Antonomase

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Une antonomase (du grec ancien : ἀντονομάζειν / antonomázein « appeler d'un nom différent », de anti- « à la place de », et ονομάζειν / onomázein « nommer », de onoma « nom ») est une figure de style, soit un trope, dans lequel un nom propre ou bien une périphrase énonçant sa qualité essentielle, est utilisé comme nom commun, ou inversement, quand un nom commun est employé pour signifier un nom propre[1],[2]. Certaines antonomases courantes finissent par se lexicaliser et figurent dans les dictionnaires usuels (comme poubelle et silhouette, voir plus bas).

Antonomase du nom propre[modifier | modifier le code]

En rhétorique, l’antonomase du nom propre consiste à employer un nom propre pour signifier un nom commun[3]. Selon le cas, ce type d'antonomase peut s'analyser comme une métaphore ou comme une métonymie.

On peut relier l'antonomase du nom propre à la synecdoque dans la mesure où l'individu portant le nom propre fait partie de l'ensemble évoqué (Don Juan, par exemple, fait partie des séducteurs). Mais, en d'autres cas, le procédé relève plutôt de la métaphore comme dans : « l'Einstein de la Bourse de Paris ». Elle suppose une connaissance partagée des qualités essentielles des personnages ainsi évoqués[4].

Contrairement à l’antonomase du nom commun qui tend à tomber en désuétude, l'antonomase du nom propre est relativement courante. La plupart du temps, le nom propre utilisé est celui d'une personne (que celle-ci soit réelle ou imaginaire), comme pour watt, Diesel, ampère : ces noms communs étaient tous des noms propres à l'origine (noms de savants, d'inventeurs, etc.). Il s'agit donc d'une antonomase par métonymie. Il existe également des antonomases issues de prénoms fréquents : un « jules » (un homme, un mari), une « nana » [de Anna] (une femme ou une fille, une copine), un « jean-foutre », une « marie-salope », les deux derniers étant formés à partir des prénoms courants Jean et Marie.

Les antonomases désignant un « Don Juan » (un séducteur), un « Tartuffe » (un hypocrite), un « Harpagon » (un avare), une « Pénélope » (une épouse fidèle), un « Apollon » (un bel homme), un « Brummell » (un élégant), un « Staline » (un dictateur sanguinaire), un « Michel-Ange » (un grand peintre), un « Gavroche » (un gamin des rues), etc. peuvent être analysées aussi bien comme des métaphores (tel séducteur peut être comparé à Don Juan, etc.), que comme des métonymies (tel homme appartient au groupe des séducteurs, dont Don Juan est le symbole). On retrouve ce procédé dans le langage courant argotique : « Ne fais pas ton de Funès ! » ou tout autre personnage, souvent dans l'entourage proche (« Ne fais pas ton Daniel ! »), dont on veut moquer les défauts au travers de son interlocuteur.

Michel Le Guern estime que pour qu'un nom propre puisse servir d'antonomase, il faut que ce ne soit plus tout à fait un nom propre, et qu'on puisse y déceler des éléments de signification : « où sont les Rossinis de notre époque ? » signifie « où sont les compositeurs comparables à Rossini ? ». On notera dans cette antonomase par métonymie la présence du « s » du pluriel, et ce malgré la majuscule[5].

Dès que l'antonomase du nom propre se lexicalise, la sensation d'avoir affaire à un nom commun domine peu à peu. La majuscule est conservée tant que le lien avec le nom propre originel est conscient. Dès lors que ce lien n'est plus conscient, le nom propre devient un véritable nom commun autonome, s'écrivant par conséquent sans majuscule. À titre d’exemples, on peut penser aux mots « mécène » (qui nous vient du personnage historique) ou « mentor » (du personnage de l’Odyssée).

Inventeurs[modifier | modifier le code]

Les noms de concepts ou de produits (ici, par ordre alphabétique) qui tirent leur origine du patronyme de leur créateur sont des exemples d’antonomase du nom propre[6] :

En physique, notamment en électricité, de nombreux noms d'inventeurs sont utilisés comme unités de mesure, telles que :

un ampère (A) (André-Marie Ampère), un volt (V) (Alessandro Volta), un watt (W) (James Watt), un ohm (Ω) (Georg Ohm), un joule (J) (James Prescott Joule), un tesla (Nikola Tesla), un coulomb (Charles-Augustin Coulomb), un pascal (Pa) (Blaise Pascal), un hertz (Hz) (Heinrich Rudolf Hertz), un newton (N) (Isaac Newton)[6].

