Juif errant

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Image d'Épinal du Juif errant (1896).

Le Juif errant est un personnage légendaire dont les origines remontent à l'Europe médiévale et qui ne peut pas perdre la vie, car il a perdu la mort : il erre donc dans le monde entier et apparaît de temps en temps.

Au début du XIIIe siècle, les moines bénédictins anglais Roger de Wendover et Matthieu Pâris relatent l'histoire d'une visite au monastère de Saint-Alban, où un personnage est assimilé au juif Cartaphilus. La légende devient populaire en Europe à partir du XVIe siècle et le Juif errant reçoit le prénom de Ahasvérus. Il inspire bon nombre d'écrivains.

Histoire[modifier | modifier le code]

Portrait et complainte du Juif errant tel qu'il aurait été vu à Avignon en 1784.
« Le Vrai Portrait du Juif-errant », complainte nouvelle sur un air de chasse, Épinal, 1820.
Caricature du Juif errant d'après Gustave Doré parue dans le Journal pour rire du .
Gravure de Gustave Doré (1852).
Le Juif errant rejeté par toutes les nations. Dessin paru dans le magazine satirique américain Puck en 1901.

Naissance du mythe[modifier | modifier le code]

Le mythe du Juif errant est absent des évangiles synoptiques. Il trouve une de ses origines dans un passage de l'évangile selon Jean[1] (Jean 21, 22-23) où Jésus dit à son sujet : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? », et où Jean, tel le prophète Élie, semble épargné par la mort[2].

De cette idée qu'un témoin de la Passion survivrait jusqu'au retour du Christ naquirent de nombreux contes populaires.

Les premières traces écrites de ce mythe datent du début du XIIIe siècle : deux récits similaires figurent dans une chronique latine de Bologne et dans les Flores Historiarum du moine bénédictin anglais Roger de Wendover.

Établissement du mythe : de l'opuscule au récit populaire[modifier | modifier le code]

Au XIIIe siècle, le Juif errant est un ancien portier de Ponce Pilate. C'est un homme pieux, triste et converti au christianisme, qui attend en Arménie le retour du Christ, et qui témoigne de la Passion qu'il a vue.

Au XVIe siècle, le mythe du Juif errant se voit immortalisé dans un opuscule allemand à travers le personnage d'un simple cordonnier juif, nommé Ahasvérus, qui prétend avoir assisté à la crucifixion du Christ.

Ce récit connaît un succès populaire foudroyant.

Influence dans la littérature[modifier | modifier le code]

Au XVIIe siècle, Savinien de Cyrano de Bergerac en fait mention dans la bouche d'un sorcier qui prétend entre autres, être le Juif Errant et le diable Vauvert ('Oeuvres Comiques Galantes et Littéraires'[3]).

Au XIXe siècle, le mythe du Juif errant est relayé par les hommes de lettres. De nombreux ouvrages écrits dans de nombreuses langues font ainsi référence à ce personnage. C'est ainsi que la littérature trouve dans ce mythe intemporel une figure récurrente que l'usage populaire a rendu accessible à tous.

Chateaubriand, dans ses Mémoires, cite la Ballade du Juif errant, grande poésie populaire qui nous narre ses aventures. On apprend ainsi que le Juif errant aurait fait une étape à Bruxelles en Brabant.

Eugène Sue, Le Juif errant (1844-45)[modifier | modifier le code]

Le thème du Juif errant est très actif dans la production littéraire et savante (historienne) autour de l’époque de la monarchie de Juillet, comme en témoignent parmi d’autres les études d’Edgar Quinet, depuis son premier écrit publié, les Tablettes du Juif errant (1823), jusqu’à Ahasverus (cf. infra).

