le deuxième vaisseau, le HMS Hero (74). Le Brillant (64) et le Sévère (64), se retrouvent au plus près d’un groupe de navires anglais dans une furieuse canonnade. Le Brillant, qui perd son grand mât ne doit son salut qu’à l’intervention de Suffren sur le Héros (74). Derrière le Héros, le Sphinx (64) fait le coup de feu avec le navire amiral anglais, le HMS Superb (74)[248].

Le Sévère est entrainé au milieu de 3 vaisseaux anglais (deux « 74 » et un « 64 »). Son capitaine s’effondre moralement après les blessures qui mettent hors de combat les deux officiers qui le secondent sur la dunette. Il perd son sang-froid et ordonne à l’un de ses matelots de baisser pavillon (se rendre) et se met à parcourir la galerie qui longe la poupe en faisant -déshonneur suprême- signe au HMS Sultan (74) avec son chapeau de ne plus tirer[249]. Les trois vaisseaux anglais cessent alors la canonnade, et le Sultan met en panne pour envoyer un canot de prise. C’est alors qu’interviennent les deux officiers qui commandent les batteries du Sévère et qui montent sur la dunette avec le soutien bruyant de l’équipage pour obliger le commandant à reprendre le combat. Cette quasi mutinerie sauve le vaisseau : on hisse de nouveau les couleurs et le feu reprend. Le Sultan, qui a dérivé en présentant son arrière au Sévère reçoit un terrible tir d’enfilade qui le dévaste sur toute sa longueur et qui l’écarte définitivement du combat. Pas très fair play, mais efficace, et c’est peut-être un prêté pour un rendu après les fourberies de Boscawen lors du précédent conflit[250].

Le Petit Annibal (50) lutte à armes presque égales avec le HMS Isis (56), mais l’Artésien (64) qui suit se retrouve en difficulté avec un violent incendie qui ravage sa poupe. Son capitaine, mal inspiré commet en plus l’erreur de présenter son navire par vent arrière ce qui ne fait qu’attiser les flammes au risque d’embraser le navire. L’incendie est finalement maîtrisé alors que le Héros tente de se rapprocher du Superb. Mais Hughes se dérobe. Suffren lâche une bordée d’insultes et de boulets sur l’arrière du vaisseau amiral anglais, ce qui déclenche une masse de hurlements et de God Damned sur le pont du navire anglais[251]. Les 3 derniers vaisseaux de la ligne française, le Vengeur (64), le Bizarre (64) et l’Orient (74) sont peu ou pas engagés.

Vers 14h50, comme par une sorte de consentement mutuel, le feu cesse de part et d’autre. Les combats ont duré à peu près quatre heures. Les Anglais se rassemblent, tiennent le vent et s’éloignent vers le large. Hughes reconnaîtra honnêtement que ses « vaisseaux étaient considérablement désemparés et en général ingouvernables. (...) Le 7 dans la matinée les dommages qu’avaient essuyés les divers vaisseaux de l’escadre ma parurent être si considérables, que j’abandonnai toute idée de poursuivre l’ennemi »[252]. Suffren rassemble aussi son escadre mais serre la côte, rejoint par l’Ajax qui a enfin réparé sa mâture. Vers 17h00 l’escadre mouille, puis lève l’encre le lendemain pour gagner Gondelour, où elle arrive le 8. La bataille a coûté 178 morts et 601 blessés côté français alors que Hughes ne déplore que 77 tués et 232 blessés. Négapatam est une sanglante journée qui laisse les Français très éprouvés. Une fois encore, l’escadre Anglaise n’a pu être détruite et il faut renoncer à assiéger le port du même nom, même si Suffren garde la maîtrise des eaux entre la côte de Coromandel et Ceylan.

Les suites de la bataille : la première charrette des commandants renvoyés

La poupe de l'Artésien subit un violent incendie pendant la bataille de Négapatam et son capitaine présente le navire par vent arrière au risque d'embraser le vaisseau. Cette bévue lui vaut d'être renvoyé par Suffren. (Maquette du musée de la Marine).
Le Vengeur n'a que peu été engagé par son commandant à Négatapam, tout comme à La Praya et à Provédien, ce qui lui vaut lui aussi d'être démis de son commandement par Suffren.

Cette troisième bataille dans les eaux indiennes va faire d’autres victimes : les commandants qui n’ont pas été à la hauteur ou que Suffren juge comme tel. Voilà des mois, nous l’avons vu, que dure une crise de commandement larvée qui empoisonne l’escadre à chaque bataille et dont on a pu suivre le développement depuis les premières intrigues à l’île-de-France. Au retour de l’escadre à Gondelour Suffren décide de démonter de leur commandement quatre de ses officiers.

Le premier est le chevalier de Cillard, commandant du Sévère (64), qui a « craqué » pendant la bataille en amenant son pavillon alors que son vaisseau était en difficulté contre trois Anglais. Cillard tentera de se justifier après la guerre[253] en mettant en cause la qualité insuffisante de son vaisseau, mauvais marcheur, de son équipage insuffisant en nombre et en entrainement, et pour finir de Suffren lui-même qui a écouté les rapports de gens malintentionnés alors que son ordre de baisser pavillon n’était qu’une feinte pour se dégager... Pitoyable défense, au vu des nombreux témoignages sur sa conduite et sur l’état du navire, encore intact de mâture et en parfait état de combattre comme l’a montré la suite de la bataille. Notons que Suffren ne le démonte de son commandement que 12 jours après la bataille ce qui montre qu’il a pris le temps d’enquêter. Suffren rend au passage au ministre un rapport élogieux sur les deux officiers qui ont refusé de baisser pavillon[254].

Le deuxième est M. Bouvet, commandant de l’Ajax (64). Bouvet ne s’était déjà pas montré à la hauteur à Provédien en positionnant son navire hors de la ligne de feu. En se montrant incapable de réparer ses avaries dans un délai raisonnable tout en refusant l’aide des charpentiers du Héros et le remorquage par la frégate la Bellone, il a gravement compromis la situation de l’escadre peu avant le combat. Suffren avait déjà noté au lendemain de Provédien que Bouvet « radotait ». Il devient clair que cet officier autrefois vaillant n’est plus à même de remplir ses fonctions. En égard à son passé, Suffren organise sa démission pour raison de santé. Bouvet, parvenu au bout de ses forces physiques et morales meurt peu de temps après, le 6 octobre 1782 à Trinquemalay[255].

Le troisième est M. Bidé de Maurville, commandant de l’Artésien (64). C’est un jeune officier supérieur (moins de 40 ans) mais que Suffren a dans le collimateur depuis Sadras et Provédien car il estime qu’il a médiocrement conduit son vaisseau à chacun de ces engagements. Pendant l’escale à Trinquebar en juin, Maurville a aussi commis l’erreur de laisser s’échapper un gros navire de la Compagnie des Indes sous prétexte que les ordres étaient de rentrer à la nuit. Cette application étroite des ordres reçus qui prive l’escadre de précieuses ressources a provoqué la colère de Suffren. Pour finir, la grossière erreur de Maurville, positionnant l’Artésien par vent arrière avec un incendie sur sa poupe (au risque d’un embrasement général) achève de convaincre Suffren qu’il doit se défaire de cet officier[256].

Le dernier est Forbin, commandant du Vengeur (64)[257]. Suffren sanctionne chez cet officier un manque d’initiative et de pugnacité relevé tout au long de la campagne. Forbin est passé à côté de la bataille à La Praya, avant de se battre honorablement à Sadras, puis de nouveau décevoir Suffren à Provédien où il est resté loin à l’avant-garde avant de rester plutôt loin derrière à Négapatam... Ses pertes lors de ces deux derniers combats sont d’ailleurs assez faibles (aucun mort, 2 blessés à Provédien, 8 morts, 44 blessés à Négapatam) même si on ne peut lui reprocher aucune faute de commandement avérée comme pour les autres officiers.

Cet épisode fournit aussi en creux un état moral des équipages. Le Sèvère a été sauvé de son commandant défaillant par deux officiers déterminés, soutenus par la bronca des canonniers et des matelots. Des hommes épuisés et démoralisés n’auraient sans doute guère bougé pour sauver leur vaisseau aux prises avec 3 anglais. Le comportement des hommes de l’Ajax montrent aussi qu’ils désapprouvent l’attitude du vieux commandant qui se montre incapable de faire réparer son vaisseau : « Les yeux se fixaient sur lui avec une indignation peu commune » note le chevalier de Froberville[258]. On peut donc en déduire que les efforts de Suffren qui surveille avec soin le ravitaillement et l’état sanitaire de l’escadre sont payés de retour par des équipages ayant un bon moral et qui sont plus combattifs que certains d’officiers supérieurs.

Tous les officiers démontés sont remplacés par des capitaines de frégate, ce qui rajeunit le commandement et provoque au passage un vigoureux « turn over » dans l’escadre, (pour reprendre une expression actuelle) puisqu’il faut aussi trouver des remplaçants à ceux qui montent en grade. Notons que Tromelin, le principal ennemi de Suffren n’est pas touché par ces changements. Il est vrai qu’il s’est bien comporté à Negapatam, avec des pertes supérieures à celle de son chef (28 tués et 80 blessés sur l’Annibal contre 25 tués et 72 blessés sur le Héros).

On peut aussi s’étonner que Suffren ait attendu son quatrième combat (depuis son départ de France) pour mener cette opération disciplinaire alors que sa correspondance déborde de critiques contre ses capitaines. Il est vrai que tous les officiers qui commandent les vaisseaux de guerre sont de grands nobles qui peuvent se prévaloir de multiples soutiens à la Cour. De quoi faire réfléchir même un homme comme Suffren, sachant qu’un tel acte d’autorité relève du « jamais vu » dans aucune escadre française. Si Suffren passe à l’acte, c’est certainement qu’il se sait maintenant appuyé à Versailles. Compte-tenu du temps de transit entre Brest et Ceylan (un peu moins de 6 mois) il a sans doute entre les mains le courrier de De Castries du 24 novembre 1781 qui l’incite à la sévérité : « Je vous ordonne de la part du roi de me rendre compte de ce qui s’est passé lors de votre attaque à La Praya et de renvoyer en France les commandants de vos vaisseaux dont vous auriez à vous plaindre. Il ne peut y avoir d’égards ni de considérations qui puissent vous dispenser de vous faire obéir et je compte que vous me mettrez dans le cas de faire connaître au roi la vérité »[259]. Ce coup d’éclat du bailli sera-t-il suffisant pour rétablir son autorité auprès des autres officiers qui trainent des pieds à chaque bataille ? La suite va hélas prouver que non, alors que par ailleurs se manifestent les premiers signes d'admiration dans le camp adverse.

Les premiers signes d’admiration anglais et le succès diplomatique de l'alliance franco-indienne (juillet 1782)

Au lendemain de la bataille, alors que l’escadre vient de lever l’encre pour Gondelour se présente un brick anglais portant pavillon parlementaire. On reçoit l’émissaire anglais qui porte une lettre de Hughes demandant poliment à ce qu’on lui remette le Sévère qui avait amené son pavillon la veille... La lettre est portée par le capitaine de vaisseau Watt du HMS Sultan, pris en enfilade par le même Sévère au moment de l’incident du pavillon. Suffren refuse bien-sûr la demande en arguant que le pavillon est tombé suite à une rupture accidentelle de drisse (cordage) sous l’effet du feu ennemi et que de toute façon il était lui-même très près du Sévère avec le Héros « pour le secourir et même pour le reprendre au cas qu’il se fût rendu »[260]. Ce gros mensonge, que Suffren argumente avec un incident qui se produit régulièrement lors des combats lui permet d’évacuer prestement la demande et Hughes n’insiste pas. Suffren, par représailles au refus de Hughes de recevoir un de ses officiers après Provédien refuse à son tour de recevoir Watt qui veut lui présenter ses hommages. Ce dernier engage donc la conversation avec le principal officier de Suffren, Moissac.

Watt se montre alors fort admiratif pour l’escadre française et pour son chef. Watt demande comment font les Français « pour tenir aussi longtemps à la côte, étant depuis huit mois loin de l’île-de-France, n’ayant pu en emporter que pour six mois de vivres et n’en ayant reçu aucun secours ? ». Lorsque l’Anglais demande à Moissac quand l’escadre compte s’en aller, celui-ci lui répond avec le plus grand sang-froid : « Ma foi, monsieur, le général a dessein de rester ici tant que vous lui fournirez des vivres et des munitions pour faire la guerre. » Et Watt de s’exclamer : « Ah ! Quel homme que ce M. de Suffren, plus je l’examine et plus je suis persuadé qu’il est peut-être le premier général de son siècle ; de quelque manière que tourne la fortune, cette campagne est la plus glorieuse que la France ait faite. Tous les Anglais, gens sensés et sans partialité, disent que si on donnait un tableau de la campagne que fait M. de Suffren à un de leurs meilleurs amiraux et qu’on lui proposât d’en faire autant avec les mêmes moyens, il n’y en a pas un qui voulût s’en charger et de plus ils doutent qu’il y eût un officier et un matelot qui voulût s’y embarquer[261] ». Ce récit rédigé à l’île-de-France quelques semaines plus tard est sans doute un peu complaisant mais il sonne agréablement aux oreilles françaises. Il témoigne aussi, en creux derrière les louanges, du relatif désarroi dans lequel se trouve l’escadre de Hughes. Côté anglais, malgré les espions on ne parvient pas à percer les secrets du bricolage logistique de Suffren alors que l’on s’était visiblement habitué à voir les officiers français peu combattifs rentrer rapidement se mettre à l’abri à l'île-de-France.

La rencontre entre Suffren et Haidar Alî en juillet 1782 est un franc succès diplomatique qui débouche sur une alliance entre les deux chefs contre les Anglais. (Gravure de J.B. Morret, 1789)

Alors que les Britanniques semblent connaître un coup de « blues » Suffren réussit un à nouer un bel accord militaire et diplomatique qui ne peut que les inquiéter encore plus. Le 8 juillet, deux jours après la bataille l’escadre arrive à Gondelour. On débarque les blessés, on entame les travaux de réparation avec le jeu habituel des mâtures échangées entre vaisseaux ou démontées sur des prises. Dès le 18 juillet Suffren estime que son escadre est prête à reprendre la mer[262]. C’est alors qu’Haidar Alî décide de venir à la rencontre de Suffren. C’est l’occasion d’organiser un sommet diplomatique qui peut être déterminant pour la suite de la campagne. Le nabab parcourt 30 lieues en trois jours avec 100 000 hommes et son artillerie. Le 25 juillet il se présente devant Gondelour et installe son campement devant la localité. Il est salué par la terre de 21 coups de canon, accompagné d’un salut général de tous les vaisseaux. Suffren et Haidar Alî se rencontrent quatre fois, du 26 au 29 juillet.

