Code Hays

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Couverture du code Hays.

Le code Hays est le nom officieux communément donné au code de production[1] du cinéma américain (officiellement appelé Motion Picture Production Code en anglais) ; établi en mars 1930 par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association (MPPDA), le code Hays a pour but de réguler le contenu de la production des films en donnant des recommandations sur ce qu’il est convenable ou pas de montrer à l’écran. Appliqué de façon stricte de 1934 à 1952, puis de façon de moins en moins rigoriste jusqu’en 1966, ce texte fait suite à de nombreux scandales entachant l'image de Hollywood, dont l'affaire Roscoe Arbuckle. Il s'agit d'un exemple d’autocensure, les studios s'étant eux-mêmes imposé ces restrictions afin d'éviter l’intervention extérieure, en particulier celle de l'État fédéral. Le texte du code a été rédigé en 1929 par Martin Quigley (1890-1964), éditeur catholique, et Daniel A. Lord (en) (1888-1965), prêtre jésuite.

Le Code est appliqué par l'administration du code de production (Production Code Administration), dirigée par Joseph Breen (1888-1965), de culture profondément catholique, qui impose sa marque sur tous les films américains de 1934 à 1954. Breen est remplacé par son adjoint, Geoffrey Shurlock[2], de 1954 à 1968, date à laquelle le rôle joué par le code Hays est rempli par le Référencement cinématographique de la Motion Picture Association of America.

Le code Hays demeure synonyme d’une période-charnière dans l’histoire du contenu, du style et des valeurs morales du cinéma américain, qui a connu un avant et un après[3].

Contexte et histoire[modifier | modifier le code]

La nudité dans les films existe dans le cinéma muet au travers des nudies (petits films au ton badin où on voit s'ébattre des femmes nues) et aucune législation à ce sujet n'existe au début du cinéma. Dès 1907, cependant, un système de censure (films visionnés d'abord par la police) est mis en place à Chicago sous la pression de lobbies catholiques et puritains, ligues de vertu minoritaires (les États-Unis étant majoritairement protestants) mais suffisamment puissantes pour influer sur l'industrie cinématographique essentiellement juive à l'origine[4]. En 1908, le maire de New York décide d'interdire les Nickelodeons considérés comme des lieux de débauche et de pousse au crime ; il autorise la police à interdire des projections. L'industrie du film, basée alors à New York, y fonde en un Board of Censorship (bureau de la censure). À mesure que plusieurs États adoptent ce type de censure, l'industrie du film prend les devants et décide en 1916 de créer son propre organisme d'auto-régulation, la National Association of the Motion Picture Industry (en) (NAMPI). Cela leur permet ainsi d'harmoniser les censures différentes selon les villes et les États qui rendaient la vision des films incohérente, ce que les spectateurs mettaient sur le compte de mauvais réalisateurs[4]. En 1915, l'affaire Mutual Film Corporation v. Industrial Commission of Ohio (en) aboutit à la Cour suprême qui considère que les films de l'industrie du cinéma étant une activité mercantile ne peuvent bénéficier du Premier amendement[5] qui garantit la liberté d'expression.

Dans les années 1920, plusieurs scandales, relayés par la presse populaire, ébranlent l’industrie naissante du cinéma hollywoodien. L’acteur Roscoe Arbuckle est soupçonné de la mort de l’actrice Virginia Rappe, lors d’une soirée « de débauche » à San Francisco, en 1921 ; le décès crapuleux, en 1922, de l’acteur et producteur William Desmond Taylor, sur fond de bisexualité et la mort par overdose de l’acteur Wallace Reid en , font paraître Hollywood comme un lieu de perdition et de débauche. D’autant que Reid est suivi dans la tombe, et pour les mêmes raisons, par Olive Thomas, Barbara La Marr, Jeanne Eagels puis Alma Rubens[4].

Cela conduit, en 1922, à la création de la Motion Pictures Producers and Distributors Association (devenue la Motion Picture Association of America en 1945, elle remplace la NAMPI), présidée par l'avocat William Hays, qui établit non pas des interdits mais des recommandations. La première mesure de Hays est de bannir Roscoe Arbuckle de tout film et d’imposer un certificat de moralité pour toute personne apparaissant à l’écran. En 1927, il dresse une liste de sujets et de thèmes que les scénaristes doivent éviter, et la même année, l'avènement du cinéma parlant appelle à la révision ou à la précision des règles d’autocensure.

