Bernard Natan

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Bernard Natan
Bernard Natan en 1932.
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Tanenzaph
Nationalités
française (jusqu'en )
roumaineVoir et modifier les données sur Wikidata
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Distinction

Bernard Natan, né Natan Tanenzaph le à Iași (Roumanie) et mort en 1942 au camp d'Auschwitz, est un producteur franco-roumain des années 1920 et 1930.

Bernard Natan acquiert en 1929 Pathé, qui devient l'une des deux plus importantes sociétés de cinéma françaises. Pathé-Natan s'effondre en 1935, et Natan est accusé d'escroquerie. Il a contribué à fonder l'industrie du cinéma en France.

Biographie[modifier | modifier le code]

Né le de parents juifs à Iași en Roumanie près de la frontière russo-roumaine, Natan Tanenzaph s'installe en France au début du XXe siècle (en 1906). Lors de la déclaration de la Première Guerre mondiale, il se présente à la mairie du 10e arrondissement de Paris dès le , et s'engage dans la Légion étrangère comme volontaire étranger, pour la durée de la guerre. Il passe 21 mois au front, est gazé en 1916, cité à l’ordre de la division. Libéré le , il est naturalisé français en 1921, francisant son nom en Bernard Natan[1].

Il fonde son propre laboratoire, « Rapid Film », pour développer des films. Dans les années 1920, il travaille aussi pour Paramount Pictures. La réputation de Rapid Film devient telle que Natan est nommé membre du comité exécutif de la fédération des employeurs cinématographiques. En 1926, il ajoute deux ateliers pour le son sur disque. Il produit également les films d'autres studios[2],[3].

En , Bernard Natan s'associe avec Paul Thomas et achète la société Pathé, qui est alors la plus grande compagnie de cinéma de France. Il accepte de fusionner son propre studio, Rapid Films (qui valait 25 millions de l'époque) avec Pathé en échange de 50 millions de francs en actions. Après la fusion, Natan renomme la société « Pathé-Natan »[3],[4],[5].

En , il lance la diffusion du premier film français parlant, Les Trois Masques au Marivaux-Pathé, puis le premier dessin animé de Mickey (The Opry House), dans la même salle, un mois plus tard[6],[7].

Pathé subissait déjà une situation financière difficile. La reprise de Bernard Natan coïncide avec la Grande Dépression de 1929 qui atteint tous les secteurs de l'économie[8],[4],[5].

Bernard Natan tente de renflouer les caisses de Pathé et de moderniser les studios et leurs méthodes de travail. Il reprend un autre studio, la Société des cinéromans, d'Arthur Bernède et Gaston Leroux, qui permet à Pathé-Natan d'étendre ses activités à la manufacture électronique et à la projection. Cependant, Bernard Natan est attaqué sans répit par la presse française qui critique sa façon de diriger son groupe. Plusieurs de ces attaques sont d'ordre antisémite.

En , Bernard Natan s'associe avec l'Écossais John Logie Baird en fondant la première compagnie de télévision de France, dénommée « Télévision-Baird-Natan »[9]. Le , le théâtre de L'Olympia accueille une démonstration publique de télévision système Baird-Natan. Sur un écran formé de 1 200 ampoules, le fantaisiste Jean Marsac apparaît devant les premiers téléspectateurs français[10].

Un an après, c'est avec Fernand Vitus et la société anonyme Radio-Natan-Vitus filiale de Pathé Journal, qu'il prend le contrôle d'une station de radio à Paris, Radio Vitus[n 2], qui deviendra un véritable empire radiophonique[3],[8],[4],[5].

Entre 1930 et 1935, la compagnie Pathé-Natan réalise 100 millions de francs de profits, et produit plus de 60 films (autant que les studios américains de l'époque). Bernard Natan relance les films d'actualité Pathé Journal, qui n'ont plus vu le jour depuis 1927.

Cependant, en 1935 Pathé tombe en banqueroute. Dans le but de financer l'expansion de la société, le conseil de direction (qui comprend toujours Charles Pathé) vote en 1930 la vente de 105 millions de francs d'actions. Mais avec la dépression, seules 50 % des actions sont vendues. L'une des banques qui avait investi fait faillite et la société Pathé est forcée de continuer à acheter et équiper des salles de cinéma, sans en avoir financièrement les moyens. Elle finit par perdre plus d'argent qu'elle n'en gagne[3],[8],[4],[5].