Ce « sommet » entre les deux chefs prend des allures de « fête extraordinaire et pittoresque »[263] avec des cohortes d’éléphants, de chameaux chargés de riches bagages, de buffles. Haider Alî parait escorté de ses lanciers, porté dans un superbe palanquin face à Suffren entouré de ses officiers. Le bailli, en sueur, s’est forcé à enfiler son plus beau costume... On fait échange d’amabilités, Haider Alî se montrant particulièrement prévenant[264]. Conformément aux traditions, le nabab offre des bijoux et de l’argent : 10 000 roupies à Suffren, 1 000 à tous ses officiers, lequel offre en retour des beaux objets d’orfèvrerie trouvés sur les navires capturés, dont une superbe pendule en forme d’édifice chinois. Le nabab régale ses hôtes avec plusieurs déjeuners fastueux « au goût indien » tout au long des discussions sous les tentes.

À l’issue de ces entretiens on convient d’améliorer la coordination entre les troupes indiennes et françaises. Ces dernières étant inertes depuis que le général Duchemin est malade et doit se tenir alité. Suffren reçoit pendant les négociations un courrier apporté par le cutter le Lézard arrivé de l’île-de-France et qui lui annonce que les renforts qu’il demande depuis des mois arrivent enfin. Il s’agit du corps expéditionnaire commandé par M. de Bussy, accompagnés de plusieurs vaisseaux de guerre. Deux d’entre-eux, le Saint-Michel (60 canons) et l’Illustre (74) ayant à leur bord un bataillon ont déjà appareillé depuis le 25 juin et ne devrait plus guère tarder à arriver. C’est une excellente nouvelle. Les promesses tant de fois faites au nabab d’une intervention plus vigoureuse de la France se concrétisent enfin. La nouvelle encourage Haidar Alî à maintenir sa présence sur les côtes de Coromandel alors qu’une forte armée anglaise menace ses provinces de l’ouest. Le nabab s’engage même à fournir vivre et argent à la troupe de Duchemin dont il critiquait jusque-là le faible engagement. Dans son compte-rendu au ministre, Suffren montre toute sa satisfaction et son optimisme sur les relations futures avec le nabab. « Ce prince m’a donné publiquement 10 000 roupies pour tenir lieu, dit-il, de l’éléphant dont je ne puis faire usage et très secrètement m’a complété un lac (100 000 roupies)[265], disant qu’il me recommandait le secret pour ne pas exciter la jalousie. Cela s’est fait à la dernière audience. Je puis affirmer que si on avait su prendre ce prince, on en aurait fait ce qu’on en aurait voulu. Je n’ai d’autre art pour lui que de n’en point avoir et de lui dire toujours vrai » [266]. On ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire sur l’autosatisfaction du bailli, mais il n’en reste pas moins que c’est un beau succès diplomatique. Cette alliance ouvre aux Français de vastes possibilités de reconquête sur la côte de Coromandel alors même que celle-ci n’intéresse pas Haidar Alî[267]. Il ne reste plus qu’à concrétiser cet engagement avec l’arrivée des renforts promis, ce qui va s’avérer beaucoup plus complexe que prévu.

Une belle victoire Mer contre Terre : la prise de Trinquemalay (août 1782)

La prise de Trinquemalay, rondement menée en quelques jours apparait comme un brillant succès de Suffren qui a su organiser une opération interarmée pour le débarquement et le siège.
L'immense baie de Trinquemalay est rendue aux Hollandais et offre un abri sûr à l'escadre.

Le 1er août 1782 Suffren appareille pour Ceylan et vient mouiller le 8 août dans le petit port de Batticaloa. Le lieu est déjà connu des Français qui y avaient fait relâche au lendemain de Provédien (voir plus haut) et sert pour l’occasion de point de concentration des forces en vue de l’attaque que Suffren veut monter sur Trinquemalay. Le commandeur a embarqué assez de munitions pour mener un « petit siège » et a pris avec lui des hommes du génie et quelques artilleurs. En attendant l’arrivée des vaisseaux de l’île-de-France avec les renforts, on procède au classique (et permanent) entretien des vaisseaux, d’autant que deux d’entres-eux, l’Orient et la Fine se sont abordés pendant la traversée. On travaille sur la carène du navire amiral, le Héros et on doit faire face aux aléas de la guerre navale en trouvant un nouveau commandant et un second à la frégate la Bellone, tués tous les deux lors d’un combat malheureux avec une frégate anglaise[268].

La collaboration avec les Néerlandais est maintenant bien rodée. Le gouverneur Falk fait parvenir des vivres et met à la disposition pour la première fois des troupes, en l’occurrence une compagnie de 120 soldats malais[269]. Tout aussi intéressants sont les renseignements que fournit Falk sur Trinquemalay. Les Hollandais connaissent bien le port qui était encore entre leurs mains quelques mois plus tôt, et disposent des rapports des nombreux espions restés sur place et des comptes-rendus des déserteurs. Les Français peuvent donc préparer l’opération en parfaite connaissance de l’état exact des forces anglaises, de leur armement et de leur dispositif de défense articulé sur les deux forts d’Ostemburg et Frederick, dans l’immense baie[270].

Le 21 août se présentent enfin à Batticaloa les deux vaisseaux de renforts attendus, le Saint-Michel (60 canons) et l’Illustre (74 canons) accompagné de la corvette la Fortune (18 canons) et escortant un gros convoi de 17 navires marchands dont 2 hollandais chargés de munitions, de vivres et ayant à bord 600 hommes du régiment de l’île-de-France. On répartit rapidement les hommes et le ravitaillement sur les unités de guerre et le 23 août on appareille pour Trinquemalay. L’objectif n’est qu’à une soixantaine de mille au nord de Batticaloa ce qui facilite grandement l’opération.

Le cutter le Lézard vient confirmer que Trinquemalay est vide de navires anglais et le 26 août au matin, après avoir brièvement supporté le tir d’une batterie côtière on entreprend le débarquement sur une plage à moins d’une lieue du fort Frederick. 2 300 hommes sont mis à terre dont 600 cipayes et 500 hommes des troupes de marine. Le lieutenant colonel d’Algoud de la légion de Lauzun commande la petite armée. Le siège est rondement mené. On repousse une sortie anglaise (27 août) et les deux batteries mises en place commencent à pilonner le fort Frederick (29 août). Suffren reste à terre pour dynamiser la conduite du siège avec son énergie habituelle et souhaite en finir rapidement car il craint le retour de l’escadre anglaise. Le 30 août, Suffren juge le moment venu de sommer le gouverneur de capituler. Les pourparlers aboutissent presque immédiatement. La garnison anglaise sort donc avec les honneurs de la guerre, une partie de son artillerie et doit être évacuée sur Madras par les vainqueurs. On s’engage aussi à n’exercer aucunes représailles vis-à-vis des Français capturés quelques mois plus tôt sur le transport le Lauriston (peu avant Sadras, voir plus haut) et dont certains se sont engagés depuis dans l’armée anglaise[271]...

Reste à obtenir la capitulation du fort d’Ostembourg commandant l’entrée de la rade intérieure. Pendant la nuit du 30 on s’empare d’une petite redoute sur une hauteur à demi-portée de fusil du fort ce qui pousse le commandant anglais à négocier. Le 31, le colonel d’Algoud fait sommation de se rendre sous peine d’être envoyé comme prisonnier dans les geôles d’Haidar Alî, mais l’Anglais ne veut négocier qu’avec celui qu’il perçoit comme le chef véritable du siège, Suffren lui-même. L’officier anglais, sorti parlementer obtient la même capitulation que le fort précédent[272].

Au final, c’est une brillante victoire du bailli qui a enlevé Trinquemalay en moins d’une semaine et au prix de 25 tués ou blessés seulement. Ce n’est pas cher payé pour une base aussi précieuse et qui livre au passage un beau butin de guerre. Dans le seul fort d’Ostembourg on trouve 50 000 piastres, 20 000 livres de poudre, 1650 boulets, six mois de vivres, 1 200 fusils, 4 canons de campagne, 10 obusiers et 30 canons de forteresse[273]. Un butin qui montre que les Anglais avaient de quoi soutenir un long siège et qui laisse percevoir en creux leur faible moral dans cette affaire où ils avaient tout à gagner à pousser leur résistance en attendant l’arrivée prochaine de leur escadre. Suffren ne s’y trompe pas : « J’ai accordé une belle capitulation, parce qu’ayant 1 200 hommes à terre, l’arrivée de M. Hughes pouvait m’embarrasser[274]». Tout est dit, et la suite va prouver qu’à deux jours près il aurait pu se retrouver pris entre deux feux. Trinquemalay étant toujours sous souveraineté hollandaise, il convient aussi de respecter les règles de droit : Suffren se réserve le commandement militaire de la place, mais un administrateur hollandais, M. Van Seuden est nommé gouverneur civil de la ville[275].

Le 2 septembre Suffren est à terre et invite les officiers britanniques prisonniers à déjeuner. On est encore à table lorsqu’à 15 heures deux coups de canons du Héros signalent l’arrivée d’une escadre anglaise. Il s’agit bien-sûr de Hugues qui peut constater à la longue vue que le drapeau français flotte sur les forts. Suffren donne immédiatement congé à ses hôtes et rallie son vaisseau. Une nouvelle bataille est-elle inévitable ? Suffren peut en théorie rester à l’abri de la rade et laisser Hughes tourner en rond plusieurs jours devant le port avant de regagner Madras. Mais c’est trop en demander au bailli pour qui l’occasion d’une victoire navale éclatante permettrait de couronner le brillant succès de la victoire terrestre deTrinquemalay. Le 3 août, à 5h45 du matin Suffren hisse le signal d’appareillage. Le sort en est donc jeté pour une quatrième bataille navale avec Hughes…

La bataille de Trinquemalay (3 septembre 1782)

La guerre en 1782 vue depuis Versailles : la Jamaïque et Gibraltar plus importants que les Indes ?

La bataille des Saintes le 12 avril 1782. Le théâtre d'opération des Antilles-Caraïbes reste prioritaire en 1782. Versailles y consacre plus de 30 vaisseaux sous les ordres de De Grasse. (Tableau de T. Whitcombe, 1783).
Le siège de Gibraltar (1779-1783) au côté des Espagnols apparaît comme la deuxième priorité de Versailles en 1782, loin devant le guerre en Inde malgré les succès de Suffren. (L'attaque du 13 septembre 1782 et l'explosion des batteries flottantes, tableau de G. Carter, vers 1783-85).

C’est une particularité des conflits d’avant la Révolution française : la guerre peut continuer avec acharnement pendant des mois (ou des années) alors que les diplomates planchent sur les projets de paix. A ce titre, l’année 1782 joue sur les deux tableaux. Même s’il est évident que la guerre est gagnée en Amérique du Nord, rien n’est encore joué ailleurs et tous les protagonistes cherchent à obtenir d’ultimes succès militaires qui sont autant de cartes gagnantes dans le jeu diplomatique. Indiscutablement, les succès de Suffren sont un atout pour Louis XVI, mais il faut 6 mois aux dépêches d’Asie pour arriver en Europe et malheureusement pour le bailli, les priorités de Versailles sont ailleurs. Il convient donc de revenir un peu en arrière et de se pencher sur le bilan de l’année 1782 sur les autres théâtres d’opérations, même si on doit prendre pour cela le risque de s’écarter un peu de notre sujet.

La victoire franco-américaine de Yorktown (octobre 1781) a fait chuter le gouvernement anglais (mars 1782) et provoqué un armistice de facto dans les 13 colonies. Armistice qui a eu un effet inattendu : il a libéré la Royal Navy d’un immense et épuisant théâtre d’opération. Dès décembre 1781 les effets se sont fait sentir dans l’Atlantique avec la dispersion d’un important convoi français partis de Brest pour apporter des renforts aux Antilles[276].

La guerre terminée en Amérique du Nord, le théâtre d’opération essentiel est passé aux Antilles-Caraïbes où l’on a continué à se battre pour le contrôle des « isles » à sucre en y concentrant les plus grands moyens. L’escadre de De Grasse qui dispose de 35 vaisseaux a attaqué et enlevé l’île de Saint-Christophe (janvier-février 1782) et repris les missions traditionnelles d’escorte aux convois marchands. En face d’elle la Royal Navy a concentré 37 vaisseaux à la Barbade sous les ordres de Rodney pour reprendre la main dans la région et faire barrage au projet franco-espagnol de conquête de la Jamaïque. Madrid rêvait depuis longtemps de reprendre cette riche île que lui avaient enlevé les Anglais au XVIIème siècle, et avait réussi à entrainer Versailles dans ce projet qui pourtant n’intéressait pas la France. Rêve qui se fracasse le 12 avril 1782 lorsque l’escadre de De Grasse, encombrée d’un important convoi marchand est lourdement battue par Rodney aux Saintes (le jour-même où Suffren est vainqueur à Provédien)[277]. La Jamaïque sauvée, l'effet de cette bataille a aussi été moral : la Royal Navy a repris confiance en elle et Londres qui restait sous le coup de l’humiliation de Yorktown peut aborder les premières négociations de paix (été 1782) en meilleure posture.