Arts, Mythologie[modifier | modifier le code]

Par ordre alphabétique.

  • « Dugazon » a désigné une « mezzo-soprano légère, affectée aux emplois de soubrette », en souvenir de la chanteuse Madame Dugazon qui marqua ce type d'emploi lyrique.
  • « Égérie » désigne une inspiratrice, une muse, selon le nom de la nymphe Égérie, que le roi Numa Pompilius rencontrait pour lui demander des conseils.
  • Un « gavroche » renvoie au personnage d'enfant des rues dans le roman Les Misérables de Victor Hugo.
  • « Mécène » désigne un « généreux donateur protégeant les arts et les artistes », en souvenir de Mécène, général romain de l'époque de l'empereur Auguste, qui, ayant accumulé une immense fortune au cours de ses campagnes, s'était offert une villa somptueuse entourée d'artistes.
  • « Mentor » est originellement le nom du précepteur de Télémaque qui accompagna ce dernier dans son périple pour retrouver Ulysse, son père.
  • « Mégère » désigne une « femme violente et agressive », en référence au personnage de Mégère, l'une des trois érinyes, dans la mythologie grecque.
  • « Odyssée » désigne un long voyage, en référence au personnage d'Ulysse, dont le prénom original, grec, est Odysseus.
  • Pantalon est un personnage de la commedia dell'arte s'habillant d'un pantalon.
  • Le goupil a pris pour prénom « Renart » au XIIe siècle à la suite de la rédaction du Roman de Renart. L'antonomase a consisté à utiliser « renart » pour désigner le goupil, renart devenant renard au XVIe siècle.
  • « Silhouette » désigne une « figure vaguement esquissée », en souvenir des caricatures dessinées pour ridiculiser Étienne de Silhouette, un contrôleur des impôts du XVIIIe siècle.
  • « Sosie » désigne une personne ressemblant fortement à une autre, par analogie avec le personnage de Sosie dans la pièce Amphitryon de Plaute. Le personnage de Mercure prend en effet les traits du valet appelé Sosie, pour couvrir les exactions de son père Jupiter.
  • Un « tartuffe » renvoie au personnage d'hypocrite dans la comédie éponyme de Molière.
  • Un « vatel » a désigné, à l'image de François Vatel, intendant de Fouquet, le chef organisateur d'un banquet : « Un banquet succulent leur a été servi [...] le vatel Duraude s'était surpassé. »[8]

Origine géographique[modifier | modifier le code]

  • « Vandale », par antonomase du nom d'un peuple germanique qui envahit l'Empire romain au Ve siècle, les Vandales, désigne un individu destructeur.

Quelques antonomases du nom propre, contenant le mot « saint », ont perdu leur majuscule en se lexicalisant : un saint-bernard, un saint-émilion, un saint-honoré, le saint-nectaire. Plus généralement, les labels pour des productions de consommation, comme les appellations d'origine contrôlée, font généralement appel à un nom de lieu géographique. Ultérieurement, un produit ainsi labellisé est très souvent désigné par antonomase ; exemples : un brie, un roquefort, un bordeaux, un savoie blanc, une morteau. Il ne porte pas de majuscule à l'initiale.

Marques[modifier | modifier le code]

Le nom de certaines marques déposées passe parfois dans le langage courant pour désigner certains objets. Ceci constitue une variété d'antonomase de nom propre. On dit ainsi couramment, ou l'on disait, pour certains termes vieillis :

On peut citer directement la marque pour désigner une substance, comme pour l'eau minérale : de l'Évian, de la Vittel, de la Badoit, de la Contrex ; ou pour un produit à récurer : du Cif, de l'Ajax. De même l'eau de Javel, tirant son nom du quartier de Javel, désigne couramment une solution d'hypochlorite de sodium, tandis que l'eau de Cologne, du nom de la ville de Cologne, désigne une solution alcoolisée parfumée.