Dans un premier temps, ces recommandations ne sont guère suivies, jusqu'à ce que se renforce le contrôle financier sur les productions et que par ailleurs, à l'appel du pape Pie XI, les évêques américains fondent une Légion de la Décence qui va mener une virulente campagne en faveur de l'application stricte du Code[6]. Celle-ci sera effective à compter du [7], et désormais, plus que jamais, estime l'historien du cinéma Georges Sadoul, l'industrie hollywoodienne va se tourner vers le répertoire théâtral ou romanesque. L'application du Code, si elle ne vise guère par exemple le film d'horreur, a des conséquences entre autres sur le film de gangsters, qui se fait parfois moralisateur avant de s'effacer, et surtout sur les scènes d'amour[6], alors que les films de l'ère Pré-Code avaient pu aller assez loin dans la nudité ou ruser déjà pour éviter la censure.

À partir de 1934, tout en négociant avec les censeurs et producteurs, les réalisateurs développent diverses stratégies de contournement, au point que Billy Wilder finit par voir dans cette censure un moyen de stimuler leur inventivité : ingéniosité du scénario ou du montage (Alfred Hitchcock dans les Enchaînés défie ainsi les censeurs qui refusent tout baiser de plus de 3 secondes en faisant alternativement, durant 2 minutes 30, parler et s'embrasser ses deux acteurs, et peut se targuer ensuite d'avoir filmé le « plus long baiser du cinéma ») ; ellipses visuelles ou images suggestives (effeuillage de Rita Hayworth dans Gilda) ; symboles ou métaphores sexuels (train fonçant sous un tunnel dans La Mort aux trousses, panoramique vertical symbole d'érection, bouteille de champagne débouchée symbole d'éjaculation), etc. Tandis que chez les réalisateurs moins audacieux, les effets du code se font ressentir (ainsi Jane porte-t-elle une robe dans Tarzan s'évade alors qu'elle arborait un bikini en peau de léopard dans Tarzan et sa compagne), les procédés de contournement adoptés par d'autres aboutissent à ce qui a pu être appelé la « fétichisation de Hollywood », la caméra n'exposant que des parties du corps alors érotisées[4] : « on transforma l'érotisme en fétichisme, en remplaçant le Sex Appeal par la Pin-up Girl[6]. »

En plein âge d'or du cinéma américain, la rigueur du code Hays commence à s'affaiblir dès les années 1940, avec l'évolution des mentalités, puis le développement de la télévision aux images plus réalistes. La Cour suprême, lors de l'affaire United States v. Paramount Pictures en 1948, décartellise les sociétés de production de cinéma qui ne peuvent plus assurer la distribution, les nouvelles sociétés de distribution important alors des films étrangers, notamment les œuvres du néoréalisme et de la Nouvelle Vague française qui n'hésitent pas à montrer des thèmes tabous sous une nouvelle radicalité. Le cinéma d'art et d'essai qui se développe montre la même évolution.

Dans les années 1950, les boycotts de la Ligue pour la vertu ne menacent plus économiquement le succès public des films. En 1966, un code est réécrit mais est peu appliqué, étant remplacé en 1968 par un simple système de classification des films par âge : le système de classification de la Motion Picture Association of America, créé par Jack Valenti. Ce déclin de la censure permet ensuite le développement rapide du cinéma pornographique[5] et du cinéma d'horreur.

Détail du texte des recommandations[modifier | modifier le code]

Le texte cité plus bas est celui des recommandations du code Hays.

Le code Hays présente les éléments suivants dans cet ordre :

Principes généraux[modifier | modifier le code]

  1. « Aucun film ne sera produit qui porterait atteinte aux valeurs morales des spectateurs. De la même manière la sympathie du spectateur ne doit jamais aller du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché ».
  2. « Des standards de vie corrects, soumis uniquement aux exigences du drame et du divertissement, doivent être montrés ».
  3. « La loi, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à ceux qui la violent » (Jean-Baptiste Thoret remarque que cela est notamment valable pour le gangster et la femme déchue (en)[4]).