La deuxième priorité de 1782 semblait être... Gibraltar. Le « rocher » était assiégé par les Espagnols depuis 1779, Suffren y ayant brièvement participé en 1780 (voir plus haut). La reprise de ce point d’appui à l’entrée de la Méditerranée était une des obsessions de Madrid dans laquelle se trouvait entrainé Versailles, toujours au non de l’alliance franco-espagnole. Le siège qui mobilisait 40 000 hommes arrivait sur sa troisième année. Il n’y avait qu’un seul moyen d’enlever la forteresse : assurer un blocus terrestre et naval complet de la base pour l’affamer. Le blocus terrestre fonctionnait, mais la lourde et mal commandée flotte espagnole s’était montrée absolument incapable d’intercepter les convois de ravitaillement escortés par la Navy. 12 vaisseaux français étaient pourtant mobilisés en permanence pour aider la flotte ibérique, mais ils ne faisaient qu’en partager l’impuissance puisque le commandement restait espagnol. C’était trop peu pour Madrid qui multipliait les demandes et les récriminations pour obtenir beaucoup plus, et qui y réussit en grande partie, malgré l’exaspération grandissante de Louis XVI et de son ministre des affaires étrangères, Vergennes[278]. On monta donc une gigantesque attaque au moyen de 10 batteries flottantes. L’échec fut total, sanglant et ruineux, sous le feu de l’artillerie anglaise tirant à boulets rouges (13 septembre)[279].

L’Historien reste encore aujourd’hui étonné du « suivisme » de Versailles dans les projets de Madrid[280]. On a accordé à l’alliance avec l’Espagne des moyens gigantesques, quasi aussi importants que ceux accordés aux « Insurgents » contre l’Angleterre, et qui auraient sans aucun doute été mieux employés ailleurs. Mais Suffren et son escadre sont restés longtemps ce qu’ils étaient depuis le début : une entreprise de diversion sur un théâtre d’opération lointain et secondaire, ni Louis XVI, ni Vergennes n’ayant eu pour objectif la reconquête des Indes. Un seul homme semble avoir compris tout l’intérêt des victoires du bailli : le marquis de Castrie, qui s’affirme peu à peu dans cette guerre comme un grand ministre de la marine. C’est de Castrie qui prête une oreille attentive aux demandes de renfort de Suffren et finit par obtenir du roi l’envoi d’un corps expéditionnaire important sous les ordres de Bussy. Mais n’est-il pas déjà un peu tard alors que la Royal Navy retrouve son mordant et que les finances sont exsangues ?

La 2e bataille pour Gondelour (navale et terrestre)

Bataille de Gondelour, le 20 juin 1783 vue par le peintre Auguste Jugelet (1805-1875) en 1836.

Le 29 juin 1783 la frégate parlementaire Médée apporte la nouvelle de la paix, entre la France et la Grande-Bretagne, ratifiée à Versailles le 9 février 1783. La suspension d'armes est immédiate.

En deux ans et demi de campagne, Suffren n'a livré que des batailles indécises, mais il est parvenu à entretenir son escadre, de manière quasi incroyable au plus loin de ses bases, tout en sauvant la présence française aux Indes. Les Britanniques, du fait de l’indépendance américaine, conservent leur empire aux Indes. À Gondelour, sur terre, les Français ont perdu 18 officiers tués et 33 blessés, 113 soldats tués et 293 blessés. Les pertes britanniques en tués sont de 62 officiers, 900 européens et 1 400 cipayes. Des 300 cavaliers, 225 fantassins, et 75 artilleurs de la 3e légion de volontaires étrangers de la marine, les 2/3 sont morts. Cornwallis écrira à Stuart qui criait victoire : Encore une victoire comme celle que vous prétendez avoir remportée et il n'y aura plus d'armée britannique dans le Carnatic'.

Le général Stuart est destitué. Alors que Suffren atteint ici au fait de son service de génie de marin, mis au service de sa volonté de rester dans l'Inde, écrit Jean-François de La Pérouse (1741 - 1788).

Suffren à la Cour

Blason de l'Ordre de Malte. Jusqu'à la fin de sa vie Suffren sert alternativement l'Ordre et la Marine royale, en fonction des périodes de guerre ou de paix.

L'accueil des Français des façades maritimes

L'accueil des populations de Maurice et de la Réunion est triomphal. Il en est de même au Cap où un groupe d'officiers anglais se pressent pour le rencontrer. Suffren écrit : je suis accablé de vers, de compliments, de chansons.[281] À Toulon et dans toute la Provence, il écoute des dizaines de discours et est applaudi par des foules immenses.

L'accueil de la Cour

Médaille en argent émise en 1784 par les Etats de Provence en l'honneur de Suffren et portant au revers un résumé de sa campagne aux Indes.

Les courtisans, qui avaient presque marché sur les pieds du bailli lors de sa précédente venue à l'audience royale, l'acclament. Le traité de Versailles est signé, Louis XVI crée pour lui un quatrième vice-amiral, lui octroie aussi le prestigieux Ordre du Saint-Esprit, et lui accorde les Grandes Entrées,[282] en 1784. Tous ses parents obtiennent des honneurs de la Cour. Ses deux neveux sont faits colonels. Un de ses frères qui a un petit évêché obtient celui de Nevers. On évalue sa fortune à 100 000 livres de rente, ce qui est considérable, surtout pour un cadet de Provence[283].

Les gardes du corps font la haie pour lui faire les honneurs. La reine Marie-Antoinette lui dit : Vous avez fait du bon travail, maintenant je vous montrer le mien et elle fait chercher le futur Louis XVII.

L’Ordre de Malte le fait Grand Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem et le nomme ambassadeur auprès du roi de France. Sur la demande du roi il avait obtenu le généralat des galères de Malte il obtient du Grand maître de Malte que son frère, le bailli de Saint-Tropez, prenne ce commandement à sa place.

Un homme généreux

Quand Louis Thomas Villaret de Joyeuse estime effectuer des missions très dangereuses sur un bâtiment médiocre, une charrette : le bailli lui répond : Si quelqu'un peut tirer parti de cette charrette, c'est vous. Villaret commentera ce propos quelques années plus tard : Le seigneur Jupiter savait dorer la pilule.

Mais Suffren assez bizarrement écrit : Je me sens plus considéré que je ne le mérite. Cet homme modeste et simple, membre de la loge maçonnique : l'Olympique de la Parfaite Estime,[284] va profiter de ses nouveaux pouvoirs et de la considération dont il jouit désormais pour aider de jeunes officiers moins bien nés que lui à devenir officiers supérieurs, du fait de leurs qualités.

Lui qui avait envoyé par contre plusieurs aristocrates, capitaines de ses vaisseaux, en prison, pour incapacité et désobéissance aux ordres. Voici un exemple parmi tant d'autres de sa la générosité qui l'anime : l'héroïsme d'André de Rambaud qui avait été blessé deux fois lui avait plu.[285].

Pierre André de Suffren est le premier témoin au mariage de ce simple lieutenant devenu grâce à lui capitaine avec Agathe de Rambaud, Berceuse des Enfants de France, le 7 mars 1785, à la paroisse Saint-Louis de Versailles. Sur cet acte Suffren est dit : Haut et puissant Seigneur Pierre André de Suffren Saint Tropez, Chevalier des Ordres du Roi, Grand croix de Saint Jean de Jérusalem, vice Amiral de France. Ambassadeur de l'Ordre de Malte. Un autre témoin de cette union est un ami du marié et un autre protégé de Suffren, le jeune Louis Thomas Villaret de Joyeuse, capitaine de vaisseau,[286] promis à un grand avenir.

La Compagnie du Sénégal

Le royaume de Galam est situé au nord-est du Sénégal

M. de Suffren gère avec d’autres administrateurs la Compagnie du Sénégal.[287] Quand, en 1783, le traité de Versailles restitue officiellement le Sénégal à la France. Le monopole de la gomme revient à la Compagnie du Sénégal. Le bureau de Paris est composé du maréchal de Durfort,[288] d’un lieutenant général des armées du roi, le comte de Blangy, d’un mestre de camp de dragons, le marquis de Saisseval, d’un conseiller de la grande chambre du Parlement, Saint-Romain, d’un directeur faisant fonction de rapporteur, Fraisse et de Suffren. Ce dernier leur conseille d'envoyer là-bas le capitaine André de Rambaud[289], ingénieur-géographe, comme commandant de la troupe du Sénégal et du fort Saint-Joseph de Galam. Ils demandent au jeune chevalier de Saint-Louis d'établir une sorte de protectorat français sur le royaume de Galam, à 500 km des côtes et avec des moyens dérisoires. C'est un échec et le commandant du fort est tué en 1789. Il faudra attendre 70 ans pour que ce royaume de Galam soit colonisé.

Une mort soudaine

Une légende longtemps colportée le fait mourir dans un duel avec un officier qui l'a mal servi pendant la campagne des Indes et revenu se venger. La réalité historique est toute autre : le roi le voit présider les États généraux de 1789 et se sentant menacé par les Britanniques lui confie le commandement des escadres de l'Atlantique. Mais le bailli de Suffren, corpulent et amateur de bonne chère, est devenu à terre goutteux et apoplectique. Le 7 décembre 1788, l'un de ses neveux et sa nièce l'avait trouvé alité depuis trois jours. Sur le chemin de l'assemblée des notables des États généraux de 1789 à Versailles, il rend visite à son amie Madame Victoire qui, devant son état de santé, fait venir son médecin. Ce dernier pratique une saignée qui aggrave son état. On le renvoie en voiture à son hôtel à Paris, où il meurt le 8 décembre 1788. Il est inhumé dans l'église du Temple[11].

Après sa mort

Plaque commémorative à Saint-Tropez.

En 1793, les restes de Suffren, encore très reconnaissables, sont jetés sur un tas d’ordures, comme le corps de Mirabeau chassé du Panthéon de Paris.[290] Marie-Joseph Chénier est-il à l’origine de cette décision ? Selon, Roger Glachant, cela se fit par les soins d'une catégorie spéciale d'idéologues, qui comptaient récupérer des bagues dans les cercueils.[291] L'amiral Caron parle lui de révolutionnaires réduit à profaner en 1793 ses restes ensevelis en l'église du Temple.[292] De toutes façons, l'église du Temple sera vendue en 1796 avec le cimetière à un particulier qui la fera raser.

Napoléon Ier regrettera de ne pas avoir Suffren à ses côtés pour combattre Nelson et il sera souvent comparé à ce dernier ou à Ruyter sur les plans tactiques et stratégiques.

Sa statue à Saint-Tropez sera coulée avec les bronzes des canons pris à l'ennemi que Napoléon III offrira à la ville en 1866. À l'inauguration de la statue de Suffren à Toulon, la foule chante la belle chanson de Mireille pour honorer la mémoire de ce cadet de Provence.[293].

Le Suffren (1899 - 1916)

Suffren va devenir un exemple à suivre pour les marins français. Huit bâtiments de la Marine nationale seront nommés ainsi en l'honneur de l'amiral Suffren :

  1. Un navire de ligne de 74 canons (1791 - 1794), rebaptisé Le Redoutable en 1794, qui participa à la bataille de Trafalgar.
  2. Un navire de ligne de 74 canons (1801 - 1815).
  3. Un navire de ligne de 90 canons (1824 - 1865).
  4. Une frégate armée (1866 - 1897).
  5. Un cuirassé, Le Suffren (1899 - 1916).
  6. Un croiseur, Le Suffren (1926 - 1963).
  7. Une frégate lance-missile, Le Suffren (1968 - 2001).
  8. Un futur sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) du type Barracuda, Le Suffren.

Galerie

A de ce jour, il ne nous est parvenu aucun portrait de Suffren dans sa jeunesse, avant qu'il ne connaisse la gloire. La physionomie très ronde du bailli et son visage qui laisse transparaitre son caractère difficile semblent avoir posé problème aux artistes. Nombreux sont ceux qui cherchent à l'amaigrir ou à lisser ses traits, au risque de le rendre plus ou moins méconnaissable, comme on peut l'entrapercevoir dans la galerie ci-dessous. Modèle:Message galerie