Le roman-feuilleton d’Eugène Sue, Le Juif errant, connaît l’un des plus grands succès publics du XIXe siècle. Le titre est cependant trompeur, puisque ce roman n’est pas véritablement axé sur ce personnage. En effet, il raconte les intrigues menées par les jésuites pour s’emparer du fabuleux héritage d’un protestant que la Compagnie avait acculé au suicide. Face à eux, le Juif errant et son homologue féminin, Hérodiade, s’efforcent d’être les anges gardiens des héritiers, qui sont en outre leurs derniers descendants.

Mais Sue exploite surtout l’idée de la malédiction qui accompagne le Juif errant en faisant coïncider son arrivée à Paris avec l’épidémie de choléra d’avril 1832 qui a fait plus de douze mille victimes – on ignorait alors presque tout sur cette maladie et son mode de propagation. La violente dénonciation de la Compagnie de Jésus fait suite à l’ouvrage de Jules Michelet et Edgar Quinet, Des jésuites (1843). Le roman de Sue est — entre autres — un réquisitoire contre le fanatisme et l’intolérance religieuse, et se termine sur la fin des souffrances du Juif errant et d’Hérodiade.

Guillaume Apollinaire, Le Passant de Prague (1910)[modifier | modifier le code]

Dans sa nouvelle Le Passant de Prague — tirée du recueil de nouvelles L'Hérésiarque et Cie — Guillaume Apollinaire met en scène le Juif errant que le narrateur rencontre à Prague en et qui se fait appeler Laquedem. Buvant dans les tavernes et jouissant des prostituées, il est satisfait de son sort d'immortel : « Des remords ? Pourquoi ? Gardez la paix de l'âme et soyez méchant. Les bons vous en sauront gré. Le Christ ! je l'ai bafoué. Il m'a fait surhumain. Adieu !… »

Apollinaire cite un grand nombre d'allusions littéraires sur son personnage :

« La complainte que l'on chanta après ma visite à Bruxelles me nomme Isaac Laquedem, d'après Philippe Mouskes, qui, en 1243, mit en rimes flamandes mon histoire. Le chroniqueur anglais Mathieu de Paris, qui la tenait du patriarche arménien, l'avait déjà racontée. Depuis, les poètes et les chroniqueurs ont souvent rapporté mes passages, sous le nom d'Ahasver, Ahasvérus ou Ahasvère, dans telles ou telles villes. Les Italiens me nomment Buttadio – en latin Buttadeus ; – les Bretons, Boudedeo ; les Espagnols, Juan Espéra-en-Dios. Je préfère le nom d'Isaac Laquedem, sous lequel on m'a vu souvent en Hollande. Des auteurs prétendent que j'étais portier chez Ponce-Pilate, et que mon nom était Karthaphilos. D'autres ne voient en moi qu'un savetier, et la ville de Berne s'honore de conserver une paire de bottes qu'on prétend faites par moi et que j'y aurais laissées après mon passage. Mais je ne dirai rien sur mon identité, sinon que Jésus m'ordonna de marcher jusqu'à son retour. Je n'ai pas lu les œuvres que j'ai inspirées, mais j'en connais le nom des auteurs. Ce sont : Goethe, Schubart, Schlegel, Schreiber, von Schenck, Pfizer, W. Müller, Lenau, Zedlitz, Mosens, Kohler, Klingemann, Levin Schüking, Andersen, Heller, Herrig, Hamerling, Robert Giseke, Carmen Sylva, Hellig, Neubaur, Paulus Cassel, Edgar Quinet, Eugène Suë, Gaston Paris, Jean Richepin, Jules Jouy, l'Anglais Conway, les Pragois Max Haushofer et Suchomel. Il est juste d'ajouter que tous ces auteurs se sont aidés du petit livre de colportage qui, paru à Leyde en 1602, fut aussitôt traduit en latin, français et hollandais, et fut rajeuni et augmenté par Simrock dans ses livres populaires allemands. »

Œuvres littéraires[modifier | modifier le code]

XVIIIe siècle[modifier | modifier le code]

  • René Lesage, dans Le diable boiteux, évoque le Juif errant dans le chapitre sur les songes.
  • Voltaire, dans Candide, fait intervenir un banquier juif du nom de Don Isachar lors du passage du héros en la ville de Lisbonne. Malgré les traits vils de ce personnage, Voltaire dénonce l'horreur de l'Inquisition et des autodafés qui avaient lieu au XVe siècle en Espagne et au Portugal.