La chute de Pathé amène les autorités françaises à inculper Bernard Natan pour escroquerie en 1938. Il est accusé d'avoir créé des sociétés fictives, et de mauvaise gestion des affaires. On[Qui ?] l'accuse même d'avoir caché ses origines roumaines et juives en changeant de nom. Le 1er janvier 1939, dans le journal antisémite Le Défi, Jean-Charles Legrand affirme que Bernard Natan a agit avec d'autres administrateurs des affaires Pathé, et indique que « de tout temps le cinéma fut le repaire des Juifs, [le cinéma est] devenu une immense entreprise de filouteries, [...] car le Juif souille et corrompt tout ce qu'il approche »[11]. Puis, le 22 janvier 1939, le Journal de Confolens (qui deviendra par la suite le Journal du Confolentais au service de l'œuvre de rénovation nationale du Maréchal Pétain) accuse Bernard Natan d'avoir escroqué 700 millions de francs, alors que selon Le Défi il s'agissait de 400 millions, et le qualifie de « juif d'origine incertaine, [...] le type de ces indésirables qui pullulent sur sur notre sol et qui font des fortunes rapides aux dépens de l'épargne française »[12].

Il est arrêté et emprisonné en 1939. En 1942, il est déchu de la nationalité française et devient donc apatride[13]. Il sort de prison en septembre 1942[3],[8],[4],[5] et est envoyé au camp de Drancy.

Le gouvernement français le livre ensuite en tant que Juif apatride aux forces d'occupation allemandes le . Il est alors déporté au camp d'extermination d'Auschwitz, par le convoi no 37, en date du [13],[n 1]. L’homme qui sera présenté par une certaine presse comme « le Juif le plus détesté de France » a son nom inscrit sur le mémorial de la Shoah, dalle n°109, colonne n°37, rangée n°1[14].

La légende du « Bernard Natan pornographe »[modifier | modifier le code]

Si les débuts de Bernard Natan dans la production cinématographique sont mal connus, c'est aussi parce qu'ils ont été interrompus par des poursuites à l'origine de la légende du « Bernard Natan pornographe ». Dans un livre publié en 2004[15], son neveu, l'éditeur et historien André Rossel-Kirschen (1926-2007)[16], l'un des premiers adhérents de l'Organisation spéciale qui réunissait au cours de la période 1940-1944 différentes structures clandestines au sein du Parti communiste français, fait le point à partir des éléments dont il dispose. Bernard Natan, alors âgé de 26 ans, est condamné à quatre mois de prison en 1911 pour « outrages aux bonnes mœurs ».

Par la suite, la presse d'extrême droite lui reproche d'avoir été un pornographe. Mais a-t-il réellement produit des films pornographiques, c'est-à-dire où l'acte sexuel est montré et non suggéré, ou bien de simples films dits « grivois » que beaucoup de sociétés cinématographiques éditent couramment au début du XXe siècle ? La condamnation à une peine relativement faible de quatre mois de prison plaide en tout état de cause en faveur de l'hypothèse de films grivois destinés aux « tourneurs » de films forains (la loi prévoyait à l'époque jusqu'à deux ans de prison et les condamnations étaient généralement beaucoup plus sévères)[17]. Reste enfin l'accusation de la présence de Bernard Natan en tant qu'acteur de films pornographiques entre 1920 et 1926.

Les films cités sont conservés dans quelques cinémathèques, indique André Rossel-Kirschen, ajoutant même page 53 de son livre, qu'il a pu lui-même en visionner la plupart à l'Institut Kinsey. Il apparaît ainsi que l'acteur était beaucoup plus jeune, entre 18 et 25 ans, alors que Bernard Natan avait 40 ans en 1926.

Filmographie[modifier | modifier le code]

Producteur

Cinéma[modifier | modifier le code]

  • En 2013, un documentaire[13] consacré à Bernard Natan est réalisé par les Irlandais Paul Duane et David Cairns[18] : Natan, l'histoire effacée d'un génie du cinéma.
  • Bernard Natan, le fantôme de la rue Francoeur, un film de Francis Gendron en collaboration avec Alain Braun (production Label, Evasion en Vidéo, Metaction), 2018, h 23.
  • Son histoire est également évoquée à travers le personnage d'André Korben dans le film Planetarium, de Rebecca Zlotowski, sorti en 2016[19].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. a et b Dans le documentaire qui lui est consacré, diffusé sur Arte le 16 août 2016, l'historien et avocat français Serge Klarsfeld évoque une lettre écrite par Natan depuis Auschwitz datée du 28 novembre 1942. Il déduit que sa mort a eu lieu en 1942, sans plus de précision.
  2. Société anonyme constituée le . Capital de 1 500 000 francs. Pathé Cinéma : 950 actions, Natan : 50, et Fernand Vitus : 450.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Jacques Mandelbaum, « Bernard Natan, le fantôme de la rue Francoeur, l'histoire tragique d'un bouc-émissaire du cinéma français », Le Monde, .
  2. Gilles Willems, « Rapid-Film et ses Branches Production », dans Jacques Kermabon, Pathé, Premier Empire du Cinéma, Paris, Centre Georges-Pompidou, (ISBN 2-85850-793-7).
  3. a b c d et e Gilles Willems, « Les Origines du groupe Pathé-Natan et le modèle américain », Vingtième Siècle, no 46,‎ .
  4. a b c d et e (en) Richard Abel, The Red Rooster Scare : Making Cinema American, 1900-1910, Berkeley, University of California Press, , 301 p. (ISBN 0-520-21478-1, lire en ligne)
  5. a b c d et e (en) Richard Abel, French Cinema : The First Wave 1915-1929, Princeton University Press, , 672 p. (ISBN 0-691-00813-2).
  6. Site lesechos.fr, article "Bernard Natan, la réhabilitation d'une légende oubliée du cinéma français", consulté le 18 novembre 2021.
  7. « Les trois masques, quand l'écran français apprend à parler. » (consulté le )
  8. a b c et d Gilles Willems, « Les origines de Pathé-Natan », dans Pierre-Jean Benghozi et Christian Delage, Une histoire économique du cinéma français (1895-1995) : Regards croisés franco-américains, Paris, L'Harmattan, coll. « Champs visuels », .
  9. Site leserigraphe.com, page "Histoire de la TV Retour aux sources avec la Télévision mécanique, celle où tu dois pédaler (presque)"], consulté le 18 novembre 2021.
  10. achdr.over-blog.com, page "Suzy Winckler, première présentatrice de la télévision françaises, consulté le 18 novembre 2021.
  11. « Le Défi / directeur Jean-Charles Legrand », sur Gallica, (consulté le )
  12. « Journal de Confolens : littéraire, scientifique, industriel, agricole, de modes et d'annonces, paraissant tous les lundis ["puis" revue hebdomadaire politique, administrative, littéraire, agricole, commerciale et d'annonces "puis" journal républicain indépendant de l'arrondissement "puis" journal du Confolentais au service de l'oeuvre de rénovation nationale du Maréchal Pétain] », sur Gallica, (consulté le )
  13. a b et c « Bernard Natan » (présentation), sur l'Internet Movie Database (comportant des erreurs[réf. nécessaire]).
  14. Google Livre "Le fantôme du cinéma français Gloire et chute de Bernard Natan" de Philippe Durant - 2021.
  15. André Rossel-Kirschen, Pathé-Natan : La véritable histoire, Les Indépendants du Ier siècle, coll. « Pilote 24 », (ISBN 978-2-912347-40-4).
  16. « Kirschen André », Mémoire et Espoirs de la Résistance.
  17. (fr + en) Brigitte Berg, « Droit de réponse : Mise au point sur le grand producteur Bernard Natan », Les Indépendants du Ier siècle.
  18. Julien Gester, « Qui est Bernard Natan ? », Libération, .
  19. Sabine Delanglade, « Bernard Natan, la réhabilitation d'une légende oubliée du cinéma français », Les Échos, 21 mai 2015 (mise à jour le 6 août 2019).

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • André Rossel-Kirschen, Pathé-Natan : La véritable histoire, Pilote 24, coll. « Les Indépendants du Ier siècle », , 302 p. (ISBN 9782912347404).
  • Philippe Durant, Le fantôme du cinéma français : gloire et chute de Bernard Natan, Paris, la Manufacture de livres, , 208 p. (ISBN 9782358877145).
  • Dominique Missika, L'Affaire Bernard Natan : Les années sombres du cinéma français, Paris, Denoël, , 256 p. (ISBN 9782207178621).

Liens externes[modifier | modifier le code]