Notes

  1. Bailli : dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, chevalier d'un grade supérieur à celui de commandeur
  2. Annuaire de la noblesse de France et des maisons…, 1864, pp. 173 et 174
  3. Presles, Claude des, Suffren dans l'océan Indien, p. 3.
  4. C'est l'autre appellation de l'ordre de Malte.
  5. Aujourd'hui oublié, l'essor du commerce colonial français des années 1730-1740 frappait tous les observateurs de l'époque, "objet de la jalousie des Anglais et des Hollandais" note en 1746 le lointain roi de Prusse Frédéric II. Anecdote rapportée par André Zysberg, La monarchie des Lumières, 1715-1786, Nouvelle Histoire de la France moderne, Point Seuil, 2002, p. 213.
  6. Il s’agit de la Guerre de l'oreille de Jenkins, du nom d’un capitaine anglais qui avait eu une oreille coupée par les douaniers espagnols pour cause de contrebande. L’homme était venu exhiber son oreille coupée devant le Parlement pour enflammer le nationalisme anglais contre l’Espagne. Avec succès car la guerre avait été déclarée par Londres (juin 1739). Mais le conflit, après un succès de la Royal Navy avec la prise de Porto Belo à Panama (novembre 1739) se traînait en longueur. La Royal Navy échouait devant Carthagène puis Santiago de Cuba. Ces échecs faisaient même chuter le gouvernement anglais en 1742. A. Zysberg, op. cit., p. 215 et 220.
  7. Lucien Bély, Les relations internationales en Europe (XVIIeXVIIIe siècles), Presses Universitaires de France, 1992, p. 484 et p. 503-504.
  8. À cette date (1744), la Royal Navy dispose à peu près de 120 vaisseaux et frégates alors que la Royale n’en dispose qu’un peu moins de 80.
  9. P. Villiers, J.-P. Duteil, op. cit. p. 81.
  10. P. Villiers, J.-P. Duteil, op. cit. p. 80
  11. a et b Rémi Monaque, Suffren - Un destin inachevé, Ed tallandier, 2009
  12. C’est un valeureux combattant des guerres de Louis XIV. Il a participé à la bataille de Bévéziers en 1690 ... E. Taillemite, Dictionnaire... op. cit.
  13. La Royal Navy « semble rouillée » note A. Zysberg, La Monarchie des Lumières, op. cit., p.220. Rémi Monaque fait la même remarque, en reprenant l’historiographie britannique. R. Monaque, op. cit., p.36.
  14. Dont le navire amiral le Namur de 90 canons et le Marlborough qui coule. Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises, Jean-Claude Castex, Les Presses de l'Université Laval (Canada), 2004, p. 386-389.
  15. L'Europe, la mer et les colonies, XVIIeXVIIIe siècle, Patrick Villiers, Jean-Pierre Duteil, Carré Histoire, Hachette, 1997, p. 82.
  16. C'était le résultat des choix techniques de Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas ministre de la Marine depuis 1723. Maurepas avait favorisé la carrière de nouveaux constructeurs navals et rationalisé les constructions. Conscient que la France ne pouvait pas rattraper le retard numérique pris sur la Navy, il voulait compenser cet écart par la supériorité technique. Il avait poussé à un début de standardisation des constructions avec les vaisseaux de 64, 74 et 80 canons, dotés d'une coque de chêne plus large et d'une puissante artillerie pouvant tirer par gros temps car un peu plus haute sur la ligne de flottaison. Cette innovation permettait aux vaisseaux français d'affronter sans complexe les trois-ponts anglais de 80-90 canons qui devaient garder fermée leur batterie basse par mer formée, sous peine d'embarquer des paquets de mer par les sabords. Les Anglais, trop confiants dans leur supériorité numérique n'avaient pas vu ces innovations et ne s'en rendront compte qu'en 1745-46. Patrick Villiers, Jean-Pierre Duteil, ibidem, p. 78-79.
  17. En oubliant au passage que sans la présence de la flotte française jamais l’escadre espagnole n’aurait pu sortir de Toulon. Court de La Bruyère fut disgracié pour complaire à Madrid. Rémi Monaque, op. cit., p.36.
  18. Rémi Monaque, ibidem, p37.
  19. « A la question, connait-il les coupables ? A répondu que non, mais qu’il vit un grand nombre qui manquaient de leur poste mais qu’il ne peut les démêler ni savoir qui ils sont parce qu’il était nuit et ne les avaient pas entendus depuis ». Extrait du rapport établi par le commandement de la Marine à Dunkerque et par la commission d’enquête réunie à Brest à la fin de la campagne. Cité par Rémi Monaque, op. cit., p.39.
  20. ibidem, p.40.
  21. Jean-Baptiste Macnémara (1690 - 1756). Cet officier d'origine irlandaise était un vieux serviteur du roi de France puisqu'il avait participé à la première expédition contre Rio de Janeiro en 1710. Lieutenant général en 1752, il sera appelé en 1755 pour mener des vaisseaux au Canada. Il sera nommé vice-amiral l'année suivante, et il décèdera la même année. Étienne Taillemite, Dictionnaire des marins français, éditions Tallandier, 2002.
  22. L’année précédente la forteresse française de Louisbourg, qui défendait l’entrée du Canada sur l’île du Cap-Breton avait été prise presque sans combat. L’imposante forteresse, mal défendue par 1 500 hommes en révolte s’était laissée surprendre par un débarquement surprise. C’était une lourde défaite qui ouvrait les portes du Saint-Laurent aux Anglais. À Versailles on décide aussitôt d’envoyer une puissante escadre reprendre Louisbourg : 55 bâtiments dont 10 vaisseaux, sous les ordres du duc d’Anville. Mais l’expédition se traîne dans une interminable traversée de l’Atlantique (du 9 mai au 12 septembre 1746 !) puis tourne à la catastrophe sanitaire. Le scorbut, puis une toxicose liée à la mauvaise qualité des vivres se déclare et décime les équipages. D’Anville, emporté par une crise d’apoplexie est remplacé par La Jonquière qui décide de rentrer. Les tempêtes achèvent de désorganiser l’escadre. Les pertes seront estimées à plus de 2 000 hommes. Louisbourg restera entre les mains des Anglais jusqu’à la fin de la guerre. P. Villers, J.-P. Duteil, op. cit. p. 83
  23. Maurepas organise deux convois en mai et septembre 1744. Le 14 mai 1745 Maurepas publie une ordonnance organisant les convois obligatoires sous peine de 500 l.t (livres tournois) d’amende pour le capitaine. En 1745 trois convois partent pour les Antilles (dont un de 123 voiles en septembre) et deux en reviennent. L’escadre de 8 vaisseaux de Piosins protège l’arrivée à Cadix d’un convoi franco-espagnol de 10 millions de piastres. En, 1746 deux départs seulement, mais Hubert de Brienne de Conflans et Emmanuel Auguste Dubois de La Motte escortent sans perte 123 et 80 navires. La Galissonnière ramène 6 navires de la compagnie des Indes. En janvier 1747 Dubois de La Motte rentre avec le convoi des Antilles estimé à 40 millions de l.t, soit deux fois le budget de la Marine. La Marine de Louis XV remplit donc avec brio et efficacité ses missions au nez et à la barbe de la Royal Navy. P. Villiers J.-P. Duteil, op. cit. p. 86-87.
  24. La Belgique actuelle. L’armée française y récolte un magnifique chapelet de victoires : Fontenoy (11 mai 1745), où le maréchal de Saxe et Louis XV en personne écrasent l’armée du duc de Cumberland, fils du roi d’Angleterre, à la bataille de Rocourt le 11 octobre 1746 contre les Autrichiens, et à la bataille de Lauffeld le 2 juillet 1747 encore une fois contre Cumberland. Tous les Pays-Bas étaient conquis et la Hollande menacée d’invasion avec la chute des forteresses de Berg-op-Zoom (16 septembre 1747) puis de Maastricht le (7 mai 1748), ce qui hâta les pourparlers de paix. Lucien Bély, op. cit. p. 506-513.
  25. P. Villiers J.-P. Duteil, op. cit. p. 84-85.
  26. La Jonquière, (1685-1752) était un capitaine expérimenté qui avait commencé sa carrière sous Louis XIV. Il avait participé à l'expédition de Rio de Janeiro en 1711 au côté de Duguay-Trouin. C'était aussi un habitué des missions d'escorte. Étienne Taillemite, op. cit. Avec 6 vaisseaux de ligne il doit affronter les 14 vaisseaux anglais d’Anson. L'escorte française, qui se jette littéralement sur l'escadre anglaise pour lui couper la route est anéantie, La Jonquière capturé. Sacrifice en partie inutile car la Royal Navy réussit à saisir 24 navires de transport de troupe, trop lents, sur les 40 du convoi. 6 frégates françaises réussissent à accompagner les 16 navires restants à leur destination finale, le Canada, qui reçoit ainsi quelques renforts. C’était une lourde défaite, malgré le courage des équipages qui avaient soutenu un long combat en situation de grande infériorité. P. Villiers J.-P. Duteil, op. cit. p. 85.
  27. Les deux batailles ont lieu à peu près au même endroit, au large du "Cabo Finistera", c'est-à-dire au nord-ouest de l'Espagne, région de la province de la Galice, et non pas de la Bretagne comme le laisse croire le nom. Notons que la bataille du cap Ortegal est appelée aussi bataille du cap Finisterre par certains historiens, ce qui peut prêter à confusion, avec deux batailles du même nom la même année au même endroit… D'après J.-P. Castex, Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises, Presses de l'Université de Laval, (Canada) 2004, p. 81-86.
  28. Henri-François Desherbiers, marquis de Létanduère (1682-1750) était un valeureux capitaine, qui avait fait ses preuves dans de nombreux combats sous Louis XIV et dans de nombreuses missions d’exploration hydrographiques aux Indes et au Canada dans les années 1710-20-30. C’était un habitué des missions d’escorte. Étienne Taillemite, op. cit
  29. Citons pour mémoire les 7 autres vaisseaux : L’Intrépide (74 canons), le Trident (64 canons), le Terrible (74 canons), le Tonnant, vaisseau amiral (80 canons), le Severne (56 canons), le Fougueux (64 canons), le Neptune (68 canons). D’après Charles Marie Cunat, Histoire du bailli de Suffren, 1852, Rennes, imprimerie de A. Marteville et Lefas.
  30. Saint-André détaille les pertes chez les officiers et cite ceux qui "ont rempli leurs devoirs avec toute la bravoure imaginable ainsi que Messieurs les gardes de la marine. M. de Suferin (sic) leur commandant a une légère blessure au côté." Lettre du 10 novembre 1947 au ministre depuis Plymouth (B.N., Manuscrits, collection Margry, NAF 9431.
  31. Louis-Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil (1691-1763) était un brillant capitaine resté victorieux à chacun de ses engagements. Il avait participé à la bataille du cap Sicié en 1744 avant de s'illustrer au cap Finisterre. Étienne Taillemite, op. cit.
  32. Notons que les Anglais, qui pratiquent aussi la politique des convois, sacrifient toujours le convoi marchand au profit de l'escorte. Cette politique leur permet de maintenir leur supériorité numérique. À l'inverse, la France a perdu 12 vaisseaux de guerre dans ces deux batailles de 1747, mais ce sacrifice lui a permis de maintenir son commerce colonial. Les océans n'étaient pas encore anglais. P. Villiers, op. cit., p. 85.
  33. Rémi Monaque, op., cit., p.43.
  34. Ibidem, p.44. R. Monaque compare au passage son comportement à celui de Nelson, qui lui refusera toute sa vie par sentiment anti-français d'en apprendre le moindre mot.
  35. Depuis plusieurs siècles, de nombreux marins provençaux sont régulièrement faits prisonniers par les corsaires musulmans du Maghreb et vendus comme esclaves à Alger, Tunis, Tripoli… Il en résulte une haine souvent héréditaire pour les « barbaresques » en Provence. (Le terme « barbaresque » étant un dérivé du mot « barbare »).
  36. On ne peut entrer ici dans le détail d’un traité de paix international qui concerne aussi l’Autriche, la Prusse, les États italiens. Retenons cependant que la France et l’Angleterre concluent en 1748 la paix sur la base de restitutions réciproques. Louis XV retrouvait Louisbourg (prise en 1745, voir plus haut), et l’Angleterre Madras, son principal port et comptoir en Inde (dont les Français Dupleix et La Bourdonnais s’étaient emparés en 1746). André Zysberg, op. cit., p. 236-237. Il était cependant temps que la guerre se termine, le niveau de pertes de 1747-48 étant tout simplement intenable. De 79 vaisseaux et frégates en 1745, on était tombé à 50 en 1748. 23 vaisseaux et frégates avaient été pris, coulés, naufragés lors des deux dernières années de la guerre, soit les trois quarts des pertes.
  37. 40 millions de livres. « Nous l’échappons belle » écrit le comte de Chesterfield après la signature des préliminaires de paix. Cité par A. Zysberg, op.cit., p. 237.
  38. Une prospérité éclatante qui s’appuie sur le trafic colonial avec les « isles » de Saint-Domingue, de la Guadeloupe et la Martinique. Les plantations de sucre étaient au cœur de ce trafic, mais il y avait aussi le café, l’indigo et le coton. Les études économiques récentes tentent à montrer que vers 1750 le revenu des Antilles françaises dépassait celui des Antilles anglaises. Une active contrebande du sucre et de l’alcool se développait aussi entre les îles françaises et les colonies anglaises d’Amérique car ces produits avaient un coup de production moins cher dans les îles françaises. Autant dire qu’il y avait de quoi exaspérer le puissant lobby colonial et marchand de Londres. A. Zysberg, op. cit., p. 243. P. Villiers, op. cit., p. 115.
  39. Le Parlement anglais vote en mars 1755 un crédit de 1 million de livres "afin de sauvegarder les justes droits et les possessions de la Couronne en Amérique". Cité par A. Zysberg, op. cit., p. 245.
  40. Et de s'appuyer sur une alliance avec "une puissance maritime" pour apporter une vingtaine de vaisseaux et obtenir ainsi une balance navale presque équilibrée. Il pense bien sûr à l'Espagne. P. Villiers, op. cit., p. 96.
  41. « Il existe une différence fondamentale entre la France et l’Angleterre, différence qui marque de son empreinte toute la stratégie navale française du XVIIIe siècle. L’Angleterre n’a qu’une frontière, maritime, à défendre. La France en possède deux d’égale importance : une terrestre et une maritime. Les relations internationales, les alliances de famille, les rivalités entre Habsbourg et Bourbon expliquent le choix politique français de se soucier plus des possibles invasions sur ses franges de l’Est, que de tenter la conquête des mers. La ceinture de fer de Vauban, appuyée sur le réseau de villes fortifiées, n’a pas d’équivalent maritime, même si les bastions de la mer émaillent le littoral. La sécurité terrestre vient en premier et bénéficie toujours de moyens adaptés, tandis que la défense des côtes et des territoires d’outre-mer doit se contenter de budgets toujours inférieurs à ceux de terre, excepté durant la guerre d’Indépendance américaine » résument clairement Jean Meyer et Martine Acerra. Histoire de la Marine française, des origines à nos jours, Éditions Ouest-France, 1994, p. 94.
  42. P. Villiers, op. cit., p. 97 et p. 99-100.
  43. Martine Acerra, Jean Meyer, op. cit., p. 109.
  44. Au lendemain de la guerre de Succession d'Autriche et des semi-échecs navals de la Navy, le parlement anglais exigeait des réformes. Conduites par l'amiral Anson, le corps des officiers de vaisseaux fut rajeuni et épuré, le recrutement des équipages assurés par de meilleures rémunérations avec des primes. On mit en place une véritable infanterie de marine qui aide au feu des canons et tire au fusil en combat rapproché. Ces « marines » inspirés des soldats français embarqués avaient aussi pour but de tenir plus soigneusement les équipages en prévenant toute tentative de mutinerie. Un code pénal très dur , les « Articles of War » était même promulgué, qui privait les marins du bénéfice du jury. (Ce code restera en vigueur jusqu'en 1865 !) P. Villiers, op. cit., p. 94-95. La qualité des vaisseaux français capturés en 1747 (voir plus haut) avait laissé pantois les amiraux anglais. "Je puis seulement vous dire que l’Invincible surpasse toute la flotta anglaise. Je ne puis m'empêcher de penser que c'est une honte pour les Anglais qui font toujours grand cas de leur marine" déclarait Augustus Keppel après inspection du vaisseau français. La Royal Navy se mettait aussitôt à l'école de construction française en copiant ses navires. Elle adapte ses effectifs en suppriment la catégorie des trois-ponts de 80 canons trop courts, peu manœuvrants, moins bien armés et plus chers que les "74 canons" à deux ponts des Français. Ainsi naît la Valliant class de 74 canons à deux ponts copiée sur l’Invincible et qui va rester la norme jusqu'en 1815. A Zysberg, Martine Acerra, L’essor des marines de guerre européennes, 1690-1790, SEDES, 1997, p. 68.