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Ahasuerus et la fin du monde par Adolf Hirémy-Hirschl.

XXe siècle[modifier | modifier le code]

  • Le Juif errant est arrivé, Albert Londres, 1930
    August Vermeylen, De wandelende Jood, 1906
  • Leo Perutz : « Quelle valeur critique peuvent-ils reconnaitre à un homme qui a la conviction d'avoir rencontré en Espagne le Juif errant ? » (prologue du Marquis de Bolibar, 1920).
  • Joseph Roth, Juden auf Wanderschaft, Berlin, 1927 : publié en français sous le titre Juifs en errance, suivi de L'Antéchrist, éditions du Seuil, 1986 (ISBN 2-02-009341-3).
  • Albert Londres dans Le Juif errant est arrivé, 1929.
  • Maxime Alexandre, Le Juif errant, pièce en trois actes, prologue et intermède, Paris 1946.
  • Albert Cohen, dans son roman Belle du Seigneur (1968), décrit le personnage de Solal, déguisé en Juif errant pour séduire Ariane. Ce déguisement préfigure la déchéance de nationalité qui affectera Solal.
  • Jean d'Ormesson, dans son Histoire du Juif errant, fait de ce personnage mythique un repentant qui se nourrit de la beauté du monde et de ses innombrables souvenirs. Il confie son secret à un jeune couple en vacances à Venise, leur racontant son influence sur des épisodes historiques majeurs, en fait ses amis et, pour finir, séduit involontairement la jeune femme. Le romancier fait du Juif errant un personnage affable, humble et érudit. Pris au piège dans l'espace et le temps, il ne cherche pas la sagesse mais la recueille grâce à sa séculaire expérience. Ce personnage pourrait être le miroir sans complaisance de l'humanité tout entière, et non seulement d'un peuple.
  • Carlo Fruttero et Franco Lucentini dans leur roman commun L'Amant sans domicile fixe (L'amante senza fissa dimora), 1986, font du Juif errant le héros d'un amour impossible à Venise.
  • Simone de Beauvoir, Tous les hommes sont mortels : Fosca n'est autre que le Juif errant.
  • Glen Berger crée une intrigue autour du Juif errant au théâtre à New York avec Underneath the Lintel. Cette pièce a fait le tour du monde. Adaptation française à partir de au Théâtre du Lucernaire à Paris.
  • J. G. Ballard a écrit une nouvelle en 1964, Le Vinci disparu, dont l'intrigue porte sur la représentation picturale du Juif errant dans les tableaux décrivant la crucifixion du Christ.
  • Gabriel García Márquez, dans Un día después del sábado, décrit un village qui accuse un étranger d'être le Juif errant, l'estimant responsable de la mort des oiseaux observée depuis quelque temps.
  • Mircea Eliade, dans Dayan fait intervenir la figure du Juif Errant, que Dayan rencontre. C'est d'ailleurs le Juif Errant qui ouvre les yeux à Dayan et lui permet de résoudre l'« ultime équation ».
  • Stefan Heym, dans Ahasver le juif errant (1991 pour la traduction française, éd. L'Âge d'Homme), fait du Juif errant la pierre angulaire de son récit, le faisant apparaître tantôt au Moyen Âge, tantôt lors de la guerre froide et dans un songe anhistorique aux côtés de Jésus depuis sa rencontre dans le désert jusqu'à l'Armageddon.
  • Mike Kasprzak, dans Monstres, fait intervenir un alter-ego récurrent aux allures de Juif errant[10].
  • Alexandre Arnoux, dans Carnet de route du Juif errant paru en 1931 (Bernard Grasset), imagine sous forme d'un conte les pérégrinations et rencontres dans le temps (de Jésus au XXe siècle) du Juif errant.
  • Pär Lagerkvist, La Mort d'Ahasverus et La Sybille.
  • Percy Bysshe Shelley, Wandering Jew.
  • Matthew Gregory Lewis, Le Moine.
  • François Taillandier, Solstice.
  • Yi Mun-yol, écrit le roman Le Fils de l'Homme, dans lequel la victime d'un meurtre a consigné dans ses cahiers l'histoire d'Ahasverus, le juif errant, qu'il nomme "Le Fils de l'Homme".
  • Kore Yamazaki, The Ancient Magus Bride, dans cette œuvre le mage et antagoniste "Joseph" est aussi désigné comme le "Carthaphilus".
  • Anna Seghers, Transit, Le chef d'orchestre est symbole du Juif errant, en l'occurrence symbole de mort et d'impossibilité de fuite

