Hasbara

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Stand de soutien à Israël, tenu par des chrétiens évangélistes dénonçant le nouvel Antisémitisme à Lausanne (Suisse)
Exemple d'un communiqué de l'armée israélienne (novembre 2012)

Hasbara (en hébreu : הסברה), littéralement « explication », est un terme qui renvoie aux stratégies de communication de l'État d'Israël à destination de l'étranger[1]. Le terme est synonyme de « propagande israélienne » pour les analystes qui critiquent cette communication. Il est utilisé par l'État d'Israël lui-même pour évoquer des relations publiques et sa diplomatie publique.

Terminologie[modifier | modifier le code]

Le terme hasbara signifie littéralement « explication » en hébreu[2],[3].

L'État d'Israël et ses partisans utilisent ce terme pour décrire les efforts visant à expliquer les politiques gouvernementales et à promouvoir Israël face à une presse négative, et pour contrer ce qu'ils considèrent comme des tentatives de « délégitimation d'Israël »[4]. Pour le diplomate israëlien Gideon Meir, il n'y a pas de traduction « réelle et précise » du mot hasbara en anglais ou dans toute autre langue, et il l'assimile en 2005 à la diplomatie publique[5].

Dans une perspective d'analyse critique, le terme est fréquemment associé, en Israël et ailleurs, à une activité de plaidoyer, ou de propagande officielle de l'État[2],[6].

Histoire[modifier | modifier le code]

Selon l'analyste politique Jonathan Cummings, qui publie en 2016 l'ouvrage Israel's Public Diplomacy: The Problems of Hasbara, 1966–1975, le terme «  hasbara » est introduit dans le débat public par Nahum Sokolow, pionnier du sionisme. Cummings définit le terme comme : « une tentative instinctivement défensive et tactique, persuasive et juive pour obtenir et maintenir un soutien international à la politique israélienne »[7].

Pour Cummings, l'opinion publique israélienne prend la « diplomatie publique » très au sérieux. Elle considère qu'une communication de mauvaise qualité est à la racine des difficultés internationales de l'État, et qu'il suffirait de pouvoir mieux s'expliquer pour obtenir le soutien de la communauté internationale sur des points controversés de la politique israélienne[7].

Gershon Agron joue un rôle pionnier dans la définition de la hasbara, en suggérant de s'inspirer du modèle du ministère britannique de l'Information. Dans les premières années d'Israël, et jusqu'aux années 1960, la presse nationale était ainsi étroitement contrôlée et censurée par des responsables politiques sous la houlette de David Ben Gourion[7].

Exemples[modifier | modifier le code]

Soins médicaux dispensés aux Palestiniens[modifier | modifier le code]

L'anthropologue Avram Bornstein, professeur au John Jay College of Criminal Justice, souligne l'importance du discours de justification du pouvoir israélien pour établir une domination culturelle (et non pas seulement militaire)[8]. Le mouvement sioniste dès ses débuts a voulu donner l'image d'une « colonisation éclairée », porteuse de modernisation[8]. Un des thèmes privilégiés de la hasbara est la mise à la disposition des Palestiniens des Territoires occupés de soins médicaux, Israël reprenant à cette occasion un thème majeur de la propagande coloniale européenne dans la représentation des relations entre colons et indigènes[8].

Selon Avram Bornstein, le gouvernement israélien de manière récurrente vante la magnanimité de ses médecins à l'égard des Palestiniens dans le but de «déguiser la colonisation» et d'occulter les violences telles que les bombardements, les emprisonnements de militants, les démolition des propriétés palestiniennes par Israël, la multiplication des checkpoints, les couvre-feu pendant de longues périodes, les rationnements d'eau etc.[8]. Parallèlement, le gouvernement israélien diabolise le personnel médical palestinien ainsi que l'UNRWA, accusés de fournir, sous couvert de soins, une aide au terrorisme palestinien[8].

Une étude de l'anthropologue Rhoda Kanaaneh en 2002 montre que les institutions de santé israéliennes ont fortement incité les femmes palestiniennes d'Israël en Galilée à avoir moins d'enfants, alors même qu'elles encourageaient les femmes israéliennes au même moment à avoir plus d'enfants[8]. Pour Avram Bornstein, les institutions de santé sont devenues un outil de domination politique entre les mains d'Israël[8].