  45. Ils passent de 17,7 millions de l.t (livres tournois) en 1754 à 31,3 millions de l.t en 1755, 40 millions en 1756, 39 millions en 1757, 42,3 millions en 1758, 56,9 millions en 1759. Mais le budget de la marine anglaise reste largement supérieur. Chiffres donnés par P. Villiers, op. cit, p. 91.
  46. A. Zysberg, op. cit., p. 245.
  47. Comme le navire amiral l’Entreprenant de Dubois de La Motte et le vaisseau le Défenseur. Dubois de La Motte était un capitaine expérimenté qui avait commencé sa carrière sous Louis XIV. Il avait lui aussi participé à la grande expédition de Duguay-Trouin sur Rio en 1711 et avait rempli avec succès ses missions d’escorte pendant la guerre de Succession d’Espagne. Étienne Taillemite, op., cit.
  48. Anecdote rapportée par L. Bély, op. cit., p. 521.
  49. Preuve s’il en est de l’importance qu’avait pris le commerce colonial dans l’économie française. Le duc de Croÿ note dans son journal que « cette nouvelle mit la consternation, surtout par les suites que l’on sentit lors. Je passais devant la bourse, où je descendis pour la première fois. J’y appris la confirmation de la nouvelle et l’on s’attendait à tout voir dégringoler, surtout les actions : elles tombèrent tout d’un coup ». Cité par A. Zysberg, op. cit., p. 246.
  50. L’expression est employée par A. Zysberg, op. cit., p. 244.
  51. C’est le « Grand dérangement ». Une partie se réfugie en Louisiane, mais surtout en France, dans le Poitou, en Bretagne, en Normandie. Une petite partie revient en Acadie. Voir aussi l'article Déportation des Acadiens.
  52. La population, fatiguée de la domination anglaise accueille les Français en libérateurs. L. Bély, op. cit., p. 539.
  53. 38 morts et 175 blessés côté français, dont 10 tués et 9 blessés sur l’Orphée ce qui est un pourcentage très supérieur aux pertes des autres navires. Les Anglais ont des pertes voisines mais ont perdu deux capitaines. R. Monaque, op. cit., p.51.
  54. Lettre du 3 août 1756, cité par R. Monaque, ibidem., p.52. La Galissonière meurt peut de temps après, le 26 octobre 1746 sur la route de Versailles alors que Louis XV s’apprêtait à faire de lui un maréchal de France. Étienne Taillemite, op. cit.
  55. Une belle victoire du marquis de Montcalm avec 3 000 hommes et ses alliés indiens. Fort Oswego était "dix fois plus important que Minorque" soutenait le ministre Horace Walpole. Lucien Bély, op. cit., p. 539.
  56. Dans une atmosphère d’exaltation nationale anti-française que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui (d’autant que c’était l’Angleterre qui avait provoqué le guerre). Le château de Byng était pillé par la foule en furie. Commentaire de Voltaire après l’exécution de Byng : « Dans ce pays-ci, il est bon de tuer de temps en temps un amiral pour encourager les autres. » Tout était dit. Cité par Martine Acerra et André Zysberg, L’essor des marines de guerres. op. cit., p. 204-205.).
  57. "Pitt devient ainsi un véritable ministre de la Guerre, dictant une stratégie de lutte globale contre la France sur tous les espaces maritimes et coloniaux où il déploie les vaisseaux et les soldats de marine au service de sa glorieuse majesté britannique." A. Zysberg, op. cit., p. 252-253 et L. Bély, op. cit., p. 539 et 547.
  58. Elles ne cessent pas en 1756, 1757, 1758, au plus près des côtes françaises. J.-P. Duteil, op. cit., p. 103.
  59. Les deux vaisseaux, le Foudroyant (80 canons) et l’Orphée (64 canons) faisaient partie d’une division de 3 vaisseaux et 1 frégate commandée par le marquis de Duquesne.
  60. Entre le lac Champlain et le lac du Saint-Sacrement. Montcalm, bien retranché avec 3 600 hommes met en déroute les 15 000 soldats d'Abercromby. Mais il y a trois armées anglaises totalisant 50 000 soldats et miliciens à l'assaut du Canada français. A. Zysberg, op. cit., p. 268.
  61. Londres avait envoyé une grande escadre de 17 vaisseaux et 16 frégates avec 15 000 soldats. En face Dubois de La Motte rassemblait trois escadres parvenues à Louisbourg : 18 vaisseaux, 15 frégates et 11 000 soldats. Les Anglais n'osèrent pas attaquer. C'est la dernière grande opération navale victorieuse de la marine française dans cette guerre. A. Zysberg, op. cit., p. 257.
  62. L’épidémie s’était déclarée pendant le retour de l’escadre de Dubois de La Motte de Louisbourg. Le 23 novembre 1757 il avait débarqué 5 000 malades qui contaminèrent toute la ville et ses environs en firent entre 10 et 15 000 morts. J. Meyer, M. Acerra, op. cit., p. 106.
  63. Ce sont des opérations de diversion de grande envergure qui ont pour but d'entretenir une insécurité permanente sur les côtes françaises en multipliant les coups de main dévastateurs et en fixant le maximum de troupes françaises sur les côtes. L'île d'Aix est ainsi brièvement occupée entre le 20 et le 30 septembre 1757, mais sans rien oser entreprendre contre Rochefort. Le 18 juin 1758 ce sont 15 000 Anglais qui débarquent à Cancale et à Paramé où ils détruisent 80 navires marchands. Le 7 août, c'est Cherbourg qui est victime d'un raid dévastateur de 10 000 tuniques rouges. La ville, qui armait au commerce, à la guerre et à la course est mise à sac avec toutes ses installations portuaires. En septembre 1758 les Anglais débarquent près de la cité corsaire de Saint-Malo, avec la claire intention de lui faire subir le même sort qu'à Cherbourg. La défense vigoureuse du gouverneur de Bretagne rejette cependant les envahisseurs à la mer avec de lourdes pertes, mais l'émoi est considérable. En juillet 1759 la Royal Navy vient bombarder Le Havre. Au printemps 1761 ce sera encore Belle-Île qui sera saisie par les Anglais et conservée jusqu'à la fin de la guerre. A Zysberg, op. cit., p. 265-266.
  64. Plus de 45 000 hommes embarqués sur plus de 330 bateaux. Un plan superbe sur le papier, mais qui ne tenait déjà plus compte de l'état réel de la flotte. (Béranger et Meyer 1993, p. 231).
  65. J.-P. Duteil, op. cit., p. 103.
  66. Cité par Rémi Monaque, op. cit., p.55.
  67. Le second de La Clue qui a pris le commandement, parle lui de 25 tués et 40 blessés graves, ce qui semble sous-estimé, vu la violence de l'engagement. Les Historiens ne sont pas tous d'accord non plus sur le récit des combats, puisque selon Rémi Monaque, c'est le Centaure qui endommage gravement le HMS Namur, et non l'Océan contrairement au récit qu'en fait Jean-Claude Castex et que nous avons cité en premier ici. Ecart de compte-rendu qui ne change guère le fil de la bataille cependant.
  68. Le premier pour les Canaries, le second pour Rochefort. Il s'agit d'un acte caractérisée de désertion qui ne sera jamais sanctionné.
  69. J.-Pierre Castex, Dictionnaire..., op. cit., p. 223-226.
  70. Il semble possible aussi que l’ordre de destruction n’ait pas été exécuté. Là encore, le récit diverge quelque peu d’un historien à l’autre, ce qui ne change pas grand-chose au drame.
  71. La marine anglaise peut ainsi accentuer son blocus, même si la victoire des Cardinaux lui a tout de même coûté deux vaisseaux, mais pas sous le feu des Français, les deux unités s’étant fracassées sur des rochers dans les eaux dangereuses du golfe de Quiberon.
  72. L’Espagne, exaspérée par le viol du pavillon neutre, les attaques des corsaires anglais sur son commerce en temps de paix et qui cherche à récupérer Gibraltar, avait rejoint Versailles dans la lutte, après des négociations particulièrement tortueuses. C’était le « Pacte de famille » signé entre les Bourbon de Madrid, de Versailles, de Parmes, de Naples, de Sicile. Mais à Versailles comme à Madrid on s’était illusionné sur la puissance de la flotte espagnole. A. Zysberg, op. cit., p. 275-278.
  73. Sur l’instant, c’est ce qui paraît le plus important : conserver les bases de la prospérité commerciale, qui de fait, va repartir rapidement avec la paix. La compagnie des Indes peut relancer ses activités depuis les Mascareignes, tout comme les négriers et négociants de Bordeaux et Nantes avec les Antilles (et surtout Saint-Domingue, l’île la plus prospère). Le Canada, qui coûtait très cher à défendre avant la guerre et ne rapportait pas assez avec le modeste commerce des fourrures n’est guère regretté, d’autant que les droits de pêche à l’entrée du Saint-Laurent restent maintenus. À Versailles on a su profiter de la chute du gouvernement Pitt en 1761 (que le nouveau roi ne supporte pas et qui est devenu impopulaire à cause de son autoritarisme et des impôts de guerre) pour négocier habilement avec le peu d’atout dont on disposait. Les objectifs de Pitt en 1757 – la destruction totale de l’Empire français – ne sont donc qu’à moitié réalisés. L’opinion publique anglaise ne s’y trompe pas et critique fortement le traité. Louis XV, très généreux, (et qui tient à conserver le Pacte de famille) a cependant cédé la Louisiane aux Espagnols pour les indemniser de la perte de la Floride que Londres a conservé contre la restitution de Cuba et des Philippines. P. Villiers, op. cit., p. 112-113, A. Zysberg, op. cit., p. 278-280.
  74. P. Villiers, op. cit., p. 103
  75. Cité par A. Zysberg, op. cit., p. 280. Situation étonnante, vue l’anglomanie de toute une partie des élites qui admiraient les « libertés anglaises », suites aux écrits de Voltaire et Montesquieu.
  76. a b et c (Vergé-Franceschi 1996, p. 161)
  77. En 1762 la flotte française n’a plus que 47 vaisseaux et 20 frégates, alors que la Royal Navy aligne 145 vaisseaux et 103 frégates. A Zysberg, ibidem, p. 379.
  78. Il y en a pour 18 millions de l.t., soit à peu près l’équivalent d’une année de budget de la Marine. Tous les vaisseaux sont construits entre 1763 et 1766. Ils vont porter le nom de ceux qui les ont financés. Ainsi nait le Ville de Paris (100 canons, futur navire amiral), le Bretagne (100 canons), le Bourgogne et le Marseillais (74 canons chacun), le Saint-Esprit (80 canons, don des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit), la Ferme (don des fermiers généraux). Jean Béranger, J. Meyer, op. cit., p. 240-243.
  79. Cité par Jean Béranger, J. Meyer, op. cit., p. 239.
  80. C’est un petit navire méditerranéen de deux ou trois mâts à voiles latines qui prend la place des galères, désormais totalement déclassées et que la marine française a définitivement abandonnées en 1748 (Les galères restent cependant encore utilisées par l’Ordre de Malte et de nombreux États méditerranéens).
  81. 1708-1794. Ce marin aujourd'hui oublié était l'un des meilleurs capitaines français de son époque. Il s'était illustré dans les missions d'escorte. Pendant la Guerre de Sept Ans il avait régulièrement trompé le blocus anglais et était sorti victorieux de plusieurs combats contre la Royal Navy. C'est à juste titre qu'il avait été nommé chef d'escadre en 1764. Étienne Taillemite, Dictionnaire…. op. cit.
  82. Bulletin de la Société de géographie, 2e série, t. XIV
  83. L'abbé de Véri, qui se trouve alors à Versailles n'entend qu'un seul cris dans les couloirs : "Guerre ! Guerre !". Cité par J.-C. Petitfils, op. cit., p.390.
  84. P. Villiers, J.-P. Duteil, op. cit. p.128 et Etienne Taillemite, Louis XVI ou le navigateur..., op. cit. p.150.
  85. À l'Olympique de la Parfaite Estime l'un des frères de Suffren sera l'amiral Charles Henri d'Estaing.
  86. J.-C. Petitfils, Louis XVI, op. cit. p.401. Etienne Taillemite, Dictionnaire... op. cit.
  87. R. Monaque, op. cit, p. 131.
  88. Suffren retrouve aussi M de Breugnon avec qui il avait si difficilement combattu en 1745 sur la corvette la Palme, ce qui est loin de l’enchanter, le bailli méprisant cet officier qu’il estime très médiocre... Breugnon est maintenant chef d’escadre et embarque sur le Tonnant pour seconder d’Estaing. R. Monaque, ibidem, p.136.
  89. Voici sa composition : A l’avant-garde, le Zélé de 74 canons, le Tonnant (80 canons), le Provence (64), et le Vaillant (64). Le corps de bataille au centre : Le Marseillais (74), le Languedoc (90) navire amiral de d’Estaing, l’Hector (74), le Protecteur (74). A l’arrière-garde : le Fantasque (64), le Sagittaire (50), le César (74), le Guerrier (74). Les frégates : l’Engageante (36), le Chimère (36), l’Aimable (32), le Flore (32) et l’Alcmène (32). D’après Charles Marie Cunat, op. cit, p.36.
  90. Cité par Etienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur..., op. cit., p.154.
  91. « Le peu de connaissances qu’avait M. d’Estaing de ces mers, et son opiniâtreté surtout à ne vouloir suivre les conseils de ceux qui étaient plus instruits que lui, lui fit prendre la seule mauvaise route qui est celle de la latitude de 36°à 38° où règnent des calmes et des vents variables. M. D’Estaing était très méfiant et en tant qu’intrus dans le corps de la marine, il pensait qu’on devait le tromper » raconte François Palamède de Suffren, un cousin du bailli qui embarque comme enseigne de vaisseau sur le Fantasque. Mémoires inédits cités par R. Monaque, op. cit., p.139.
  92. D'après la page Wikipédia "French Ship Languedoc". C'est l'arrivée de Suffren qui aurait mis en fuite le vaisseau anglais selon l'auteur anglo-saxon de cette page Web, mais cette version n'est corroborée par aucun historien français. [1] (en anglais).
  93. J.-C. Petitfils, op. cit., p.402.
  94. Cité par E. Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur..., op. cit., p.156.
  95. J.-C. Petitfils, op. cit., p.402.
  96. Notons cependant que côté anglais l'alerte a été chaude, puis que la peur de l'escadre française a poussé les généraux anglais à évacuer Philadelphie, haut lieu de la résistance des "Insurgents". P. Villiers, J.-P. Duteil, op. cit., p.129.
  97. Lettre du 19 décembre, écrite à bord du Fantasque, A.N. B4, 144. Extrait : « L’escadre française étant désarmée, elle n’est ni en état de manœuvrer, ni en état de combattre. Que serait-ce si l’escadre de l’amiral Byron arrivait ? Que deviendraient les vaisseaux surpris sans monde, sans général ? Leur défaite entrainerait la perte de l’armée et de la colonie. (...) Il est du devoir d’un capitaine à qui le roi a fait l’honneur de confier un vaisseau de représenter qu’ayant 150 hommes de moins de son équipage, il n’est ni en état de manœuvrer ni de combattre.»
  98. « Détruisons cette escadre. L’armée de terre [anglaise] manquant de tout dans un mauvais pays sera bien obligée de se rendre. Que Byron vienne après, il nous fera plaisir. » Ibidem.
  99. R. Monaque, op. cit., p.149.
  100. En 1782, c’est ici que la grande escadre de Rodney fera escale avant d’attaquer victorieusement les forces de De Grasse aux Saintes. Sainte-Lucie restera par ailleurs anglaise après la guerre. Ibidem, p.154-155.
  101. J.-C. Petitfils, op. cit., p.403.
  102. Extrait de la lettre du 5 janvier 1779 adressée à Madame de Seillans, comtesse d’Alais, (sa cousine et maîtresse) citée par J.-S. Roux, Le Bailli de Suffren dans l’Inde, Marseille, 1862, p.17.
  103. Lettre du 8 février 1779, citée par J.-S. Roux, op. cit., p.18.
  104. P.Villier, J.-P. Duteil, op. cit., p.129.
  105. J.-C. Petitfils, op. cit., p.403. Sur la prise de cette place anglaise on peut aussi visionner cette gravure d'époque montrant d'Estaing embrassant ses soldats vainqueurs.
  106. Extrait du rapport rédigé par Suffren le 10 juillet 1779 sur le Fantasque. 62 hommes de son équipage sont tués ou blessés. Cité par J.-S. Roux, op. cit., p.21.
  107. Il s’agit des HMS, Lion, Grafton, Cornwall et Monmouth. Le Lion est tellement endommagé que la Royal Navy devra le couler à Sainte-Lucie. J.-C. Castex, op. cit., p.198-199.
  108. Extrait de la lettre écrite le 10 juillet à Mme de Seillans. Cité par J.-S. Roux, op. cit., p. 21.
  109. Cité par J.-C. Castex, op. cit., p.199. The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783. Little, Brown & Co, New York 1890, Dover Publications, 1987 (Repr.). ISBN 0-486-25509-3
  110. J.-C. Petitfils, op. cit., p.404.
  111. J.-C. Petitfils, op. cit., p.404.
  112. Le Fantasque, l'Artésien, la Provence pour les vaisseaux, la Fortunée, la Blanche et la Chimère pour les frégates. Effectifs donnés par Rémi Monaque alors que la plupart des historiens ne donnent traditionnellement à cette division que 2 vaisseaux et 3 frégates. R. Monaque, op. cit., p.162.
  113. Charles Marie Cunat, op. cit. p.40.
  114. J.-C. Petitfils, op. cit., p.404.
  115. J.-C. Petitfils, op. cit., p. 401.
  116. Etienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur..., op. cit., p.177.