Dans les arts et la culture populaire[modifier | modifier le code]

Filmographie[modifier | modifier le code]

Cinéma[modifier | modifier le code]

Télévision[modifier | modifier le code]

Documentaire[modifier | modifier le code]

Musique[modifier | modifier le code]

Opéra[modifier | modifier le code]

Iconographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Marcello Massenzio, « Le Juif errant entre mythe et histoire. Trois variations sur le thème de la Passion selon le Juif errant », Annuaire. Résumé des conférences et travaux (2006-2007), École pratique des hautes études (EPHE), section des sciences religieuses, t. 115,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. Louis Maïeul Chaudon, Dictionnaire des mythologies (lire en ligne).
  3. « Oeuvres comiques, galantes et littéraires de Cyrano de Bergerac (Nouvelle édition revue et publiée avec des notes) », sur Gallica, (consulté le ).
  4. (de) Die verwünsche Stadt (Bechstein) sur zeno.org.
  5. Voir Bibliographie.
  6. Trad. par K. Ferlov et J-J. Gateau, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », p. 70.
  7. p. 69.
  8. « Le Juif errant, Paris, France, 19e siècle, 4e quart », sur Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, (consulté le )
  9. La Légende du juif errant sur decryptimages
  10. Gregory Mion, Le Musée des monstres de Mike Kasprzak.
  11. a b et c « Le Juif-Errant », sur www.pop.culture.gouv.fr (consulté le )/

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Marcello Massenzio, Le Juif errant ou L'art de survivre, Éditions du Cerf, coll. « Les Conférences de l'École Pratique des Hautes Études », 2010, 160 p. (ISBN 978-2-204-09236-4).
  • La Légende du Juif errant suivi de Le Passant de Prague, Guillaume Apollinaire, Paul Lacroix, illustré par Gustave Doré, Éditions Interferences, 2010 (ISBN 978-2-909589-20-6).
  • Edgar Knecht, Le Mythe du Juif errant, essai de mythologie littéraire et de sociologie religieuse, PUG, 1977.
  • Hyam Maccoby, Judas Iscariot and the Myth of Jewish Evil, 1992.
  • Gaël Milin, Le Cordonnier de Jérusalem. La Véritable Histoire du Juif errant, PUR, 1997.
  • Charles Schoebel, La Légende du Juif-errant, Paris : Maisonneuve , 1877.
  • Ludwig Bechstein, Le Livre des Contes, trad. Corinne et Claude Lecouteux, José Corti, 2010 (ISBN 978-2-7143-1045-3). Conte 24.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

  • Le nom Ahasvérus se rapproche, dans sa translitération en hébreu, du nom Assuérus (en hébreu אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ (Aʾhašveroš)), qui est le roi de Perse mentionné dans le récit de Pourim.

Liens externes[modifier | modifier le code]

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