Applications particulières[modifier | modifier le code]

Crimes et criminels[modifier | modifier le code]

Le crime ne doit pas être présenté d'une façon qui créerait de la sympathie pour le criminel ou inspirer au spectateur un désir d'imitation. Le meurtre ne doit pas être présenté de manière à encourager l'imitation. Les meurtres brutaux ne doivent pas être présentés en détail afin que la population interagisse de manière anarchique. La vengeance n'est pas justifiée dans un film dont l'action se passe dans l'époque contemporaine.

Les méthodes criminelles ne doivent pas être explicitement présentées. Les techniques pour le vol, le cambriolage et le dynamitage de trains, de mines, de bâtiments, l'incendie criminel, etc., ne doivent pas être présentées en détail. L'utilisation d'armes à feu doit être limitée. Les méthodes utilisées dans la contrebande ne doivent pas être présentées.

Le trafic de la drogue ne doit pas être présenté. La consommation de spiritueux est interdite à l'écran, sauf dans les cas où cela fait partie intégrante du scénario ou des caractéristiques d'un personnage.

Sexualité[modifier | modifier le code]

« L'importance de l’institution du mariage et l'importance de la famille sont primordiales aux yeux des rédacteurs du code Hays pour qui les films ne doivent pas suggérer que la promiscuité sexuelle est quelque chose de normal ou d'habituel.

  1. L'adultère, parfois nécessaire dans le contexte narratif d'un film, ne doit pas être présenté explicitement, ou justifié, ou présenté d'une manière attrayante.
  2. Les scènes de passion. a) Elles ne doivent pas être présentées sauf si elles sont essentielles au scénario. b) Les baisers profonds ou lascifs, les caresses sensuelles, les poses et les gestes suggestifs ne doivent pas être exposés. c) De manière générale la passion doit être traitée de sorte que ces scènes restent au-dessus de la ceinture (« do not stimulate the lower and baser element ») (« La présentation de chambres à coucher doit être dirigée par le bon goût et la délicatesse »[réf. nécessaire])
  3. Séduction ou viol. a) Ils ne peuvent pas être plus que suggérés et seulement lorsqu'il s'agit d'un élément essentiel du scénario. Même dans ce cas, ils ne seront pas montrés explicitement. b) Ils ne sont en aucun cas un sujet approprié pour la comédie.
  4. Toute référence à la perversion sexuelle est formellement interdite.
  5. La traite des Blanches (désignée comme White slavery dans le code Hays) ne doit pas être abordée (« White slavery shall not be treated ».).
  6. La présentation de rapports sexuels interraciaux (« Miscegenation ») est interdite.
  7. L'hygiène sexuelle et les maladies vénériennes ne sont pas considérées comme des sujets pour les films.
  8. La naissance d'un enfant, en face ou en silhouette, ne doit jamais être montrée.
  9. Les organes sexuels d'un enfant ne doivent jamais être visibles ».

Décence[modifier | modifier le code]

La présentation de sujets vulgaires, répugnants et désagréables, doit être soumise au respect des sensibilités des spectateurs et aux préceptes du bon goût en général. L'obscénité dans le mot, dans le geste, dans la chanson, dans la plaisanterie, ou même simplement suggérée, est interdite. Le blasphème est strictement interdit et le code liste les mots à éviter : God, Lord, Jesus, Christ, Hell, S.O.B, Damn et Gawd. « Des titres licencieux, indécents ou obscènes ne seront pas employés » souligne le code, soucieux d'éviter que l’industrie du cinéma se serve des affiches de cinéma pour opérer un détournement de la censure et atteindre aux bonnes mœurs que le code Hays tente si vigoureusement de protéger.

L'indécence est interdite de même que la nudité, réelle ou suggérée, et les commentaires ou allusions d'un personnage à ce sujet. Les scènes de déshabillage sont à éviter sauf lorsqu'il s'agit d'un élément essentiel du scénario. Les costumes trop révélateurs sont interdits.

Les danses lascives, celles qui suggèrent ou représentent des relations sexuelles, sont interdites. Les danses qui comportent des mouvements indécents doivent être considérées comme obscènes.

Les sujets suivants, considérés comme « répugnants », doivent être traités avec beaucoup de prudence et de bon goût : la pendaison, l’électrocution et la condamnation à mort d’un criminel, le tatouage, le marquage au fer d'animaux et d'êtres humains, la brutalité et l'horreur, la cruauté envers les enfants ou les animaux et les opérations chirurgicales. La représentation d'esclaves blancs est prohibée.