  117. J.-C. Petitfils, op. cit, p.404.
  118. M. Acerra, J. Meyer, Histoire de la marine française... op. cit., p.122.
  119. Lucien Bély, op. cit., p.623-624.
  120. Le HMS Ardent avait été capturé par les frégates Junon et Gentille. Le 9 octobre, au large d’Ouessant, la Surveillante du chevalier Charles Louis du Couëdic de Kergoaler avait mené un combat meurtrier contre le HMS Québec et qui s’était terminé par l’explosion du navire anglais. Le commandant français était lui mort de ses blessures quelques jours plus tard. Un monument lui fut dédié à Brest et le peintre Rossel de Quercy reçu commande d'un tableau du combat pour les écoles navales. J.-C. Petitfils, op. cit., p.408-409.
  121. E. Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur, op. cit., p.180-183
  122. Etienne Taillemite, Dictionnaire..., op. cit.
  123. En mars 1780. Document cité par J.-C. Petitfils, op. cit., p.429-430.
  124. La base anglaise Gibraltar est ravitaillée par Rodney. P. Villers, J.-P. Duteil, op. cit., p.129.
  125. André Zysberg, La Monarchie des Lumières, op. cit., p.387.
  126. Courrier cité dans sa totalité par Charles Marie Cunat, op. cit., p.44. Sur le doublage en cuivre, on peut aussi consulter Martine Acerra, André Zysberg, L’essor des marines de guerre européennes..., op. cit., p.55-56. Suffren avait peu de temps avant cette affaire écrit au ministre pour pousser les Espagnols au doublage en cuivre : "On ne doit rien négliger pour engager nos alliés à faire de même : ils marchent si mal en général qu'il est vraiment impossible de faire la guerre avec eux avec quelques espérances de succès." Courrier cité par E. Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur, op. cit., p.139. Suffren préconise aussi d'équiper les vaisseaux de pompes à incendie, de doter les mâts du "conducteur électrique de M. Franklin" (paratonnerre) et d'avoir à bord 5 ou 6 canots.
  127. Lucien Bély, op. cit., p.626. Notons que l'Angleterre dispose de près de 30 000 hommes rien que dans le secteur voisin de New-York...
  128. P. Villiers, J.-P. Duteil, op. cit., p.130
  129. J.-C. Petitfils, op. cit., p.429, Etienne Taillemite, Dictionnaire... op. cit., Lucien Bély, op. cit., p.630.
  130. Selon J.-C. Petitfils, ibidem, p.429.
  131. Anecdotes citées par J.-C. Petitfils, ibidem., p.429. Les anecdotes sur Suffren sont innombrables, comme celle-ci sur sa gloutonnerie : en opération en Asie, Suffren refusera de rencontrer une déléguation d'habitants d'Achem en prétextant que sa religion lui interdit de s'occuper d'autres choses que de manger.
  132. Rémi Monaque, Suffren : Un destin inachevé, éditions Tallandier, 2009.
  133. Rémi Monaque, ibidem.
  134. L'Espagne dispose de 64 vaisseaux en 1779 (mais 48 seulement sont armés), ce qui en théorie met la flotte ibérique presque au niveau de la marine française. Les vaisseaux espagnols, construits en bois de cèdre par les chantiers navals de La Havanne sont très solides, mais aussi très lourds, lents et peu manœuvrant. Ces gros navires portent souvent plus de 100 canons, mais ceux-ci sont généralement d'un calibre inférieur à ceux utilisés par les Français et les Anglais. Cette artillerie est aussi de facture inférieure et s'enraye au bout d'une quarante de coups. Les équipages sont insuffisants, mal entrainés et souvent mal commandés. Etienne Taillemite, Louis XVI ou le navigateur..., op. cit., p.167-168.
  135. Sur ce paragraphe, on peut consulter le chapitre 7 de l’ouvrage d’Etienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur..., p.125-139 : « L’Espagne, allié ou poids mort ? ».
  136. J.-C. Petitfils, op.cit, p. 414-417.
  137. J.-C. Petitfils, op. cit., p.416-417
  138. J.-C. Petitfils, ibidem.
  139. En 1782, avec 189 millions de l.t. pour la flotte, contre 118 millions pour l’armée. Le budget de la Marine, qui oscillait entre 20 et 25 millions de l.t. à la fin du règne de Louis XV passe à plus de 40 millions en 1777, puis 100 millions en 1779. A Zysberg, op. cit., p. 379-380.
  140. Au Canada et aux treize colonies. Chiffres cités par A. Zysberg, La monarchie des Lumières..., op. cit., p. 387.
  141. Rémi Monaque, op. cit., p.181.
  142. Lettre du 17 mars 1781 à Suffren, Archives nationales, Marine, b4 216, fol.205.
  143. Il y a l’Annibal (74 canons), le Héros (74), l’Artésien (64), le Vengeur (64), le Sphinx (64) et la corvette la Fortune (16). D’après M. Acerra et J. Meyer, Histoire de la Marine..., op. cit, p.125.
  144. Rémi Monaque, op. cit., p.180
  145. Rémi Monaque, ibidem, p.177.
  146. Il y a aussi, pour satisfaire sa gloutonnerie, un sommelier, un maitre d’hôtel et 6 cuisiniers. Ibidem, p.178.
  147. « La moindre circonstance heureuse peut me mettre à la tête d’une belle escadre et y acquérir la gloire, cette fumée pour laquelle on fait tant de choses ». Cité par Rémi Monaque, op. cit. p.182.
  148. Ibidem, p.183.
  149. 5 vaisseaux, 3 frégates, 25 transports et navires de la Compagnie des Indes qui avaient quitté Spithead le 13 mars. Elle était là depuis 5 jours. On peut visionner le portrait de George Johnstone sur la biographie Wikipedia en anglais de cet officier.
  150. Comme les Français en avaient fait la douloureuse expérience à La Hougue (1692), Vigo (1702) ou Lagos (1759, voir plus haut)
  151. J.-P. Castex, op. cit., p.311.
  152. "Her Majesty Ship" (Navire de Sa Majesté). Le nom des vaisseaux de guerre actuels de la Royal Navy reste encore précédé de HMS.
  153. A droite, en termes de marine.
  154. « Persuadé fermement qu’on n’attaquerait pas les ennemis, il n’avait fait qu’un léger branle-bas ; des malades, des bœufs étaient encore dans les batteries et personne n'était à son poste qu'on tirait déjà sur le vaisseau ; on sent bien qu'il devint très difficile pour ne pas dire impossible de les y faire mettre sous un feu aussi vif et qui le devint encore plus lorsque les ennemis s'aperçurent qu'on ne leur ripostait pas ou du moins bien faiblement » note Suffren dans le journal de bord du Héros. NB : La présence d'animaux s'explique par les besoins en viande fraîche, oeufs ou lait du bateau. Tous les vaisseaux de guerre emportent une véritable ferme et son fourrage, logée dans les ponts, au milieu des hommes et des armes. R. Monaque, op. cit. p.187.
  155. Cité par R. Monaque, ibidem, p.190.
  156. Rémi Monaque, op, cit., p.187.
  157. Les récits des Historiens divergent au sujet de ces deux navires. Selon R. Monaque, Suffren ordonne à la corvette la Fine, d’amariner le navire anglais, mais la corvette qui s’estime trop faible pour mettre sur le navire un équipage de prise se contente de prendre à bord son capitaine avec 15 hommes et ordonne au navire de le suivre. Celui-ci ne tarde pas de s’échapper à la première occasion. J.-P. Castex ne signale pas la capture et la perte de ce bâtiment. L’autre navire saisit par l’Artésien n’a pas un meilleur sort. Cette fois, c’est l’équipe de prise, insuffisante, sans officiers et sans pilote qui est submergée par l’équipage anglais... Mais selon J.-P. Castex, c’est Suffren qui donne l’ordre d’abandonner la prise, ce qui aurait provoqué à une énorme fausse manœuvre : le capitaine de l’Artésien, trop pressé de se débarrasser du navire aurait coupé les liens en abandonnant à bord l’équipage de prise, soit 22 marins français qui sont fait prisonniers. Cette dernière version semble toutefois peu probable. Rémi Monaque, op. cit. p.188 et J.-P. Castex, op. cit., p.313.
  158. R. Monaque, op. cit., p.184.
  159. R. Monaque, ibidem, p.188.
  160. J. Meyer, M. Acerra, op. cit., p.126.
  161. J.-C. Petitfils, op. cit., p.430.
  162. Lettre du 10 août 1781, citée par R. Monaque, op. cit., p.192.
  163. La neutralité portugaise est en fait largement favorable à l’Angleterre depuis les traités que les deux pays ont signé en 1702 lors de la Guerre de Succession d’Espagne. Les canons portugais n’avaient guère réagi pour protéger de la capture ou l’incendie les navires français réfugiés sur la côte lusitanienne.
  164. Mémoire du colonel Gordon du 15 septembre 1781, cité par Rémi Monaque, op.cit., p.197.
  165. R. Monaque, ibidem, p.198-199.
  166. Cité par J. Meyer, M. Acerra, ibidem.
  167. R. Monaque, ibidem, p. 200.
  168. J. Meyer, M. Acerra, op. cit., p.126.
  169. Avec 6 vaisseaux et 3 frégates La Motte-Picquet intercepte le 1er mai le convoi de Rodney chargé du pillage de Saint-Eustache et s’empare de 22 navires richement chargés. Etienne Taillemite, Dictionnaire… op. cit. Les anglais avaient un compte à régler avec cette île qui trafiquait avec les Révolutionnaires américains et qui leur vendait des armes. Ce qui explique sans doute l’acharnement du pillage, fait d’arme qui n’est guère à l’honneur de Rodney, bon commandant par ailleurs. L'île est aussi délivrée en septembre 1781 par un débarquement français sous les ordres du marquis de Bouillé.
  170. « Nous sommes ici enchantés de notre nouvelle liaison avec la France, disait une lettre d’Amsterdam, nous exaltons le règne de Louis XVI, qui gouverne sans maîtresse, ce qui n’était pas arrivé chez vous depuis cent quatre ans. (...) On chante continuellement des chansons à la gloire des François, le bas peuple en langue flamande et les gens comme il faut dans la votre... » Cité par Bernard FAY, Louis XVI, ou la fin d’un monde, Amiot-Dumont, Paris, 1955, p.213. Il s'agit là d'une véritable petite révolution mentale lorsque l'on connait la hargne anti-française de la Hollande depuis les guerres de Louis XIV et la révocation de l'Edit de Nantes.
  171. Le 9 mai, pour la Floride, avec 5 vaisseaux français et 10 vaisseaux espagnols. Le 19 août pour Minorque, avec une grande escadre combinée de 20 vaisseaux français partis de Brest sous les ordres de Guichen et rejoints par 51 navires de transports de troupes espagnols, avec 18 vaisseaux d’escorte, 2 vaisseaux de bombardement et plus de 20 navires auxiliaires. Patrick Villiers, Jean-Pierre Duteil, op. cit., p.131 et la page Wikipédia (en anglais) «  Invasion of Minorca, 1781 ».
  172. Une partie des villes et des pays de l'Océan indien ont changé de nom. Par respect historique nous conservons cependant les appellations du XVIIIe siècle.
  173. Rémi Monaque, op., cit., p.203.
  174. Lettre du 15 novembre 1781, citée par Rémi Monaque, ibidem, p. 204.
  175. Lettre du 4 décembre à Blouin, citée par Régine Pernoud, La Campagne des Indes, lettres inédites du bailli de Suffren, Mantes, imprimerie Du Petit Mantais, 1941. Suffren qui tient cependant à ménager d'Orves parlera plus tard, dans une lettre à De Castrie écrite après la bataille de Sadras de l'« excessive bonté » du vieux chef qui avait accoutumé ses capitaines à ne pas être commandés. Cité par Rémi Monaque, op., cit., p.211.
  176. « Il est revenu à Sa Majesté que vous lui aviez ôté le commandement [à Morard de Galles] sur la représentation de ses anciens et qu'ils vous l'avaient demandé en vous annonçant qu'ils donneraient leur démission si leur ancienneté ne prévalait pas. Le roi n'a pu croire ni qu'une telle manœuvre ait pu vous être faite et encore moins que vous y ayez cédé... » Lettre du 8 avril 1782, citée par R. Monaque, op. Cit., p.204.
  177. « La victoire de M. de Suffren à St Iago (La Praya), avait donné de lui l’opinion la plus avantageuse. Elle produisit chez une foule de sujets de tout état un enthousiasme qui servit la cause publique. Un très grand nombre se proposèrent en qualité de volontaires, tant dans la marine, que dans les troupes de ligne, et furent acceptés en majeure partie » note un jeune officier de l’Ajax. Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1780 des Français et des Anglais dans l’Inde. Chevalier Barthélémy Huet de Froberville, Blois, 1786, p.8.
  178. J. Meyer, M. Acerra, op. cit., p.126.
  179. Lettre du 4 décembre 1781, citée par Régine Pernoud, op. cit.
  180. Les noms des navires qui s’agrègent à ceux arrivés de Brest : L’Orient (74 canons), le Sévère (64), le Bizarre (64), l’Ajax (64), le Brillant (64), le Flamand (56) pour les vaisseaux, la Pourvoyeuse (38), la Fine (36), la Bellone (32) pour les frégates, la Subtile (24) la Sylphide (12), le Diligent (10), le Pulvérisateur (6 ou 4 canons) pour les corvettes et les très petites unités (comme le Pulvérisateur qui est un brûlot). Notons que la corvette la Fortune (16) qui faisait partie de la division partie de Brest n’est plus signalée dans l’escadre ce qui indique sans doute qu’elle est repartie vers la France avec les dépêches. Le décompte des forces n’est pas facile, car les toutes petites unités ne sont pas toujours signalées par les historiens et les corvettes sont souvent par commodité rangées dans le classement des frégates, ce qui brouille les listes. Listes qui de toute façon changent sans arrêt car c’est le propre des petites unités d’aller et venir en mission de reconnaissance ou pour faire circuler les ordres. Composition fournie par R. Monaque, op. cit., p.207.
  181. Instructions parvenues à la fin du mois de juillet, avant l’arrivée de Suffren, et qui explique sans doute l’ordre de d’Orves (reçu au Cap le 15 août, voir plus haut) à Suffren de le rejoindre le plus vite possible. Mémoire du roi servant d’instructions pour MM. Le vicomte de Souillac (gouverneur de l’île) et le comte d’Orves A.N., Marine, B4 196, fol. 228.
  182. (Meyer et Acerra 1994, p. 128)
  183. Lucien Bély, op. cit., p. 629.
  184. J.-C. Petitfils, op. cit., p. 430. Un officier français de cavalerie présent en Inde en 1782 en fait cette curieuse description : « D’une bonne taille, il est fort puissant quoique montant encore fort bien à cheval. Il a la figure pleine et très noire, l’œil méchant, fier et faux, souriant fort aisément et paraissant assez honnête. Il ne porte ni sourcil ni barbe et en guise de moustache une royale quasi imperceptible. Il se rase lui-même de peur d’être égorgé. » Bibliothèque Nationale, Manuscrits, NAF 9370.
  185. J.-C. Castex, op. cit. p.285.
  186. R. Monaque, op. cit., p.210.
  187. Lucien Bély, op. cit., p. 629.
  188. 217 matelots et 100 soldats, sans compter les officiers. Ce qui ne va pas sans mal, les autres navires renâclant à lâcher du personnel, et ne cédant que les plus mauvais éléments. R. Monaque, op. cit., p.212.
  189. Lettre du 23 novembre 1781, citée par Régine Pernoud, op. cit.
  190. J.-C. Petitfils, op. cit., p.430.
  191. R. Monaque, op. cit, p.213.
  192. Au risque aussi d’endommager la cohésion de celle-ci estime R. Monaque. Ibidem, p.241. Tromelin n’est cependant pas inquiété pour le commandement de l’Annibal.
  193. J.-C. Petitfils, op. cit., p.430.
  194. Il avait combattu à Toulon en 1744 comme Suffren, puis avait servi au Canada sous les Ordres de Boscawen à Louisbourg puis de Sauders à Québec. De 1773 à 1777 il avait commandé l’escadre britannique des Indes avant de rentrer brièvement en Angleterre puis de revenir servir sur le même théâtre d’opération avec le grade de contre-amiral. R. Monaque, op. cit., p.220.
  195. L’historien et amiral anglais G. A. Ballard y voit même une ruse de Suffren pour obliger Hugues à accepter une bataille, ce que rien dans les témoignages et archives de l’époque ne montre cependant. « The last Battlefleet struggle in the bay of Bengal », The Mariner’s Mirror, vol.13, 1927.
  196. Il y a plus de 1 000 scorbutiques d’après J.-C. Castex, op. cit., p. 339.
  197. R. Monaque, op. cit., p. 219.
  198. Compte-rendu de la bataille de mars 1782 au ministre, A.N., Marine, B4 207, fol.9.
  199. J.-P. Castex, op. cit., p.342.
  200. J.-P. Castex, ibidem, p.342.
  201. R. Monaque, op. cit., p.226.
  202. Lettre du 4 avril 1782, de Hugues à M. Stephens, A.N., Marine, B4 197, fol. 326.
  203. Chiffres cités par Rémi Monaque, (op. cit,. p.227), mais J.-P. Castex donne des pertes plus élevées, presque équivalentes à celles de la Navy, soit 130 tués et 364 blessés (op. cit., p.343), ce qui est possible aussi car la bataille a été très longue et fort discutée pour les navires engagés.
  204. Cité par Roger Glanchant, Suffren et le temps de Vergennes, Paris, France-Empire,1976, p.289.
  205. Lettre du 6 février 1782, cité par R. Monaque, op. cit., p. 223.
  206. R. Monaque, ibidem, p.222.
  207. Ibidem p.225.
  208. R. Glanchant, op. cit., p.281.
  209. Cité par R. Monaque, op. cit., p.224.
  210. R. Monaque, ibidem, p. 227.