Nom propre employé pour un autre[modifier | modifier le code]

L’antonomase du nom propre pour un autre nom propre consiste à employer un nom propre pour signifier un autre nom propre. Ainsi, « le Michel-Ange de l’art moderne » pourra désigner Pablo Picasso. Elle est soit considérée comme une variété d'antonomase de nom propre, soit comme une simple métaphore. Quand on dit « le Corse » pour désigner Napoléon Bonaparte, il ne s'agit plus d'une métaphore, mais d'une inclusion (Napoléon appartient réellement à l'ensemble des Corses) qui s'apparente à l'antonomase du nom commun, et plus précisément à l'antonomase d'excellence.

Antonomase du nom commun[modifier | modifier le code]

L'antonomase du nom commun, parfois appelée antonomase inverse, consiste à employer un nom commun pour signifier un nom propre[9]. Par exemple, quand une marque commerciale est à l'origine un nom commun : « fumer des Gitanes ». En France, quand on évoque « le Général », on comprend qu’il s’agit de Charles de Gaulle, tandis que « le Maréchal » fait référence à Philippe Pétain. Le « Grand Timonier » est également compris par beaucoup comme désignant Mao Zedong.

Antonomase d'excellence[modifier | modifier le code]

Plus spécifique, l’antonomase d'excellence utilise un nom commun pour désigner la « valeur superlative » dans le domaine où une personne s’est illustrée. Cette variété est presque toujours précédée de l'article défini singulier, et commence normalement par une majuscule : « le Poète » peut désigner Virgile, parce qu'il est considéré comme le plus grand des poètes. L’antonomase d’excellence est rare dans le langage contemporain, on y avait davantage recours dans la langue classique ou classicisante[Quoi ?] du XIXe siècle et du début du XXe siècle. On peut l'y interpréter comme une marque de connivence, presque un snobisme : dire ou écrire « l'Orateur » et attendre qu'on comprenne « Démosthène », cela suppose que l'auditeur ou le lecteur sache qu'on attribue à Démosthène la première place parmi les orateurs, et ait donc un certain niveau de culture, voire appartienne à une certaine classe sociale. L'inverse (« le Démosthène du parti socialiste ») est moins élitiste, parce qu'il est plus facile de trouver « orateur » à partir de « Démosthène » (au besoin il suffit d'un dictionnaire) que l'inverse.

Les écrivains d'expression grecque ou latine utilisaient souvent ce procédé. Ainsi, l'expression latine propre à la scolastique magister dixit (« le maître l’a dit ») repose sur un tel présupposé : « le maître » représente ici Aristote. Il ne faut pas la confondre avec ipse dixit, « c'est lui qui l'a dit », traduction latine par Cicéron de la formule grecque αὐτὸς ἔφα / autòs épha, de même sens, où « lui » doit être compris comme Pythagore.

Bien qu'elle prenne ordinairement la majuscule, l'antonomase d'excellence n'est pas un véritable nom propre, car elle est dérivée de la simple anaphore présentée au paragraphe précédent. Ce n'est que par un phénomène de lexicalisation que celle-ci peut finalement devenir un véritable surnom, c'est-à-dire une autre forme du nom propre. En latin Urbs (« la ville ») désigne Rome par antonomase d’excellence[10]. De la même façon, Constantinople, la ville de référence dans l'Orient méditerranéen, devint Istanbul (du grec is tin Poli, « vers la Ville »).

Un certain nombre de noms propres sont cependant produits au moyen de l'antonomase du nom commun. Il existe de par le monde de nombreux arcs de triomphe (nom commun), mais pour un Parisien, voire un Français, l'« Arc de Triomphe » (nom propre) ne peut désigner qu'un seul arc de triomphe, celui de la place de l'Étoile, à Paris. Il existe, à travers les divers mythes et religions du monde, une infinité de dieux (nom commun), mais pour un monothéiste, il n'y en a qu'un seul, simplement appelé « Dieu » (nom propre, sans déterminant).

Pour un historien, une période de prospérité succédant à une période de crise est souvent appelée une « renaissance » (nom commun), par exemple, la renaissance carolingienne au IXe siècle, mais lorsqu'on parle de « la Renaissance » (nom propre), cela désigne toujours la période de renouveau des arts qui suit le Moyen Âge.