Justification d'agressions israéliennes[modifier | modifier le code]

Tanya Reinhart, linguiste israélienne, analyse la campagne de hasbara qui a accompagné l'« opération » israélienne à Jénine (Cisjordanie) en avril 2002 (appelée par Israël Opération Rempart)[9]. Un des principes de la hasbara suppose d'empêcher la diffusion d'images en direct[9]. La stratégie de communication israélienne inclut aussi dans l'épisode de Jénine de propager les idées suivantes :

1.« Ce qui s'est passé à Jénine était une bataille féroce et non un massacre »[9]

2. « La bataille a été féroce parce que Tsahal a cherché à minimiser les souffrances des civils »[9]

3. « La campagne de relations publiques devrait attirer l'attention sur les victimes israéliennes des attentats terroristes »[9].

Selon Tanya Reinhart, l'armée israélienne a «simplement ignoré le fait qu'il y avait un nombre inconnu d'individus et de familles palestiniennes dans les zones bombardées jour et nuit par les missiles des hélicoptères « Cobra »»[9].

Communication sur internet[modifier | modifier le code]

En 2014, pendant l'opération Rempart, quatre cents étudiants de l’Interdisciplinary Center d’Herzliya mènent jour et nuit à tour de rôle une stratégie d'influence sur les réseaux sociaux et déclarent contrer « la désinformation propagée en ligne par le Hamas et reprise par les médias internationaux »[6][réf. à confirmer].

Le site web InfoEquitable[modifier | modifier le code]

Depuis 2016, le site francophone InfoEquitable, décrit par The Times of Israel comme un site « militant pro-israélien »[10], indique apporter « une couverture juste et précise de l’actualité sur Israël dans les médias francophones »[11]. Le site se consacre exclusivement au fact-checking des articles francophones sur l'actualité en Israël[12]. Ainsi, à la demande d'Infoéquitable, le médiateur de Radio France a reconnu que Netiv HaAsara est un village agricole situé à quelques centaines de mètres de la frontière avec la bande de Gaza et non une colonie[13].

Selon Tony Le Pennec du site web Arrêt sur images, InfoEquitable « adopte un ton très pro-Israël, commet régulièrement erreurs et imprécisions, tout en dégainant rapidement les accusations à peine voilées d'antisémitisme »[14].

Communiqués du ministère des Affaires étrangères[modifier | modifier le code]

En 2009, le ministère des Affaires étrangères israélien encourage des volontaires à intervenir en faveur d’Israël dans les sites web de commentaire d'actualité en relation avec la Guerre de Gaza de 2008-2009[15].

Le vice-ministre Michael Oren estime en 2016 que l'action de hasbara des ministères devrait être repensée, car « la bonne hasbara prend l’histoire de l’État juif, et émeut les gens avec »[16]. Le ministère lance la même année un concours de vidéos pour faire la promotion du pays[17].

Le ministère des Affaires étrangères israélien affirme en 2018 qu'il mène une diplomatie publique compétente : « A tous ceux qui prétendent, sans posséder les informations de base, que la ‘hasbara‘ israélienne n’a pas fonctionné correctement ces derniers jours : plus de 160 interviews de nos représentants dans d’importantes capitales [ont conduit à] faire connaître le message d’Israël sur les réseaux sociaux à des millions de personnes à travers le monde »[18]. Il fournit également une liste de 20 groupes qui travailleraient « constamment et ouvertement à délégitimer l'état juif », et suggère la création d'un organisme qui développerait des actions de campagnes publiques, de lobbying, l’arrangement de visites de solidarité en Israël, et qui travaillerait également à renforcer la présence sur les réseaux sociaux, ainsi que le réseau de groupes pro-israéliens dans le monde pour mener des actions coordonnées, en se focalisant particulièrement sur l’Europe[19].

Critiques[modifier | modifier le code]

Simon Anholt, créateur de l'indicateur Nation Brands Index mesurant l'image de marque nationale, estime en 2020 que si la communication d'État est bien une affaire de sécurité nationale, en revanche « l'utilisation par Israël du hasbara pour promouvoir sa version des faits [...] peut en fait aggraver la situation en rappelant aux gens une question troublante à laquelle ils préféreraient ne pas penser. [...] Tenter de s'attaquer à une image nationale négative par le biais des relations publiques produit souvent l'effet inverse, en rappelant simplement aux gens le pays dont ils savent déjà qu'ils se méfient »[20].

L'organisation israélo-arabe de défense des droits de l'homme Adalah estime en 2019 que le ministère de l’Éducation israélien contraint les élèves qui souhaitent effectuer un séjour à l'étranger à suivre d'abord un cours spécifique, nommé hasbara. L'organisation dénonce cette contrainte ainsi que le caractère du cours, qui représente selon elle une « propagande raciste »[21].

Certains opposants à Israël, comme Edward Said[22] et Noam Chomsky[23], considèrent la hasbara comme un programme de « propagande pro-israélienne »[24]. Selon Chomsky « le mot « hasbara » […] désigne la propagande israélienne, exprimant la thèse que la position d’Israël est toujours juste quelle que soit la question considérée, et qu’il est seulement nécessaire de l’expliquer »[25].

En 2017, le cinéaste israélien Eyal Sivan et la productrice Armelle Laborie publient l'ouvrage Un boycott légitime, dans lequel ils exposent les mécanismes de la propagande, en indiquant qu'elle « sert à présenter une image démocratique, libérale, dynamique — et fausse — d’un État d’exception permanent, hors-la-loi pour le droit international »[26],[27],[28].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Aimé-Jules Bizimana, « Denis SIEFFERT (2009), La nouvelle guerre médiatique israélienne », Communication, Vol. 31/1 | 2013, mis en ligne le 6 septembre 2013, consulté le 15 mai 2023. DOI.
  2. a et b Sébastien Leban, « Presse en Israël : le tabou de l’occupation », sur parismatch.com, (consulté le )
  3. Clémence Martin, « Qu’est-ce que la «hasbara», cette «pédagogie» pro-Israël visant l’opinion internationale ? », sur Libération (consulté le )
  4. « mfa.gov.il », sur www.mfa.gov.il (consulté le )
  5. (en) Gideon Meir, « What “Hasbara” Is Really All About », sur Ministère israëlien des Affaires étrangères, (consulté le )
  6. a et b Benoît Theunissen, « Des activistes israéliens en cellule de crise », sur Les Echos, (consulté le )
  7. a b et c Robbie Sabel, « Israel's Public Diplomacy: The Problems of Hasbara, 1966–1975 », Israel Journal of Foreign Affairs, vol. 11, no 1,‎ , p. 109–112 (ISSN 2373-9770, DOI 10.1080/23739770.2017.1287249, lire en ligne, consulté le )
  8. a b c d e f et g Avram Bornstein, «Hasbara, health care, and the Israeli-occupied Palestinian territories», dans (en) Merrill Singer et G. Derrick Hodge, The War Machine and Global Health: A Critical Medical Anthropological Examination of the Human Costs of Armed Conflict and the International Violence Industry, Rowman & Littlefield, (ISBN 978-0-7591-1190-5, lire en ligne), p.209 et suivantes
  9. a b c d e et f (en) T. Reinhart, « Jenin - the propaganda war », sur dspace.library.uu.nl, (consulté le )
  10. « Les inexactitudes du Monde au sujet de Salah Hamouri », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  11. « Qui sommes nous ? », sur Infoéquitable (consulté le )
  12. « L’AFP épinglée pour mensonges et militantisme par InfoEquitable », sur The Times of Israel,
  13. « « Ces colons en mal de sécurité que Netanyahu a déçus ». Ce titre d’un article consacré aux élections législatives en Israël. Titre qui a fait réagir les auditeurs. »,
  14. Tony Le Pennec, « Infoequitable, gardien (approximatif) d'Israël », sur arretsurimages.net, (consulté le )
  15. (en) Jonathan Beck, « Latest hasbara weapon: 'Army of bloggers' », sur The Jerusalem Post | JPost.com, (consulté le )
  16. Raphaël Ahren, « Michael Oren veut combattre le boycott avec des poètes et des écrivains », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  17. « Israël lance un concours vidéo de hasbara », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  18. Raphaël Ahren, « Les diplomates israéliens ont dominé les médias pendant les émeutes de Gaza », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  19. « Israël crée une liste noire des groupes de BDS interdits dans le pays », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  20. (en) Simon Anholt, « Why Israel should drop hasbarah », sur www.thejc.com, The Jewish Chronicle, (consulté le )
  21. « Adalah dénonce la « propagande raciste » de cours obligatoires pour des enfants », sur fr.timesofisrael.com, (consulté le )
  22. (en)Propaganda and war par Edward Said, 2001.
  23. (en) Noam Chomsky, Fateful triangle: the United States, Israel, and the Palestinians, Pluto Press, 1999, p. 154.
  24. (en) Guttman, Nathan, Dancing the Hasbara, Moment (magazine), août 2006.
  25. (en) Noam Chomsky, Pirates and Emperors, Old and New: International Terrorism in the Real World, South End Press, 2002, p. 182.
  26. Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle israélienne, une intolérable occupation - « Un boycott légitime » », sur Orient XXI, (consulté le )
  27. Emmanuel Riondé, « Eyal Sivan : « Israël ne veut plus convaincre, mais devenir attractif » », sur regards.fr, (consulté le )
  28. Baudouin Loos, « Eyal Sivan : « L’image d’Israël subit une vraie érosion » », sur Le Soir, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Robert I. Friedman, Selling Israel to America: the Hasbara Project Targets U.S. Media, Mother Jones, février/.

Articles connexes[modifier | modifier le code]