  211. Le chevalier Huet de Froberville en fait une triste description. Pondichéry « n’est plus maintenant qu’un bourg informe qui présente au milieu d’un tas de ruines quelques maisons éparses cà et là, qui sont encore le signe de son ancienne splendeur. Les fortifications sont détruites. Le gouvernement, l’intendance, quelques hôtels appartenant aux plus riches particuliers, sont toutes abandonnées, et ne sont plus l’asile que de misérables pêcheurs. » Op. cit., p. 31.
  212. J.-C. Castex, op. cit., p. 343.
  213. Pour mémoire, rappelons que le 7 décembre 1781, l’escadre avait quitté l’île-de-France accompagnée de 10 navires de transport dont 1 aménagé en hôpital et embarquant à peu près 3 000 hommes de troupe et d’artillerie.
  214. Lettre du 12 mars 1782 à de Castrie, A.N. Marine, B4 207, fol.9.
  215. Lettre du 1er avril 1782 à Vergennes, citée par Roger Glanchant, op. cit., p.291.
  216. Rémi Monaque, op. cit., p.231.
  217. J.-C. Castex, op. cit., p.315.
  218. R. Monaque, op. cit., p.233. La ligne anglaise s’engage comme suit : L’Exeter (64 canons), le Sultan (74), le Eagle (64), le Burford (74), le Montmouth (64), le Superb (74) monté par Hughes, le Monarch (74, appelé aussi le Monarca), le Magnanime (64), l’Isis (56), le Hero (74), le Worcester (54). J.-C. Castex, op. cit., p.317.
  219. J.-C. Castex, ibidem.
  220. Compte-rendu du 16 avril 1782 au ministre de la marine, A.N. Marine, C7 314.
  221. « Je crus le vaisseau perdu » note le bailli dans son rapport. Ibidem.
  222. Ibidem. L’officier capturé, l’enseigne de vaisseau Goy de Bègue va rester prisonnier jusqu’à la fin de la guerre. Le Chevalier de Froberville explique la trêve entre les deux navires qui se sont abordés par la présence à bord de la Fine d’un important contingent de prisonniers anglais, bien traités et qui se sont entremis entre les deux commandants. Op., cit., p.64.
  223. J.-C. Castex, op. cit., p.318.
  224. Ce tout petit port sur la côte est de Ceylan est d'une orthographe incertaine, en fonction des époques, des traductions, des cartes et des historiens. Il n'est pas rare de la voir arthographié "Baticaloa" ou "Baticaola" ou encore "Balacalo" comme sur cette carte ancienne publiée par histoire-genealogie.com
  225. J.-C. Petitfils, op. cit., p.431.
  226. Lettre de Suffren à son ami Blouin du 23 avril 1782, publiée par Régine Pernoud, op. cit.
  227. Compte-rendu du 16 avril 1782 au ministre de la marine, A.N. Marine, C7 314.
  228. Cité par R. Monaque, op. cit., p.238.
  229. Chiffres fournis par R. Monaque, ibidem.
  230. Extrait de la lettre de Suffren à son ami Blouin du 29 septembre 1782, citée par R. Pernoud, op. cit.
  231. R. Monaque trouve des excuses à ces officiers en arguant du caractère très difficile de Suffren qui a du mal à communiquer avec ses subordonnés et à se faire comprendre d’eux. Op. cit., p. 233-237. Etienne Taillemite juge sévèrement les officiers qui s’opposent à Suffren. Il note que l’Océan indien est « peu connu et guère apprécié des officiers de la marine royale, qu’une telle affectation éloignait pour longtemps des entours de la Cour et des bureaux où l’on pouvait trouver des protections. On faisait là-bas plus de commerce que de guerre et le doux paradis de l’île-de-France n’était pas fait pour développer les ardeurs belliqueuses. (...) L’indiscipline des officiers y semblait spécialement marquée. Comme les officiers servant dans l’Océan indien n’avaient jamais participé aux escadres d’évolutions armées en Europe, ils manquaient très souvent d’entrainement et d’esprit combatif. Certains d’entre eux s’ennuyaient beaucoup dans les eaux du golfe du Bengale et ne songeaient qu’à rentrer à l’île-de-France. » Louis XVI, ou le navigateur immobile, op. cit., p.212-213. Comme on constate d’après la lettre précédemment citée que tous les officiers de Suffren veulent rentrer, faut-il en conclure que les officiers arrivés de Brest avec le commandeur se sont laissés « contaminer » par leurs confrères de l’Océan indien ? C’est aller vite en besogne. On peut donc dire que la thèse de R. Monaque sur le caractère de Suffren est exacte, mais qu’on doit sans doute y ajouter l’épuisement de ces hommes qui ont quitté Brest depuis plus d’un an et qui font une campagne dont ils ne comprennent pas les enjeux. D’où leur ralliement progressif à leurs confrères de l’île-de-France, ce qui n’excuse en rien leur comportement. Rappelons que dans la Royal Navy une telle démarche collective se terminerait immanquablement par la cours martiale.
  232. Lettre complémentaire au rapport au ministre sur la bataille du 16 avril 1782, op. cit., p.236. Lettre du 29 septembre 1782 à Blouin, citée par R. Pernoud, op. cit.
  233. Lettre au comte de Vergennes, écrite peu de temps après la bataille et citée par R. Glanchant, op. cit., p.293-294. Suffren s’exprime en des termes quasi identiques dans sa lettre complémentaire au combat de Provédien à destination du ministre de la marine, op. cit., p.239.
  234. J. Meyer, M. Acerra, Histoire de la Marine..., op. cit., p.128.
  235. R. Monaque, op. cit., p.240.
  236. Falk est né à Colombo en 1736 dans une famille qui a déjà fourni de nombreux cadres à la Compagnie des Indes Néerlandaises. Après un séjour en Hollande pour terminer sa formation à l’université d’Utrech, il est retourné aux Indes orientale où sa carrière a été rapide. Devenu gouverneur de Ceylan en 1765 il a réussi à conclure un traité de paix avec un souverain de l’intérieur de l’île en lutte contre l’autorité hollandaise depuis 25 ans. Il mourra à son poste en 1785. Renseignements réunis par R. Monaque, op. cit., p. 241.
  237. La découverte de cette correspondance est récente. Le dossier contenant les lettres échangées entre Suffren et Falk dormait dans les archives de Colombo sous la cote 1/3406 depuis plus de deux siècles. Il n’a été exhumé qu’en février 2008 par Rémi Monaque qui y consacre de longues pages de son ouvrage. Op. cit., Annexe IV, p.421-434.
  238. Les équipages ne semblent pas avoir reçu de solde pendant la campagne, mais seulement des avances sur les prises comme l’indique le chevalier de Froberville dans ses Mémoires, op. cit., p.88 et 170.
  239. Dès sa première lettre du 12 mars 1782, citée par R. Monaque, op. cit., p. 423-424.
  240. Extrait de la campagne du vaisseau l’Artésien, commandé par le chevalier de Cardaillac, Service historique de la Défense, section marine, G 198, p. 50.
  241. Journal de bord du Héros, cité par R. Monaque, op. cit. L'un de ces navires arrive de Sumatra, envoyé par la régence de Batavia, porteur de 200 000 florins ce dont Suffren remercie vivement Falk.
  242. Rémi Monaque, op. cit. p.244.
  243. Il s’agit du Raikes, un transport de l’escadre anglaise, du Resolution, ancien navire du capitaine Cook (le célèbre explorateur) mais doublé de cuivre, du Yarmouth et du Fortitude, deux navires de la Compagnie des Indes anglaise. Ibidem, p.244-245. Notons aussi pour que le tableau logistique soit complet que l’Artésien et le Vengeur sont allés chercher du biscuit à Pondichéry.
  244. J.-C. Castex, op. cit., p.269.
  245. Il s’en explique au ministre, sachant sans doute que cette décision lui sera forcément reprochée. Lettre sans date, Archives Nationales, B4 207, fol.175. Dans l'escadre cette décision provoque l’indignation de plusieurs officiers, comme le capitaine de vaisseau Trublet de Villejégu, qui parle "d’un procédé inhumain", mais le bailli ne se laisse pas fléchir. Suffren n'a pas non plus oublié les conditions de détention épouvantables sur les pontons, lesquelles rendent les protestations anglaises bien hypocrites. On ne connait pas le nombre exact de ces prisonniers. Suffren parle de 300 hommes, mais une lettre sans signature du 28 juillet 1782 écrite à bord de l’Ajax parle de 800 hommes. Peut-être ce chiffre comprend-il des Indiens au service des Anglais.
  246. J.-C. Castex, op. cit., p.269.
  247. Les deux escadres se présentent dans l’ordre suivant : côté français, le Flamand (60 canons), suivi de l’Annibal (74), puis du Sévère (64), le Brillant (64), le Héros toujours monté par Suffren (74), le Sphinx (64), le Petit Annibal (50), l’Artésien (64), le Vengeur (64), le Bizarre (64), l’Orient (74), accompagnés des frégates la Bellone (32) et la Fine (36). Côté anglais on trouve les HMS Exeter (64), Hero (74), Isis (56), Burford (74), Sultan (74), Superb toujours monté par Hughes (74), Monarch (70), Worcester (54), Montmouth (64), Eagle (64) et Magnanime (64) sans compter les frégates. Composition des forces données par R. Monaque, op. cit., p.249, et J.-C. Castex, op. cit. p.269. Notons que le Monarch, en fonction des historiens et des batailles est doté de 70 ou 74 canons, ce qui dans les deux cas donne toujours un net avantage de feu à Hughes avec 5 navires de ce type contre 3 pour les Français.
  248. J.-C. Castex, op. cit., p.271.
  249. R. Monaque, op. cit., p.252.
  250. Entre autres devant Louisbourg lorsque l’amiral anglais affirmait aux navires français être en paix à voix haute pour ouvrir ensuite le feu par surprise (voir plus haut).
  251. Anecdote rapportée par J.-C Castex, op. cit., p.271.
  252. Lettre du 15 juillet à Mr. Stephens (A.N. Marine, B4 197, fol.306.
  253. En faisant passer un Mémoire au ministre par l’intermédiaire du comte d’Hector qui commande le port de Brest. R. Monaque, op. cit., p.252-253.
  254. Citons leurs noms pour mémoire : M.M. Dieu et Rosbo, tous deux capitaines de brûlot. Archives Nationales, C1 16.
  255. R. Monaque, op. cit., p.254.
  256. Ibidem, p.244 et 255.
  257. Cet officier issu de la noblesse provençale voisinait et cousinait avec la famille des Suffren. La famille Forbin avait donné à Louis XIV un de ses plus grands capitaines, le chevalier Claude de Forbin (1656-1733).
  258. Op. cit., p.98.
  259. Cité par Etienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur, op. cit., p. 211.
  260. Cité par R. Monaque, op. cit., p.250.
  261. Récit daté du 30 octobre 1782, hélas sans signature. A.N. Marine, B4 207, fol.175.
  262. Lettre à son ami Blouin du 29 septembre 1782, publiée par R. Pernoud, op. cit.
  263. J.-C. Petitfils, op. cit., p.431.
  264. « Il [le nabab] a reçu M. de Suffren avec la plus grande considération et lui a dit les choses les plus flatteuses. Le commandeur lui ayant témoigné ses regrets de ce qu’il n’était pas à portée de voir l’escadre, Haider lui a répondu qu’il aimerait mieux voir celui qui la commandait et qui ma commandait si glorieusement ». Journal de bord du Héros, tenu par Moissac, le principal officier de Suffren, cité par R. Monaque, op. cit., p. 257.
  265. Un « lac » est une mesure monétaire indienne. Moissac dans le journal de bord du Héros se montre un peu gêné par ces pratiques et éprouve le besoin de s’en justifier : « ces présents sont d’usage dans toutes les Cours de l’Inde et ne peuvent être refusés ». Cité par R. Monaque, op. cit., p. 257. Tradition n’est pas corruption…
  266. Lettre du 31 juillet 1782, Archives Nationales, Manuscrits, NAF 9432.
  267. J.-C. Petitfils, op. cit. p.431. On peut aussi examiner les possessions exactes de Haidar Alî sur cette carte anglaise du début du XXe siècle. Le royaume d'Haidar Alî semble tourner littéralement le dos à la côte de Coromandel.
  268. La Bellone qui était allé prévenir les Hollandais du retour de l’escadre et a bien failli succomber face à un adversaire plus petit, mais très combatif qui lui a causé de lourdes pertes outre les deux officiers tués. R. Monaque, op. cit., p.263.
  269. C’est peu, mais ce n’est qu’un début, Falk promet l’arrivée d’autres troupes malaises venues des différentes garnisons de l’île, soit à peu près 780 hommes. Suffren le remercie chaleureusement car ces troupes sont de bonne qualité. Ibidem, p.430-431.
  270. Ibidem, p.425.
  271. 18 hommes au total qui finalement sont réintégrés dans leur régiment d’origine. La pénurie d’homme est telle qu’on ne peut se montrer regardant. R. Monaque, op. cit., p.455.
  272. Cette rencontre nous vaut un portrait de Suffren qui a fait forte impression à l’Anglais. Ce dernier trouve Suffren « en chemise, donnant des ordres pour l’assaut, il était logé sous un arbre, un hamac pendu aux branches, une table, un pliant et son secrétaire. Cet officier fut décontenancé de cet accoutrement d’un général, il vit qu’il avait affaire à un guerrier, sa réputation lui en avait déjà imposé, il capitula aux mêmes conditions que le fort d’en bas [le fort Frederick] ». Extrait d’un article paru dans le Mariner’s Mirror (Cary captain L.H.S.C.), « Trincomali », vol 17, 1931.
  273. Mariner’s Mirror, op. cit.
  274. Lettre du 29 septembre, publiée par R. Pernoud, op. cit.
  275. R. Monaque, op. cit., p.424.
  276. Un convoi de troupes et de vivres, partis de Brest escorté par 19 vaisseaux de ligne sous les ordres de Guichen -un bon commandant jusque là invaincu- perd 15 bateaux de son convoi après l’attaque du commodore Kempenfeld qui n’a pourtant que 12 vaisseaux. La tempête qui s’en mêle disperse le reste du convoi. Lucien Bély, op. cit., p.630.
  277. 7 vaisseaux français sont coulés ou capturés, dont le navire amiral et De Grasse lui-même. La guerre aux Antilles s’est donc terminée sur une victoire anglaise, heureusement sans grandes suites car Rodney n’a pas donné la poursuite au reste de l’escadre française et au convoi marchand qui ont pu rejoindre les forces espagnoles.
  278. « Tout le poids de la guerre porte uniquement sur nous et l’Espagne semble n’y prendre part qu’à titre de spectatrice » gémissait Vergennes. Madrid demande la présence de 40 vaisseaux français, ce que refuse Louis XVI qui n’est de toute façon pas en mesure de les fournir, vu les besoins pour les Antilles et les Caraïbes, mais il accepte d’envoyer du renfort en hommes et en matériel sous les ordres de son cousin le duc de Bourbon et de son frère, le comte d’Artois. J.-C. Petitfils, op. cit., p.426-428.
  279. L’idée de ces batteries flottantes revenait à l’ingénieur militaire français, Jean-Claude Le Michaud d'Arçon. Elle n’était pas mauvaise, mais simplement trop en avance sur son temps, le blindage de chêne ne pouvant pas résister aux boulets rouges. Les terrifiantes explosions soufflent toutes les vitres d'Algésiras, de l'autre côté de la baie. L’idée de batteries flottantes refera surface 65 ans plus tard, lors de la Guerre de Crimée, pour réduire –avec succès- la forteresse de Sébastopol. Entre temps, la Révolution industrielle sera passée par là, avec du blindage de fer, des moteurs à vapeur, des canons rayés... Ibidem.
  280. Etienne Taillemite, très sévère pour Louis XVI et son ministre des affaires étrangères, Vergennes, estime que la France se retrouve "à la remorque de l'Espagne". Etienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur..., op. cit., p.167, chapitre IX.
  281. Suffren dans l'océan Indien Claude des Presles, p. 155
  282. Grandes Entrées, dans sa chambre, honneur réservé aux officiers de la Couronne, au grand chambellan, au grand-maître de la garde-robe, au premier valet de garde-robe et à quelques rares très grands seigneurs
  283. Collectif, Histoires de marins, Sortilèges (15 novembre 2002), p. 92
  284. (Glachant 1976, p. 372). L'un des frères de cette loge est l'amiral Charles Henri d'Estaing
  285. Grâce demandée par le Bailly de Suffren, en faveur des officiers blessés dans les combats du 6 juillet 1782, et cela le 3 septembre 1782 à la commission de capitaine. Le sieur Rambaud est le 6e lieutenant de son corps et il n'a le grade d'officier que depuis le mois de septembre 1778. Les lieutenants avant lui ont le grade de capitaine. M. de Suffren observe que cet officier est rempli de zèle et de valeur militaire soutenue d'une très bonne conduite.
  286. Acte de mariage d'Agathe de Rambaud numérisé par les AD 78, 1112523, M, Versailles paroisse Saint-Louis, 1785, p. 23, mais aussi conservé par les archives de la mairie de Versailles
  287. Guy de Rambaud, Pour l'amour du Dauphin, p. 38
  288. Membre de la loge maçonnique : l'Olympique de la Parfaite Estime, (Glachant 1976, p. 372)
  289. Acte de baptême de Georges Auguste, Benoît de Rambaud, numérisé par les AD 78, 1112631, B, Versailles paroisse Saint Louis, 1786, p. 9 et dossier CAOM/Rambaud
  290. Guy de Rambaud, Pour l'amour du Dauphin, p. 131
  291. (Glachant 1976, p. 379)
  292. Caron, Amiral F., Suffren, Vincennes, 1996
  293. Jean Boutière, Correspondance de Frédéric Mistral, p. 229