Dans certains cas, l’antonomase peut prêter à confusion, par exemple The City (« la ville »), utilisée pour désigner Londres, mais aussi New York.

Dans le même ordre d’idées, un Luxembourgeois de la campagne dira die Stadt (« la ville ») pour Luxembourg–ville.

Antonomase par périphrase ou pronomination[modifier | modifier le code]

La dénomination par syntagme, dérivée d'une apposition dont le noyau syntaxique est sous-entendu, n’est pas une antonomase mais une ellipse ou une pronomination et s'apparente à une métonymie (l'accessoire se substitue à l'essentiel) :

Exemples[modifier | modifier le code]

Les mots « auguste » et « Auguste » constituent un cas exemplaire qui permet à lui seul de résumer les types d’antonomases décrites. Au départ, en latin, « augustus » est un adjectif, signifiant « majestueux, vénérable, solennel, divin ». En 27 av. J.-C., Octave, premier empereur romain, reçoit du Sénat le titre d’Imperator Caesar Augustus. Auguste sera désormais le nom sous lequel l’Histoire le retient. Si l’on accepte qu’un adjectif vaut ici pour un nom commun, on convient qu’on a affaire à une antonomase du nom commun devenue un nom propre. Dès la fin du Ier siècle, le titre d’« Auguste » est adopté par les empereurs romains. Il s’agit là d’une antonomase du nom propre pour un autre nom propre. À la fin du IIIe siècle, Dioclétien instaure le système de la tétrarchie : l’empire est gouverné par quatre empereurs, deux empereurs de premier plan, appelés « augustes », assistés de deux coempereurs, appelés « césars ». Le mot « auguste », ainsi que le mot « césar », deviennent des noms communs, et nous voici en présence d’une antonomase du nom propre devenue un nom commun.

De même, « Madeleine » et « madeleine » ont une histoire semblable. Le prénom Madeleine est à l'origine un simple adjectif, signifiant l'origine : en latin Maria magdalena, soit Marie de Magdala. Ensuite, l'attribution de ce prénom à une nouvelle pâtisserie, si l'on considère qu'elle porte le nom de la personne qui l'a fait découvrir au monde, est plutôt une métonymie.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, 1984
  2. Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, 1993
  3. « Antonomase : définition de ANTONOMASE, subst. fém. », sur La langue française, (consulté le ).
  4. Molinié, p. 58.
  5. Le Guern.
  6. a b et c Renard et robinet, sandow et chatterton – Boileau.pro
  7. « Histoire des déchets de Lutèce à Paris, le préfet Eugène Poubelle, l'inventeur de la poubelle – Planète Écho », sur planete-echo.net (consulté le )
  8. L'express du Midi, L'Orphéon bitterois à Luchon, 7 juillet 1934, p. 4, col. 7.
  9. AntonomaseUniversité de Hong Kong
  10. Pour un emploi contemporain de cette antonomase latine, voyez Bénédiction urbi et orbi.
  11. Alice Develey, « Marseille, Massilia, Massalia... d'où vient ton nom ? », sur Le Figaro, (consulté le ).

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Vincent Balnat, L'appellativisation du prénom. Étude contrastive allemand-français. XI/286 p. Tübingen: Narr. 2018 (= Tübinger Beiträge zur Linguistik, 565) Tableaux de prénoms.pdf
  • Bernard Dupriez, Gradus : les procédés littéraires : dictionnaire, Union générale d'éditions, . Trad. Albert Halsall : A Dictionnary of literary Devices, UTP, 1991.
  • Daniel Lacotte, Quand votre culotte est devenue pantalon, Flammarion-Pygmalion, 2011.
  • Michel Le Guern, Les deux logiques du langage, Champion,
  • Sarah Leroy, Entre identification et catégorisation, l’antonomase du nom propre en français (thèse de doctorat), université Montpellier III – Paul-Valéry. Arts et Lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales. Département Sciences du Langage, (lire en ligne [PDF])
  • Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Le Livre de Poche,

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]

Voir la liste d'antonomases en français dans le wiktionnaire.