Certains critères de « décence » reposaient sur les préjugés raciaux de l'époque. Ainsi, la Metro-Goldwyn-Mayer rejeta la candidature de la sino-américaine Anna May Wong pour le rôle principal dans une adaptation de The Good Earth (Visages d'Orient) de Pearl S. Buck en raison de principes interdisant les gestes intimes entre les diverses « races ». L'acteur principal masculin étant de race blanche (Paul Muni), les producteurs considéraient impossibles de lui donner une partenaire de type asiatique et choisirent plutôt l'actrice Luise Rainer, que l'on maquilla pour lui donner l'apparence orientale.

Patrie et religion[modifier | modifier le code]

« Aucun film ne doit se moquer de la religion sous toutes ses formes et de toutes les croyances. Les ministres du culte ne peuvent pas être dépeints comme des personnages comiques ou comme des bandits. Les cérémonies de n'importe quelle religion définie doivent être présentées avec beaucoup de respect.

La présentation du drapeau se fera toujours de manière respectueuse. L'histoire des institutions, des gens connus et de la population en général d'autres nations sera présentée avec impartialité. »

Betty Boop, un exemple emblématique[modifier | modifier le code]

Betty Boop et le personnage de Bimbo, dans Minnie the Moocher, en 1932.

Le personnage de dessin animé Betty Boop est un exemple frappant de la mise en vigueur du code de censure[8].

Avant 1934, Betty Boop est une flapper ou une party girl, jeune femme emblématique de ce que Scott Fitzgerald avait appelé l'âge du jazz.

Elle flirte, minaude et cabotine, danse sur des airs de jazz et se fâche avec ses parents très à cheval sur les convenances dans le film Minnie the Moocher, où apparaît le jazzman noir Cab Calloway.

Côté vêtements, elle porte une mini robe sans bretelles très décolletée, avec l'ourlet à mi-cuisse, qui découvre une coquine jarretière, plus de trente ans avant l'invention de la minijupe. Elle a un petit ami / chevalier servant, le caniche anthropomorphe Bimbo.

Après 1934 et l'entrée en vigueur du code Hays, l'équipe des studios Fleischer se voit obligée de faire de Betty Boop une « jeune fille rangée », une célibataire qui travaille. Bimbo disparaît de l'affiche (par crainte d'évocation de la zoophilie), et son habillement change du tout au tout avec des chemisiers beaucoup plus stricts et des jupes en dessous du genou[9].

Les scénarios de ses aventures se transforment aussi, les numéros de séduction et les allusions plus ou moins libertines se font bien plus rares.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Vidéographie[modifier | modifier le code]

  • Sex, Censorship and the Silver Screen (1995), série documentaire en 6 épisodes[10].
  • Thou Shalt Not: Sex, Sin and Censorship in Pre-Code Hollywood - Hollywood interdite, l'ère du pré-code (2008), documentaire réalisé par Steven Smith[11].

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, , p. 7.
  2. (en-US) « Geoffrey M. Shurlock, Ex‐Head Of Motion Picture Code, Dead », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  3. Francis Bordat, « Le code Hays. L'autocensure du cinéma américain », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 15, no 1,‎ , p. 3–16 (DOI 10.3406/xxs.1987.1879, lire en ligne, consulté le )
  4. a b c d et e Jean-Baptiste Thoret et Stéphane Bou, « La censure a-t-elle du bon ? (Autour du code Hays) », émission Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert sur France Inter, 9 août 2012.
  5. a et b Jean-Baptiste Thoret, « Le nu dans le cinéma américain », émission La Marche de l'Histoire, 2 avril 2012.
  6. a b et c Georges Sadoul, Histoire du cinéma mondial, Flammarion, 1990, p. 243 (1re édition 1949).
  7. Anaïs Leehmann, « Le code Hays et les vices cachés d’Hollywood », Libération, 19 août 2016.
  8. Claire Duguet, « Betty Boop for ever », sur arte.tv, (consulté le )
  9. « Sex, Censorship and Betty Boop: The Ladies of Pre-Code Hollywood - Thur. Sep. 5th - 8PM », sur oddballfilms.blogspot.fr (consulté le )
  10. « Sex, Censorship and the Silver Screen » (présentation de l'œuvre), sur l'Internet Movie Database
  11. « Thou Shalt Not: Sex, Sin and Censorship in Pre-Code Hollywood » (présentation de l'œuvre), sur l'Internet Movie Database