Voir aussi

Bibliographie

  • Caron, Amiral F., Suffren, Vincennes, 1996
  • Robert Castagnon, Gloires de Gascogne, Villaret de Joyeuse (en partie), éditions Loubatière
  • Charles Cunat, Histoire du bailli de Suffren (lire en ligne)
  • Alfred Mahan, The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783, Little, Brown & Co, New York 1890, Dover Publications, 1987 (Repr.). ISBN 0-486-25509-3
  • Roger Glachant, Suffren et le temps de Vergennes, éditions France-Empire,
  • Charles-Armand Klein, Mais qui est le bailli de Suffren Saint-Tropez ?, éditions Équinoxe, coll. « Mémoires du Sud »,
  • Le Pelley-Fonteny, Monique, Itinéraire d'un marin granvillais : Georges-René Pléville le Pelley (1726-1805). Neptunia (les mémoires un autre grand marin naviguant à la même époque)
  • colonel Henri Ortholan, L'amiral Villaret-Joyeuse : Des Antilles à Venise 1747-1812, Bernard Giovanangeli, , 286 p. (ISBN 2909034852)
  • Presles, Claude des, Suffren dans l'océan Indien (1781 - 1783), Economica, 1999
  • Roux Joseph Siméon, Le Bailli de Suffren dans l'Inde (Consultable en ligne)
  • Suffren, Pierre André de, Journal de bord du bailli de Suffren dans l'Inde (1781 - 1784), avec une préface par le vice-amiral Edmond Jurien de La Gravière, Henri Moris, Paris : Challamel, 1888
  • Unienville, Raymond d', Hier Suffren, Mauritius Printing 1972
  • Michel Vergé-Franceschi, La Marine française au XVIIIe siècle, SEDES,
  • Jean Meyer et Martine Acerra, Histoire de la marine française, Rennes, éditions Ouest-France,
  • Étienne Taillemite, Dictionnaire des marins français, éditions Tallandier,
  • Étienne Taillemite, Louis XVI, ou le navigateur immobile, éditions Payot,
  • Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, éditions Sedes,
  • Lucien Bély, Les relations internationales en Europe (XVIIeXVIIIe siècle), éditions PUF,
  • Martine Acerra et André Zysberg, L’essor des marines de guerre européennes, 1680-1790, éditions Sedes,
  • Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, éditions Perrin,
  • Amiral Rémi Monaque, Suffren : Un destin inachevé, édition Tallandier,
  • Vidal-Mégret, Mme J., Lettres du Bailli de Suffren de Saint-Tropez, 1726-1788, concernant la Campagne en Inde, 1782-83.

Ouvrage à part :

  • Jean-Claude Castex, Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises, Canada, éditions Presses Université de Laval,
    Cet ouvrage qui hésite entre le convenable et le médiocre est à manipuler avec précaution, par un public ayant déjà un solide culture historique. Le convenable : des bonnes cartes, un bon inventaire des effectifs et l'utilisation de sources anglaises souvent peu citées en France. Le médiocre : des analyses sur les conséquences des batailles souvent partielles, voire partiales. Des commentaires sur le contexte politique, Versailles, les rois de France, qui hésitent entre le vieux manuel d'histoire moralisateur du XIXe siècle et le café du commerce. Le tout encombré d'une iconographie souvent hors-sujet (des casques médiévaux, des trirèmes grecques antiques, des drapeaux russes...). Un ouvrage à réécrire en partie. À l'occasion d'une réédition ?

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :